Prysmian-Draka : on vous résume trois mois de lutte sociale

Le dernier jour des négociations entre la direction du groupe Prysmian et la délégation syndicale est arrivé. Ce vendredi 1er mars, trois mois après l’annonce de la fermeture de l’usine calaisienne Prysmian-Draka, les représentants des salariés tenteront de faire plier la multinationale pour obtenir les meilleures conditions de départ. Avant la reprise des négociations, on vous résume trois mois d’une lutte sociale pas comme les autres.

Photo : Arthur Vleirick.

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Tout commence le 20 novembre 2023. Ce jour-là, les salariés sont conviés à une réunion par leur direction qui annonce, contre toute attente, la fermeture pure et simple de l’usine et le licenciement des 82 salariés. La direction veut aller vite et fermer l’usine en février.  

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Pour se justifier, la direction invoque « des pertes significatives attendues dès 2024« . Première raison : l’usine produit de la fibre optique et son déploiement est presque terminé sur le territoire français, dix ans après le lancement du Plan France Très Haut Débit.

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Pour info, le PFTHD représente un investissement de 13,3 milliards d’euros de fonds publics qui a permis l’équipement en fibre du territoire… et à certaines usines, comme celle de Calais, de tourner à plein régime et de remplir les caisses du groupe Prysmian.

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Seconde raison : la perte d’un gros contrat avec les Américains et « le durcissement des conditions de marché » en Europe. La direction décrit une « absence de perspectives à l’export » qui conduit le groupe à baisser sa production et concentrer ses activités sur d’autres sites. 

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Dans une interview à Nord Littoral, l’un des PDG du groupe Prysmian explique que « cette lourde décision était nécessaire pour entretenir la pérennité industrielle du groupe en France« . Traduction : les salariés calaisiens sont sacrifiés pour le bien-être financier du groupe Prysmian.

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Pour résumer, le groupe Prysmian veut fermer son usine alors qu’elle dégage encore des bénéfices (voir plus bas) et qu’elle ne perd pas d’argent. De simples prévisions sont invoquées pour faire basculer les vies de 82 salariés et celles de leurs proches.

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Le groupe Prysmian, c’est un chiffre d’affaires de 16 milliards d’euros (2022) et 1,6 milliards de bénéfices (estimation 2023). Le groupe possède 108 usines dans plus de 50 pays (dont 10 en France) pour 30 000 employés.

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Le groupe Prysmian aurait bien aimé que ses salariés acceptent leur sentence sans dire un mot… Sauf que les 82 salariés (95% d’hommes) et leurs conjointes et épouses vont très vite devenir une épine dans le pied de la direction…

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Autour de l’usine, nous interrogeons un acteur de la politique locale, habitué des plans sociaux : « Que faut-il espérer pour l’usine ?« , demandons-nous.  « Rien« , nous répond-il du tac au tac. Et il reprend : « S’ils veulent fermer l’usine, ils réussiront parce qu’ils ont toujours réussi. En revanche, les syndicats vont devoir se battre pour faire payer le groupe et obtenir le maximum pour les gars de l’usine. Il n’y a que ça à obtenir dans ce genre de situation« . 

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Le rapport de force commence. Cinq jours après l’annonce de la fermeture, 400 personnes se rassemblent devant l’usine à l’appel des salariés. Ce jour-là, le sentiment qui domine n’est pas encore la colère mais une tristesse stupéfaite. Les familles sont abasourdies.

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Il faut dire que les salariés et leurs proches n’étaient pas préparés à la fermeture de l’usine, annoncée subitement et  brutalement. Dans les familles, on pensait déjà à l’avenir : comment payer le prêt de la maison ou le loyer, la bagnole, les études des gamins…    

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Dans les familles, la peur du déclassement se fait sentir. La peur de ne plus pouvoir partir en vacances, de devoir vendre la maison : perdre tout ce qu’on a obtenu avec sa force de travail et revenir à la case départ. 

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Tout ça est très important pour comprendre l’intervention d’un groupe social qu’on voit rarement dans les luttes lors des fermetures d’usines et qui va peser dans le rapport de force : les conjointes et épouses des salariés. 

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Dans l’usine Prysmian-Draka de Calais, 95% des salariés sont des hommes. Très vite, leurs conjointes et épouses vont se constituer en collectif. Leur premier acte : réclamer le report des négociations au mois de janvier, après les fêtes de fin d’année. Refus de la direction. 

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Deuxième acte : une lettre au président de la République. Le 1er décembre, Sophie Agneray, porte-parole du collectif, lit une lettre devant notre caméra pour demander au président d’intervenir. Une lettre laissée sans réponse. 

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Pendant ce temps-là, les négociations débutent et avancent lentement. Les sujets sont nombreux : accord de méthode, choix du cabinet de reclassement, durée des congés de reclassement, préretraite… Dans un premier temps, les représentants des salariés obtiennent des garanties.

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Au beau milieu des échanges, un chiffre confidentiel et embarrassant pour le groupe Prysmian fuite : 5,4 millions d’euros. Ce sont les bénéfices de l’usine calaisienne en 2023, en hausse de… 400% par rapport à 2022 (900 000 euros). 

