Buffalo Grill Calais : grève sur la fête des mères

« On fait ça aujourd’hui justement, parce que c’est une journée à 20 000 euros pour eux… »

Steeven, serveur.

Pour la fête des mères, le service du Buffalo Grill de Calais n’a pas aussi bien tourné que d’habitude. Dans un parking clairsemé, les salarié.es du restaurant se sont mobilisé.es à l’entrée pour inciter les clients à faire demi-tour par solidarité avec des conditions de travail que chacune et chacun trouvent de plus en plus déplorables. Entre heures supplémentaires non payées, carences matérielles dans l’équipement d’hygiène, planning sur 48h, les salarié.es en gilet CFDT réclament respect et considération. Dans un contexte de crise du recrutement au sein des métiers de l’hôtellerie, la demande est simple : reconsidérer le métier en revalorisant salaires et compléments. Actuellement, les salarié.es de l’enseigne à cornes touchent 8€ de prime de participation aux bénéfices… par an.

Je le dis très clairement : si dans quinze jours à la fête des pères ça doit revenir, on refera la même chose. […] J’espère que certains Buffalo vont prendre exemple sur Calais et qu’ils vont continuer, que ça va s’étendre et que ça va aboutir à quelque chose, c’est tout ce que je demande.

Guillaume Guilbert, responsable de salle.
Tract édité par les salarié.es de Buffalo Grill Calais

Guillaume Guilbert:
Je trouve inadmissible qu’aujourd’hui on ait un Buffalo qui soit dégradé. On travaille dans des conditions inadmissibles. Quand on demande des réparations, ça dure six mois, voire plus, voire pas du tout. On nous refait des façades, c’est bien, mais à l’intérieur, c’est dégradé, archi dégradé. Ensuite, on a un certain retard de salaires, sur les heures sups, ils nous font croire que tout est payé mais pour moi c’est des mensonges. On décale les heures sup sur plusieurs fiches de paie. On a besoin de nos salaires et ça c’est super important parce qu’on a une inflation en France qui est super importante. La restauration, c’est un métier super difficile. Je ne parle pas que de Buffalo Grill mais de toute la restauration en globalité. Et je pense que les salaires doivent être revalorisés. Au bout d’un moment, on n’a pas de week end, pas de fériés, on n’a aucune condition. On a des ANCV (chèques vacances) tous les deux ans. Alors oui, c’est bien beau, mais tous les deux ans… on part tous les ans en vacances. c’est bien, je suis content de les avoir. C’est quand même un droit qu’on a et je suis content de les avoir. Mais la moindre des choses, c’est de les avoir tous les ans. Je pense que tout le monde ici… La plupart, ont tous des enfants. on n’a déjà pas beaucoup de salaire… Je pense que déjà avoir ces petites possibilités d’avoir ces petits droits… c’est pareil, Les chèques de Noël, on nous donne 60 €… 60 €, c’est quoi? C’est une chaîne qui gagne des millions, des milliards d’euros! Les agents de restauration qui font les desserts, la plonge et grilladins touchent le Smic et tous les deux mois ils touchent une prime de 200 euros. 200 €, c’est s’ils sont présents, s’ils n’ont pas d’arrêt maladie. S’ils ont une absence, un arrêt maladie ou quoi que ce soit, cette prime saute. Il y a beaucoup de grilladins ici, à l’intérieur, qui voulaient absolument faire grève. Ils sont d’accord avec nous, mais ils ont dit: “désolé(, mais on va perdre 200 €, c’est trop, en fait”.
Aujourd’hui on a trois aspirateurs, dont deux, qui galèrent un peu. Aujourd’hui, quand on finit un service, on a envie de rentrer chez nous. Quand on a des serveurs qui font 60 couverts au soir et qu’on finit à minuit parce qu’il n’y a qu’un aspirateur pour tout le monde et qu’on se le fait tourner, t’as quatre serveurs qui attendent, qui attendent encore dix minutes le temps l’autre finisse… Non.
C’est pour ça que ça a été mis dans ce tract, quand on fait des demandes comme celle-ci, c’est toujours un mois, deux mois, trois mois, voire même plus longtemps! Il faut attendre je ne sais pas combien de temps pour obtenir ce dont on a besoin. Forcément un balais, ça s’use et il faut les changer. C’est jamais changé! C’est pareil, c’est question d’hygiène, on travaille en restauration, on a des règles à respecter. Je suis désolé, mais au bout d’un moment, travailler avec du matériel correct, c’est la moindre des choses. C’est comme les frigos qui lâchent. Des fois, on nous laisse comme ça et puis on nous dit: “Ah bah, allez chercher un camion frigo!” Ouais… et le frigo va être réparé quand? Dans quatre jours, cinq jours et ça dure une semaine des fois… Et puis on vient et puis deux semaines après, c’est la même chose. Mais tout ça, c’est eux [les serveurs et personnel de salle] qui trinquent. C’est des heures pour rien. Nous aussi, on a envie de rentrer chez nous.

