Prysmian : le discours de Sophie Agneray à Paris

Devant plusieurs milliers de personnes, place Gambetta à Paris, Sophie Agneray a prononcé un grand discours pour dénoncer la fermeture de l’usine calaisienne Prysmian-Draka et les conséquences des licenciements sur les familles. 


Le discours en intégralité


Les fermetures d’usines, nous dans le Nord, on a l’habitude. À la télé, on vous montre des ouvriers qui perdent leur emploi, des syndicalistes énervés, des visages d’hommes. Toujours des visages d’hommes.

Mais on ne vous montre pas, jamais, les visages des femmes, les visages des enfants qui, dans l’ombre, subissent aussi les conséquences des plans sociaux, subissent aussi la violence des actionnaires et des marchés financiers !

Ces visages, ces femmes : les voilà ! Elles sont là ! Nous sommes là ! Devant vous ! Avec vous !

Je m’appelle Sophie Agneray, j’ai 48 ans. J’habite à Calais et je suis porte-parole d’un collectif de femmes de licenciés. Depuis trois mois, nos familles subissent la violence d’une multinationale qui s’appelle Prysmian. Où est l’État ?

Depuis trois mois, Prysmian est entrée dans nos foyers pour y semer l’angoisse, le chagrin et la terreur.

Du jour au lendemain, ils ont décidé de fermer l’usine, de prendre le boulot de nos hommes, leur salaire, notre avenir.

Les crédits à rembourser… Pour la maison, pour la voiture, pour les travaux, pour les études des enfants. Et les frais médicaux, les frigos à remplir, les assurances à payer.

Depuis trois mois, il y a des femmes qui ne dorment plus, qui ne mangent plus, qui ne peuvent même plus travailler.

Voilà ce qu’il y a dans l’ombre. Voilà ce qu’on ne dit pas. Des dizaines de femmes violentées, malmenées, méprisées par des actionnaires inquiets pour leurs profits.

Nous avons décidé de nous lever, pour la première fois en France, de parler, de dénoncer les injustices et les abus, de nous exposer publiquement pour protéger nos conjoints, nos foyers, nos vies et nos enfants. 

Et vous savez quoi ? On nous a méprisées. Prysmian nous a méprisées. L’État nous a méprisées.

Des dizaines de mails, des dizaines de prise de contact. Et rien. 

Pourquoi la femme devrait subir la violence et faire silence ? Pourquoi ? Si on parle fort, on est hystériques. Si on chuchote, on est fades. Alors ?

En ce moment, quand j’essaye de trouver le sommeil, je me demande : « Qu’est-ce qui est le moins pire ? La violence physique ou la violence psychologique, émotionnelle, insidieuse ? »

Il y a longtemps, j’ai connu la violence physique. L’humiliation. La blessure ouverte. Les plaies à vif. Les cauchemars. Tout ça, je sais. Je connais.

Si je suis parmi vous aujourd’hui, c’est que celui qui allait devenir mon mari m’a relevée, il m’a réconfortée, il a soulagé mes blessures. Il m’a réconciliée avec les hommes.

Et pourtant, je ne sais pas dire ce qui est pire. Ce qui arrive depuis trois mois. C’est d’une violence innommable. 

 Il y a quelques jours, on m’a demandé si je me sentais féministe. J’ai hésité, j’avoue. Je me suis cachée et j’ai répondu : « C’est subjectif tout ça ! » J’avais peur du mot, de ce qu’il pouvait signifier.

Et ma fille de 22 ans, Karla, a parlé.

Elle m’a dit : «  Être féministe, c’est réclamer l’égalité des droits, le droit de s’asseoir autour d’une table avec un député, le droit de pouvoir s’asseoir à toutes les tables ! »

C’était pourtant si simple. Ses mots ont fait écho dans la pièce, en moi. Comme un poing sur une table. Sans violence, avec élégance.

Mon mari m’a relevée quand j’en ai eu besoin. Aujourd’hui, c’est moi, c’est nous, qui portons nos époux, nos conjoints. Nous sommes leur bouclier. Nous nous battons à leurs côtés.

J’ai pensé, pendant un moment, qu’être féministe c’était être contre les hommes. Je sais désormais qu’on ne peut être féministes qu’avec les hommes. Côte à côte, égaux en droits. Tous ensemble. 

Je n’ai plus peur de le dire : plus que jamais, je suis, nous sommes, féministes

Quelle joie d’être avec vous ! D’être lovée, entourée de vous !

Ici, nous transpirons ensemble l’émancipation. Ici, nous respirons la résilience et nous harmonisons de notre puissance. Nous ne sommes plus seules, nous les femmes de Calais !

Grâce à vous, les femmes des salariés de Calais existent aussi. Elles sont des chrysalides en transformation et ce soir, elles repartirons à Calais en papillon.

Encore plus fortes.

Je finirai en disant ceci.

Que des actionnaires blessent et humilient, ça me révolte mais ça ne m’étonne pas.

En revanche, que l’État nous méprise et nous abandonne, nous les femmes de Prysmian, c’est impardonnable. J’ai écrit au président de la République. On a envoyé des dizaines de mails au gouvernement. Pas de réponse. Que de l’ignorance. Que du mépris.

Alors, que faut-il faire pour attirer son attention ? Promettre des bébés en échange d’une intervention de l’État ?

Personne ne décidera jamais, jamais, de ce que sera mon corps, ce que sera ma vie, ni l’État, ni les marchés financiers !

Alors, puisque nous sommes à Paris et qu’on m’a donné un micro, je m’adresse encore à eux. Encore à l’État. Encore au gouvernement. Pour nos hommes qui sont aujourd’hui à la table des négociations, pour nos femmes, pour nos enfants.

J’ai une requête et ils le savent tous très bien depuis quelques jours. 

J’ai dans mes mains mon téléphone et aujourd’hui, journée internationale des droits des femmes, je veux qu’il sonne. Aujourd’hui ! 

Merci à toutes de briller sans faire mal aux yeux !