En attendant la punition : rassemblement en soutien à Bryan Fackeure

Ce vendredi 12 juillet, un rassemblement était organisé devant l’usine Alcatel Submarine Network (ASN) de Calais pour soutenir Bryan Fackeure, salarié de l’entreprise et délégué syndical, convoqué par sa direction après un entretien qu’il a accordé à Calais la Sociale et à Nord Littoral. Il risque le licenciement pour avoir alerté le public sur la situation de l’usine. Nous retranscrivons ici les prises de parole.

Cinquante personnes se sont rassemblées devant l’usine Alcatel pour soutenir Bryan.


Bryan Fackeure (salarié et délégué syndical chez ASN)

Je vous remercie tous d’être venus pour me soutenir. J’ai fait mon entretien. Les faits reprochés sont par rapport à la vidéo, ce qui a été dit. Maintenant la direction s’est engagée à me donner son choix sur la sanction avant la fermeture du site, d’ici la fin du mois. Je serai fixé sur mon sort d’ici la fin du mois. J’espère que ça n’ira pas trop loin. Afin de préserver ma situation, pour ne pas qu’elle s’aggrave, je ne peux pas en dire plus. Mais encore une fois, je vous remercie d’être venus me soutenir aujourd’hui.


Vivien Orléach (fédération métallurgie de la CFDT)

Je suis venu ici pour soutenir Bryan et lui assurer notre soutien sur la défense. Aujourd’hui, c’était une première étape, il en restera d’autres. Et peut-être que vous serez invités à vous remobiliser autour de ça. Il y a l’inspection du travail, il peut y avoir des recours au ministère pour défendre notre délégué syndical central et l’appuyer du mieux qu’on peut faire. Et on vous tiendra informés des suites. Aujourd’hui, on attend. On va travailler ensemble et on va voir les suites qui seront données.


Pierre Muys (Calais la Sociale)

Ce qui arrive aujourd’hui à Bryan n’est malheureusement pas une exception.

Ce qui arrive n’est pas un cas isolé, c’est même tout le contraire. 

Ce qui arrive à Bryan est l’application de la règle.

C’est la démonstration froide de la subordination salariale ordinaire.

Si les débats sont plus souvent orientés sur les faits divers que sur les souffrances au travail ce n’est pas parce que ces souffrances n’existent pas ou qu’elles n’intéressent personne.

La grosse sourdine placée sur ces drames, nos drames, est un épais voile occultant posé sur nos vies.

Ce silence est une décision politique. Ce silence est un choix éditorial, un putain d’outil de manipulation des travailleurs et travailleuses de ce pays.

Ce qui est donc exceptionnel aujourd’hui, c’est que nous sommes au courant pour Bryan, que la nouvelle ait fuité des taules situées derrière nous. Combien de cas similaires existe-t-il dans les 800 et quelques entreprises que comptent le Calaisis ? Combien d’histoires de sanctions occultées ? Combien de vies de salariés bouleversées pour avoir simplement commenté les décisions de leur direction ? Quel régime politique règne-t-il à l’intérieur toutes nos entreprises autoritaires ?

Nous ne parlerons jamais assez de ce qu’il se passe sur nos lieux de travail.
Il faut y dénoncer l’absence de droits, témoigner de l’obéissance de plus en plus lourde, de plus en plus oppressante qu’on nous impose chaque année. Il n’y a eu aucune avancée sociale pour les travailleurs de ce pays depuis que je suis né.

Nos vies professionnelles nous rendent souvent tristes, amers, sinistres. Nous aurions aimé vivre quelque chose d’autre, bosser pour un objectif plus significatif, avoir le droit nous aussi d’être fiers de ce qui nous arrive.

Que nous obéissions en entreprise ne suffit pas au patronat. Ce n’est pas assez. Il faut pour nous travailler beaucoup, obéir enormément et surtout se taire en permanence. Souscrire à un forfait de trouille d’une durée de 43 annuités.

Le rachat par l’État ne changera rien chez Alcatel. L’État c’est un actionnaire comme un autre, ils ont les mêmes objectifs de compétitivité. Les salariés restent un variable d’ajustement de ce système.

Ce qui est exceptionnel aujourd’hui, c’est donc que nous nous mobilisons ensemble pour nous opposer à ces méthodes d’oppression bourgeoises, à cette subordination patronale incessante.

Il n’y a pas que des mecs en chasuble et drapeaux syndicaux qui sont venus aujourd’hui, c’est important de le signaler, de voir, d’en prendre conscience, et de le dire à qui doit l’entendre. Nous ne sommes plus seuls.

De plus en plus, nous réalisons que l’engagement politique ne peut plus se limiter aux campagnes électorales. Notre vie locale et quotidienne est un espace à réinvestir, à se réapproprier.

Ce que nous faisons ici n’est pas un acte de charité pour un travailleur injustement lésé. Ce que nous faisons ici n’a rien à voir avec la morale. Nous organisons notre solidarité pour défendre des intérêts communs. Que l’on soit travailleur en exil, au RSA, chômeur, smicard, gréviste, licencié précaire ou ubérisé, que nos opinions politiques nous divisent en électeurs de gauche, droite, nous sommes tous, qu’on vote Front populaire ou Rassemblement national, soumises et soumis à une organisation du travail qui nous abîme, nous déprime, nous humilie, nous persécute, et qui parfois nous tue. Réalisons que la condition des travailleurs dans ce pays est catastrophique.