Steeven Héricourt (à une cliente entrée dans le parking du resto, dans sa voiture):
…De toute façon, le service est très fortement perturbé, je préfère vous prévenir. On fait ça justement parce qu’aujourd’hui c’est une journée à 20 000 € pour eux… Bonne fête des mères, Madame! Je vous donne le petit tract pour déployer les conditions de travail ainsi que les heures supplémentaires pas payées dans les temps, ainsi que les plannings qui sont fournis 48 h à l’avance.. Ce qui nous permet, nous, avec nos familles de ne rien pouvoir prévoir dans la semaine. Je vous invite fortement à faire demi-tour, à faire un gros klaxon par solidarité.

Calais La Sociale:
Comment ils prennent les gens ce que tu racontes, là ?

Steeven:
Alors pour ne pas vous mentir, 80 % des gens repartent. parce que qu’ils sont solidaires avec nous, qu’ils en ont vraiment ras le bol aussi.

Calais La Sociale:
Toi, ça fait combien de temps que tu es employé ici?

Steeven:
Ça fait trois ans. Trois ans, ouais.

Calais La Sociale:
Dans la mesure où la restauration est un secteur où il n’est pas banal de se mettre en grève, qu’est ce qui fait qu’un employé se dit d’un coup: « Demain je viens, mais je travaille pas” ?

Steeven:
Les conditions de travail qui sont médiocres, les heures supplémentaires, pas payées dans les temps, les plannings affichés 48 h à l’avance, 48 h! Donc moi, trois enfants… Je prévois rien avec ma famille. Tous les gens qu’on sert, la moitié c’est des habitués. Nous, on est des serveurs, c’est familial. Donc on est rigolo avec les enfants, on parle, on a de la tchatche, on essaie de faire que les gens passent un bon moment en fait. Ils viennent pas que manger, on leur offre un service, autre chose, une distraction. il y a certaines personnes d’ailleurs, elles arrivent dans le sas: “On veut être servi par telle personne…” et ça arrive souvent ! Même on prend des réservations: “on veut être servi par Rémi”, “on veut être servi par Ludo Abdoul”, “on veut être servi par Steeven”… Ça arrive souvent. C’est les gens qui décident. Ils ont le droit, ils ont leur habitude et on la respecte. Et nous, on aime bien aussi avoir nos clients habitués.

Calais La Sociale:
Et là ce midi, ils arrivent, Ils vous voit avec des chasubles…

Steeven:
C’est tout de suite demi tour! C’est: “je comprends…”. Ils sont compréhensifs avec nous, les prix ont augmenté aussi pour eux. Donc nous, on a une baisse de salaire et de compléments, mais eux aussi ils prennent une hausse des prix qui ne se répercute pas sur notre salaire, ni sur la participation aux bénéfices d’ailleurs qui est à hauteur de 8 euros. 8 euros par an…

Guillaume :
Pour arriver à la mobilisation d’aujourd’hui, on a beaucoup travaillé. Toutes les personnes qui sont ici et même celles qui sont à l’intérieur, on leur en a parlé, on leur a dit: “voilà, à ce moment là, on va faire une grève…” On savait que ce jour là [la fête des mères], c’était le moment précis pour la faire. Et si on doit recommencer on le refera. Aujourd’hui, on sait qu’on a un petit cocon de personnes qui veulent le faire et montrer aux autres Buffalo que c’est possible, qu’il faut faire avancer les choses. Il faut que ça avance en restauration, pas qu’à Buffalo Grill, mais sur toutes les chaînes de restauration, et même hors restauration. Il faut que ça avance. Il faut que les rémunérations soient correctes. On a quand même pas de week-end, pas de férié. Alors on est d’accord, on est en restauration, on le sait. Mais un minimum, c’est pour moi augmenter les salaires.
Je le dis très clairement: si dans quinze jours à la fête des pères ça doit revenir, on refera la même chose. Parce que perdre du salaire façon aujourd’hui on en perd tous. Donc même perdre une journée de salaire, tant pis. Et on le refera. S’il faut le refaire pour avoir les choses, on le refera. Et j’espère que certains Buffalo vont prendre exemple sur Calais et qu’ils vont continuer, que ça va s’étendre et que ça va aboutir à quelque chose, c’est tout ce que je demande.