Démocratie matraque

Le jeudi 23 mars avait lieu la neuvième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites. Neuf. Ça nous paraît finalement assez peu, les deux derniers mois de mobilisation furent si denses.

​On a pris le temps de regarder un peu en arrière pour faire les comptes. À Calais, les citoyen.nes ont eu le droit à 19 journées pour se rencontrer, discuter et se mobiliser contre la réforme et l’obstination comptable de ces gens qui nous imposent de bosser deux ans de plus.

« On est affamé de pouvoir citoyen, de puissance démocratique »

De notre côté, en tant que tout petit média bredouillant, 19 jours c’est costaud à couvrir en à peine plus de deux mois. On est étudiante, infirmière, intermittent, informaticien, professeur, maman et papas – et c’est un petit casse-tête pour trouver du temps pour l’exercice citoyen à côté de nos vies privées et celles qu’on subordonne à un employeur.​

On le fait car le contraire ne vaut définitivement pas le coup.

​On est affamé de pouvoir citoyen, de puissance démocratique. Couvrir des manifs, c’est retrouver des gens qui partagent ce même appétit. De n’en avoir jamais assez. On veut tous du rab d’égalité, de liberté, de fraternité. Et comme la vie souvent c’est pas longtemps, on se montre parfois un peu impatient.

« On voudrait la révolution citoyenne »

​On gueule contre le patronat, la complicité de l’État et même parfois sur nos amis syndicats (à quand une Assemblée générale calaisienne, tribune ouverte à tous ?). On voudrait la révolution citoyenne, la sécurité sociale partout, qu’on nous file un peu aussi la main dans cette grosse aventure à tout plein.

​Les jours défilant, la répétition des manifestations responsables, ces transhumances pacifiques sur de la musique pop finissent par lasser ou agacer certain.es manifestant.es qui nous lisent (et nous aussi, parfois, faut bien l’avouer).

​Des sentiments qui montent tant et si bien en puissance que jeudi, lors de cette 19ème journée de rassemblement, l’intersyndicale éconduite par le pouvoir exécutif dans son rôle d’interlocuteur a fini par céder aux pressions citoyennes pour une intensification du mouvement.

Tout amène le mouvement social à une confrontation

​Si le cortège calaisien est entré sur l’A16 c’est donc par la force des choses. Tout l’y a conduit. Parce que manifester en cortège discipliné ne permet plus de prendre part aux tables de discussions qui concernent d’avantage notre avenir que celui de ceux qui y participent (4,5% d’employés à l’Assemblée nationale, 0,9% d’ouvriers).

​On pourrait être 10 millions dans les rues que cela ne changerait peut-être pas grand chose. Tout amène le mouvement social à une confrontation inégale contre le mur d’enceinte qui nous sépare du pouvoir : la police armée.

​Après avoir sillonné dans tous les sens le centre-ville, après les brèves actions de blocages menées à l’aube pour ne pas trop gêner le contribuable, il s’agissait enfin de réaliser ce que la démocratie représentative peine cruellement à réaliser de nos jours : écouter le mouvement qui l’a porté pour le représenter. Il s’agit aussi de continuer à donner envie d’arborer le syndicalisme en pin’s, écharpe et casquette. Il s’agit de pouvoir affirmer avoir tout tenté, tout essayé.

« C’est le gouvernement qui radicalise le mouvement »

​Il s’agit de comprendre que c’est le gouvernement qui radicalise le mouvement. Que c’est lui par son obstination qui fait bloquer les autoroutes, fait jeter les pavés, que c’est lui aussi qui y répond en tabassant Philippe Decoster pour tous nous effrayer et nous convaincre de raccrocher et rentrer se coucher (son témoignage).

​Il s’agit comme Macron en parlait, lors de son interview en début de semaine, de transformer l’expression civique et citoyenne légitime en une réaction épidermique de meute :

« La foule qui manifeste n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime à travers ses élus. ».

Emmanuel Macron, interview télévisée du 22 mars 2023, 13h00

Faire croire au plus grand nombre que la lutte est inacceptable car violente. On enlève du combat social en cours toute sa substance politique et citoyenne.

​Si la police cogne avec tant d’application c’est parce que nous serions des anti-républicains, opposés à l’expression démocratique du Sénat et du rejet de la motion de censure, nous serions des enragé.es prêt.es à renverser le pays.

​Pour aller au bout, il s’agit pour le gouvernement en place de créer avec l’ensemble de ses outils l’escalade et la marginalisation de ceux qui persistent à s’opposer à cet ordre injuste. Et de suggérer dans une désespérante pirouette de retournement des valeurs que si la police cogne c’est parce qu’elle nous défend de notre fascisme.

​Pour qu’on comprenne mieux la pédagogie à coups de tonfa après celle du 49.3.

Pierre Muys.