Pour Ali (384), Raj (385) et des milliers d’autres.

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Près de 70 personnes se sont réunies samedi soir devant le parc Richelieu pour rendre hommage à Ali et Raj, deux jeunes exilés turcs morts dans la nuit de jeudi à vendredi sur l’autoroute, a proximité de Grand-Fort-Philippe.

S’il est au fil des ans de plus en plus difficile pour chacun et chacune de tenir la froide comptabilité du nombre de mort à la frontière (385 depuis 1999, 20 sur la seule année 2023) tout le monde savait qu’il s’agissait ce soir de la troisième commémoration de la semaine.

Une bénévole qui assurait l’assistance téléphonique la nuit du drame, témoigne bouleversée :

« Tout s’enchaîne. Un appel vidéo est reçu. Des personnes crient. Un visage au sol est filmé, il est ensanglanté. Il faut réagir vite. Nous contactons le 112, expliquons la situation et indiquons la position du groupe sur l’autoroute grâce à la géolocalisation en direct. Nous leur disons de ne pas rester sur la route, de passer derrière la barrière de sécurité. Nous nous engageons sur l’autoroute pour leur dire qu’il ne faut absolument pas rester sur la chaussée et que nous avons appelé les pompiers. Une fois sur l’autoroute, on découvre une scène insoutenable. Deux hommes gisent au sol et le reste du groupe se rue sur la voiture pour demander de l’aide. Nous réalisons qu’un véhicule les a percuté. »

Un récit terrible qui fait pourtant écho à d’autres racontés en ces mêmes lieux par d’autres personnes, en d’autres temps.

« Il y a une forme de répétition, de banalisation, d’automatisme à commémorer les morts » déclarera Juliette Delaplace, coordinatrice au secours catholique et triste habituée de cette cérémonie funéraire. Elle poursuit : « On devient – C’est horrible ce que je vais dire, mais parfois c’est ce que je pense – des professionnel.les de la gestion des décès à la frontière. Et c’est insupportable en fait de gérer par automatisme des morts qui s’accumulent. »

Depuis un moment maintenant, il devient difficile pour chaque personne que ce drame affecte de trouver et prononcer en public ce qui n’a pas déjà était dit cent fois, de réussir à extirper chaque hommage de l’indistinction qu’impose l’écrasante liste du nombre de victime déroulé au sol, de sortir chaque personne exilée de l’indifférence généralisée.

« Vu que ces gens là n’ont pas eu de respect et de dignité, en tout cas pas des autorités, ici à la frontière on essaye d’apporter un tout petit peu, comme on peut, le respect et la dignité dans la mort. »

conclura Juliette après avoir rappelé l’existence d’un concept qui grâce au travail d’élue.s locaux et (trans)nationaux s’épanouit tragiquement ici à la frontière.

« Il y a ce terme qu’on a déjà nommé dans les commémorations de “nécropolitique”. Une politique à la frontière qui a complètement admise le fait qu’il y avait de la mort et que c’est même presque une technique de dissuasion pour empêcher les personnes de venir. « 

Un prochain rassemblement aura probablement lieu lundi, le temps pour le groupe Décès de savoir si le corps de la personne repêchée au large de Berck dans la nuit de vendredi à samedi est bien celui d’un de ces hommes pour qui les politiques administratives xénophobes en cours ici, chez nous, ont supprimé le droit de vivre dignement.