Nous avons l’obligation matérielle de reprendre le chemin de la lutte contre l’exploitation au travail. Nos premiers adversaires sont ceux qui détiennent tous les pouvoirs, qui concentrent toutes les richesses et les propriétés. Ils s’emparent de tout, jusqu’à la tête de l’État et de ses instances, devenues à leur tour bourgeoises sinon complices. Il n’y a pas d’autre ennemi que cette classe sociale dominatrice et écocidaire. Ne doutons pas de cela, car de leur côté, ils savent très bien où nous caser. Ils ne ferons jamais de nous leurs collègues, amis ou alliés. Au mieux, nous serons leurs « collabo-rateurs ». Leur intérêt est de nous réduire dans tous les sens que le terme réduire implique.

Nous subissons une guerre sociale.

Il est donc impératif de continuer à s’entraider, de faire front et de lutter ensemble. Ne rien faire, c’est laisser le patronat dominer nos vies, écraser nos parents, nos amis, nos frères et sœurs, nos enfants.

Aujourd’hui, en nous rassemblant pour Bryan et pour toutes celles et ceux qui suivront nous prouverons que nous sommes plus forts ensemble. Nous prouverons que la solidarité n’est pas un mot vide, mais une réalité vivante et puissante. Nous prouvons que l’injustice peut être combattue, que la dignité peut être restaurée, et même que l’espoir peut renaître dans des moments aussi sombres que ceux que nous traversons. Nous nous battons non seulement pour Bryan Fackeure, mais pour chacun et chacune d’entre-nous. Pour nos collègues, nos familles, et pour tous ceux qui souffrent en silence. Nous nous battons pour un futur où chaque travailleur peut se lever le matin sans avoir les jetons, pour que nos voix soient entendues, écoutées.

Demain nous allons gagner.

Nous allons gagner parce que nous n’avons pas le choix et qu’il est compliqué de perdre davantage. Et si, par hasard, nous ne gagnons pas demain nous prouverons d’ici après-demain par notre union que la convivialité et la camaraderie sont plus forts que la peur et la soumission. Ensemble, nous transformerons notre lutte en une victoire collective, en un avenir où chacun pourra enfin vivre et travailler dans la dignité.

On va gagner parce que les bourgeois, les capitalistes et les patrons c’est des gros cons !


Valentin De Poorter (Calais la Sociale)

« Prendre en compte les problématiques des salariés, ce n’est pas simplement un truc qu’on règle le temps d’une pause cigarette au fumoir. Il faut aller au cœur des problèmes. Et ça, la direction ne le fait plus. À partir de là, la fracture se crée. »

Ces mots, ce sont ceux de Bryan, et que la direction d’Alcatel le veuille ou non, nous continuerons de les lire, de les dire, de les écrire, de les soutenir et de les applaudir.

Cette direction, aujourd’hui, doit se ressaisir. Par son incompétence et sa résistance à la démocratie, elle met en danger l’usine, les personnes qui y travaillent et leurs familles.

Qui dirige cette entreprise aujourd’hui ? Qui donne les ordres ? Pas des ingénieurs, pas des techniciens spécialistes du câble sous-marin. Ce serait pourtant utile, c’est ce que l’usine produit. Mais non : les patrons industriels ont été remplacés par des financiers, par des gestionnaires incapables de voir plus loin que le bout de leur bilan financier. Ainsi sont données des consignes absurdes qui ne prennent pas en compte la réalité du travail et mettent l’entreprise en grand danger : la production a été divisée par deux, le résultat opérationnel est en chute libre et la qualité des câbles se dégrade.  

En plus d’être incompétente, cette direction résiste à ce qui peut sauver l’usine : la démocratie, les compétences des salariés. Il y a chez les salariés un sentiment d’être toujours livrés à eux-mêmes face aux problèmes, de ne jamais être écoutés, de ne pas pouvoir apporter leur pierre à l’édifice. Regardez l’architecture de ce lieu. D’un côté, l’usine et les bureaux de la direction. De l’autre, à bonne distance, presque au-dehors, loin de la production et des lieux de décisions, les préfabriqués des syndicats. La démocratie à l’écart. Les salariés n’ont pas leur mot à dire, ni sur ce qui est produit, ni comment c’est produit. C’est un problème et la direction d’Alcatel à tout à perdre si elle ne prend pas davantage en compte la parole de celles et ceux qui connaissent le travail réel, celles et ceux qui alertent quand quelque chose ne va pas. Car les salarié·es aussi ont tout à perdre, comme les salariés et les familles de Synthexim, Meccano, Prysmian, Desseilles, Catensys et bien d’autres avant ont tout perdu.

La direction d’Alcatel a fait le choix de déclarer la guerre à Bryan. Et ce n’est pas seulement la guerre d’une direction contre un de ses employés. C’est la guerre de tout un système contre toute une classe. À travers Bryan, c’est tous les salariés et les syndicats qui sont attaqués. Alors il faut faire corps. C’est ce que nous faisons aujourd’hui à Calais. Et nous aurons à le faire encore plus fort demain, ici et ailleurs. Nous avons à construire l’unité de la classe ouvrière, de la classe populaire. Nous avons à construire un “nous”, un sentiment : l’amour d’appartenir à une classe que nous avons en partage en réveillant conscience après conscience, cœur après cœur. Rassembler, rassembler, rassembler toutes celles et tous ceux, dans leur diversité, que le néolibéralisme exploite et abîme. 

Car c’est de l’unité de la classe ouvrière que naîtra son organisation, de son organisation que naîtra sa structure et de sa structure que naîtront ses victoires. 

Force à Bryan et à toutes les travailleuses et travailleurs.