Philippe Poutou, ex-candidat du NPA à l’élection présidentielle, était à Calais lundi 9 et mardi 10 janvier, pour la projection du documentaire Il nous reste la colère à l’Alhambra. Récit de la visite en deux actes.
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À la veille d’un mouvement social d’ampleur contre la réforme des retraites, qui d’autre que Philippe Poutou pour parler engagement et résistance ? C’est une autre lutte qu’il était venu raconter aux spectateurs de l’Alhambra, lundi 9 janvier, celle des ouvriers de l’usine Ford de Blanquefort (Gironde). Un combat que raconte le documentaire Il nous reste la colère, réalisé par Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert (bande-annonce ci-dessous).
Acte 1 : la projection
« Je vous préviens, ça se finit mal. » prévient-il avant la projection. Et pour cause : en 2019, l’usine ferme définitivement ses portes et les 872 salarié⸱e⸱s, dont Philippe Poutou, ouvrier mécanicien, sont licencié⸱e⸱s. « La résistance, elle est pas du tout inutile, même quand il y a défaite, explique-t-il après la projection du film (vidéo de l’échange avec le public ci-dessous). Même si on pense que c’est fichu, même si on pense qu’on peut plus rien faire pour sauver son boulot, qu’est-ce que ça coûte finalement d’aller manifester, d’aller dire tout ce qu’on pense de Ford et tout ce qu’on pense de la nullité des pouvoirs publics ou des hommes politiques ? »
Problème : mobiliser, c’est compliqué. Dans le film, une équipe de syndicalistes – emmenée par Philippe Poutou – tente en vain de faire bouger les collègues. Une difficulté que l’ex-candidat à la présidentielle n’hésite pas à généraliser : « La population croit que s’occuper de la vie collective, c’est du ressort de spécialistes : on vote pour des gens, ils ont le pouvoir et c’est à eux de s’occuper de ça, et nous on a juste à s’occuper de notre travail et de notre famille quoi, c’est un peu dingue. À force de laisser la politique aux autres, on se fait détruire notre vie à nous » regrette-t-il à notre micro (vidéo en tête d’article).
Du côté de l’Alhambra, une voix demande justement : « comment faire pour aller chercher tous ces gens dans la société et les amener à se mobiliser ? » Réponse honnête : « Là je vais avoir du mal à répondre. On n’a pas réussi » se désole Poutou qui se lance dans une analyse historico-politique : « Dans les luttes des années 70 ou des années 60, on peut même remonter à la grève générale de 36, c’étaient les usines d’aéronautique, les usines de Tourville… Mais tout ça, ça n’existe plus, on n’a plus les fiefs ouvriers, les fiefs syndicalistes qui allaient avec. On n’a plus ces gros bastions de lutte. Donc après il faut voir comment on peut raviver les luttes sociales, mais ça se passera forcément d’une manière différente. »
Un spectateur réplique : « est-ce que la lutte ne doit pas franchir à un moment donné la limite de la légalité ? » Réponse : « De toute façon, aujourd’hui, quand on fait grève on dépasse vite la limite de la légalité. » Il poursuit : « Si tout est sympa, si tout est gentil, ça va pas très loin donc le problème est posé même pour nous aujourd’hui d’arriver à radicaliser les formes de luttes. C’est ce qui se passe dans le mouvement contre les bassines où ils commencent à utiliser les actions de sabotage, à juste titre, nous on pense qu’ils ont raison. »
Acte 2 : l’entretien
Le lendemain matin, notre équipe de journalistes bénévoles a rendez-vous avec Philippe Poutou qui a accepté de répondre à nos questions (vidéo en tête d’article). On lui parle du Calaisis, des luttes qui s’organisent dans les milieux politiques, associatifs, syndicaux et citoyens mais qui peinent, souvent, à atteindre la population. « C’est pas parce qu’on est une minorité à se battre, ou un noyau, que le reste de la population est contre ou indifférent, rassure-t-il. […] Il suffit que tu aies un bout de solidarité, un bout d’humanité pour que de toute façon ça influence, ça fait travailler quelques consciences. »
On lui parle aussi de Synthexim (anciennement Calaire Chimie), cette usine de chimie fine située Quai d’Amérique, à Calais. L’entreprise est placée en redressement judiciaire depuis le 3 novembre 2022. Là-bas, 122 emplois sont menacés. Le schéma, Philippe Poutou le connaît bien : une usine, des ouvriers, un repreneur. « Les histoires de repreneurs… (il soupire)…c’est des histoires de fin de sites en fait : la moitié est virée, il reste une moitié, c’est repris, et puis deux ans après c’est la suite… » Triste ironie quand on se souvient qu’il y a tout juste dix ans, l’usine était reprise une première fois : 111 des 197 salarié⸱e⸱s avaient alors été licencié⸱e⸱s. Quelle solution, alors, pour sauver ces usines qui ont la même histoire que l’usine Ford de Blanquefort ou l’usine Synthexim de Calais ? « La réappropriation de l’outil de travail, répond Philippe Poutou, c’est forcément ça la solution, ça sera pas autre chose. »
On explique par ailleurs au porte-parole du NPA que l’extrême-droite progresse encore dans le coin : aux législatives, le RN a pris six circonscriptions sur les douze du Pas-de-Calais, dont la 6e circonscription, voisine de Calais (Guînes, Ardres, Marquise…). « On s’aperçoit que l’extrême-droite a quand même tendance a bien défendre le système libéral, et même ultra-libéral » commente Philippe Poutou. Il continue : « l’extrême-droite, quand il s’agit de voter, elle va voter du côté de la remise en cause des droits syndicaux et des droits salariaux. » À l’Assemblée Nationale, l’extrême-droite ne parvient plus à cacher son visage ultra-libéral, et Philippe Poutou n’est pas le seul à l’avoir remarqué. S’adressant aux députés RN depuis La tribune de l’hémicycle, François Ruffin s’agace : « Entre vous et Emmanuel Macron, il y a plus qu’un trait d’union : sur l’économique, sur le social, vous êtes d’accord sur l’essentiel ! »
Ce matin du 10 janvier, avant de s’entretenir avec nous, Philippe Poutou a rencontré les bénévoles du Secours catholique pour s’informer sur la question des exilés. À chaud, nous lui demandons ce qu’il ferait, avec le NPA, s’il était élu à la mairie de Calais. Il accepte l’expérience de pensée : « Si on prend une mairie comme Calais, il y a plein de choses à faire. Et puis le truc, c’est pas l’élu, ou le pouvoir, c’est comment ce pouvoir là il délègue et il confie aux associations et à toutes celles et ceux qui sont dans la lutte la gestion de tout ça. C’est pas juste avoir une mairie, c’est dire : faites ! On vous donne tout pour que vous puissiez faire, à vous qui avez les compétences et l’expertise. C’est un glissement de pouvoir en fait. »
Ce soir-là, Philippe Poutou a rendez-vous à Laon pour présenter le documentaire Il nous reste la colère à un autre public. Un autre territoire, d’autres luttes. Ces luttes, comme celles menées à Calais, sont moins visibles que les grands combat menés à Paris, mais sont-elles pour autant inutiles ? « Dans des villes comme Bordeaux, Calais et même dans des petits villages, explique Philippe Poutou, on se dit que la lutte ou la résistance, comme elles portent moins [qu’à Paris], c’est moins nécessaire, moins utile. Mais on se bat là où on est, là où on vit. Et on résiste comme on peut. »
Pierre MUYS et Valentin D.