Jeudi 1er juin, nous retrouvons Olivier Carraud, prof d’anglais au lycée Léonard de Vinci et délégué syndical chez SNES-FSU. Il fait depuis une bonne semaine le tour des établissements du Calaisis pour y rencontrer et convaincre les enseignants des collèges et lycées de ne pas signer le « Pacte enseignant » proposé par le gouvernement. Entretien.
Olivier Carraud: Le “PACTE” c’est le nouveau truc, la nouvelle attaque du ministère contre les profs. On fait une tournée des établissements, on fait ce qu’on appelle des heures d’info syndicale. Aujourd’hui, on est au collège de Sangatte, hier, j’étais à Ardres, la semaine prochaine, j’irai à Coubertin. J’ai fait MLK… On vient informer les collègues pour qu’ils puissent refuser le Pacte enseignant. Pendant la présidentielle, je ne sais pas si vous vous souvenez… tous les candidats voulaient parler du salaire des enseignants. C’est pas parce qu’ils se souciaient de notre bien-être, c’est tout simplement pour la crise du recrutement.
Cette année, on a vu qu’il y avait plus de postes d’admis au Capes que d’admissibles… Donc, c’est vraiment une profession qui ne recrute pas. Et le gouvernement, pour essayer de recruter des profs, ils ont mis en avant la carotte du fric en plus, une augmentation, mais liée à des missions supplémentaires! Donc c’est ça qu’on appelle le pacte. C’est le retour du sarkozysme. Pour ceux qui se souviennent : “Travaillez plus pour gagner plus”… On propose aux collègues d’être payés en plus pour faire des missions supplémentaires.
Calais La Sociale: Missions qu’ils faisaient déjà en fait…
Olivier Carraud: Des trucs qui existent déjà, ouais… Surtout dans les collèges. Alors les deux missions à la mode, c’est le remplacement de courte durée. C’est-à-dire que t’as un collègue qui est malade, un collègue qui est en stage eh bien si tu signes le Pacte, tu dois 18 heures de remplacement, c’est à dire que tu vas devoir remplacer tes collègues. Bref, tu va devoir palier le manque de profs et tu vas devoir palier le manque de l’institution du gouvernement. Et ensuite, l’autre mission souvent, c’est “Devoirs faits” et ça aussi les collègues le faisaient déjà. Donc, quand tu prends une brique de remplacement, c’est 18 heures. Une autre brique de “devoirs faits”, c’est 24 heures. Ça veut dire que tu allonges ton temps annuel de travail de 42 heures. C’est ça qui nous pose problème. C’est pour ça qu’on dit que c’est une attaque violente contre nos statuts parce que : 1, c’est une augmentation du temps de travail. Ce n’est pas une revalorisation – tu travailles plus pour gagner plus – et deux, c’est surtout montrer que les enseignants vont être capables de faire plus. Donc plus il y aura d’enseignants qui vont prendre le Pacte, plus le ministère va pouvoir se permettre de dire : “ça, c’est une manière de faire augmenter le temps de travail des fonctionnaires sans revaloriser les salaires.” On appelle donc les collègues à ne pas signer le pacte puisque ce qu’on se dit, c’est que si majoritairement, c’est pas signé, l’argent du gouvernement mis sur ce pacte pourra servir à augmenter tous les collègues de la même manière, c’est-à-dire pour nous, en augmentant les points d’indices. On demande que tous les fonctionnaires soient augmentés. C’est pas seulement les profs, mais que l’augmentation soit celle de tous les fonctionnaires par l’augmentation du point d’indice, sans contrepartie. Là, maintenant, c’est vraiment nous faire travailler plus… Nous faire casser le statut pour essayer de palier à leur manque.
Ce qu’on propose aussi, c’est que les collègues fassent des lettres collectives de refus, c’est-à-dire que tous ceux qui refusent de le prendre… sur une petite lettre, ils signent tous et ils la donnent à leur chef. C’est pour éviter d’être convoqué au seul à seul, en tête à tête… On sait que les chefs [d’établissement] ont une prime de 1 000 € pour faire passer le Pacte.