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Les représentants des salariés demandent à aborder la question de la prime supra-légale. Explications : quand une entreprise ferme un site de production pour des raisons économiques, les salariés reçoivent obligatoirement une indemnité de licenciement…calculée selon des critères spécifiques prévus par le Code du travail. En plus de cette indemnité légale de licenciement, il existe l’indemnité supra-légale qui n’a rien d’obligatoire et qui est le fruit de négociations entre les représentants des salariés et la direction.

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Compte tenu des excellents résultats du groupe Prysmian et de l’usine calaisienne, et considérant la brutalité des méthodes du groupe pour annoncer la fermeture du l’usine, les syndicats estiment être en mesure de réclamer 100 000€/personne et 3000€/ année d’ancienneté. 

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Une demande démesurée selon la direction qui quitte la table des négociations le 21 février dans la matinée. Quelques heures plus tard, la direction est revenue avec une proposition : 10 000€/salarié. Un chiffre qui a fait bondir les représentants des syndicats. 

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Le lendemain, dès 6 heures, l’usine était bloquée pour la première fois depuis l’annonce de la fermeture du site. Même si elle était à l’arrêt depuis fin novembre, l’usine est remplie de matières premières, de machines neuves, etc.

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Dès ce moment, les négociations se tendent. Les syndicats sont intransigeants avec la direction : ils savent que la direction a les moyens de financer un plan social de qualité pour les salariés de l’usine. 

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À l’extérieur de la salle où se passent les négociations, le collectif des femmes appuie le rapport de force et se fait offensif. D’abord conçu comme un espace de parole et de soutien mutuel, le collectif devient un acteur de premier plan du combat.

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Après cette montée en tension, la direction du groupe Prysmian prétend craindre pour sa sécurité. « La direction veut nous décrédibiliser, nous neutraliser. Le collectif vous garantira la sécurité. À vous de garantir la notre » rétorque Sophie Agneray.

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Les négociations se poursuivent dans un climat tendu. Les propositions de la direction sont à la hausse (15 000€) mais conditionnées à la baisse des garanties déjà obtenues. Les syndicats acceptent de baisser leurs exigences : 60 000€ + 1500€ par année d’ancienneté.

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Alors que les négociations patinent et qu’elle doivent prendre fin le vendredi 1er mars, les salariés et leurs proches appellent leurs soutiens à se manifester, notamment les politiques dont ils demandent l’intervention. 

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Un rassemblement est organisé mercredi 28 février dans le hall du bâtiment où a lieu les négociations. François Ruffin annonce sa présence. Sur place, une centaine de personnes attendent le début d’une nouvelle après-midi d’échanges entre la direction et les syndicats.

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Soudain, un mail tombe. La direction annule sa venue et prétend craindre pour sa sécurité. Sur place, les salariés n’en reviennent pas. « On sait très bien que s’il y a de la violence, on a tout perdu » réagit Danny, un salarié.

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Grégory Agneray, délégué syndical : « Ils se placent désormais en victimes. Qui sont les victimes ? Qui perd son emploi ? Qui est maltraité psychologiquement depuis le 20 novembre ? ». Il rappelle par ailleurs que l’usine n’a subi aucun dégât et que tout se passe dans le calme depuis 3 mois.

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François Ruffin prend la parole : « Ce sont eux qui mènent aujourd’hui une guerre contre vous. L’insécurité, c’est vous qui la vivez » déclare le Picard, dénonçant au passage l’absence inacceptable de l’Etat, incapable de protéger les salariés de l’usine.

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Les négociations ont donc repris hier, jeudi 28 février, avec de nouvelles propositions de part et d’autre. Les syndicats et la direction ne sont pas parvenues à un accord avant la dernière journée de négociations, prévue aujourd’hui.

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S’il n’y a pas d’accord, la direction enverra un document unilatéral à la Dreets (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) qui validera ou non le plan social. Dans ce cas, c’est la direction qui décide de A à Z de ce que contient le document.

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Si la direction choisit d’imposer sa version du plan social. La tension montera encore à Calais et les choses pourraient dégénérer. Le combat pourrait alors se terminer devant les tribunaux qui auraient à se prononcer sur le contenu du plan social. 

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La journée d’aujourd’hui, dernière des négociations en cours depuis 3 mois, s’annonce donc décisive pour les salariés et leurs proches. Beaucoup de choses se jouent dans ces derniers instants, notamment des pressions politiques. 

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En effet, le député François Ruffin, la sénatrice Cathy Apourceau et le président de la Région Xavier Bertrand ont envoyé en urgence un courrier au gouvernement qui brille par son absence depuis le début de cette affaire.

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Un autre acteur politique inexistant : le député local Pierre-Henri Dumont, contrairement à Cathy Apourceau (PCF) mobilisée depuis le début sur les dossiers industriels qui ont fait l’actualité calaisienne depuis un an. 

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La maire de Calais, Natacha Bouchart, intervient aussi sur le sujet. Elle a échangé hier avec le PDG de Prysmian, exigeant que les demandes des salariés soient intégralement satisfaites. Demain matin, elle participera à une réunion avec le préfet et la sous-préfète. La Dreets, instance évoquée plus haut, est placée sous leur autorité. 

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Voilà, dans les grandes lignes, l’histoire de l’usine Prysmian-Draka de Calais. L’histoire d’une lutte pour faire payer une multinationale qui ferme une usine qui ne perd pas d’argent. L’histoire d’une bagarre de salariés et de leurs familles contre les puissants. Un énième spin off d’une lutte contre la violence du marché. Jusqu’à quand ?

Par Valentin De Poorter