Il y aura peut-être des pressions pour faire accepter puisque eux aussi ils ont une hiérarchie qui veut à tout prix faire accepter le pacte. Ce qu’il faut, c’est un refus collectif.
Parce que le pacte, il va diviser dans les salles des profs. C’est une tentative encore de diviser les enseignants entre ceux qui signent et ceux qui ne signent pas. Il faut savoir aussi que dans les dotations des bahuts, il n’y a pas un pacte par enseignant. Il y a un certain nombre de pactes. Donc s’il y a trop de signataires, c’est le chef qui choisit. Vous imaginez l’ambiance? Pour la même mission, devoir faire des remplacements en interne, il va y avoir des collègues qui vont le faire de manière “Pactée” et des autres qui vont le faire dans ce que nous on appelle des HSE, des Heures Supplémentaires Effectives, c’est à dire 1 h que tu prends en plus de ton service. Sauf que ce n’est pas le même tarif… Donc on pourrait se retrouver avec un système où on a des collègues qui font la même chose mais payés différemment.
Calais La Sociale: Une HSE est mieux payée qu’une heure “pactée”?
Olivier Carraud: Non, le Pacte, c’est mieux payé et c’est aussi défiscalisé. Donc tu vois, ils ont compris que ça c’était un truc qui attirait les collègues…
Calais La Sociale : Parce que les profs sont contre les impôts?
Olivier Carraud: Je crois que malheureusement, j’ai certains collègues qui pensent que ne pas payer d’impôts c’est bien… et qui ne comprennent pas qu’ils sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont… C’est une bonne question, ça! (rires) Elle est belle!
Calais La Sociale: D’ailleurs, tu as fait plusieurs établissements… Comment justement votre invitation à ne pas signer le pacte enseignant est prise auprès des profs?
Olivier Carraud: C’est très variable, c’est très très variable… Il y a beaucoup de collègues qui se demandent pourquoi ne pas signer pour quelque chose qu’ils font déjà – c’est-à-dire devoir faire un remplacement en interne – et c’est là où on explique que pour l’instant, ils le font sur une base du volontariat. Dans le pacte, là, (on est tombés sur les diaporamas que le ministère donne aux chefs d’établissement pour se former) ils prévoient des plages dans les emplois du temps pour les remplacements en interne. Donc la liberté qu’on a en tant qu’enseignant, puisqu’on a un temps de travail qu’on peut parfois moduler (on peut demander à avoir une demi journée de libre tu sais, on fait 18 heures ou 15 heures de cours par semaine) Hé bien ça, ce temps libre là, il sera mis en tant que créneau de remplacement en interne… Il y a pour les sixièmes et les cinquièmes la possibilité pour les professeurs des écoles de venir faire du soutien en français, en maths… (on peut se demander pourquoi on n’a pas demandé ça aux professeurs de français de maths du collège pour faire le soutien en sixième…).
Ils prévoient déjà des emplois du temps où en fonction de la géographie de votre établissement, que vous soyez établissement rural ou urbain, soit c’est le mercredi matin, soit c’est sur la dernière plage horaire de la journée. C’est clairement une attaque aussi sur le temps de travail des enseignants et leur “liberté d’organisation”. Aussi, si on commence à avoir beaucoup d’enseignants qui signent ça veut dire que c’est un feu vert pour le gouvernement pour augmenter le temps de travail et c’est ce qu’on veut faire comprendre aux collègues: attaque contre le statut, attaque contre le temps de travail et aussi attaque contre la rémunération. Nous, ce qu’on dit c’est que la première rémunération à aller chercher, c’est celle qui indexera les salaires sur l’inflation sans aucune contrepartie. Pour les fonctionnaires, ce qui compte pour leur retraite, c’est l’indice. Donc quand on demande nous une revalorisation salariale, on demande à ce que ce soient les indices qui augmentent parce qu’on prend en compte cet indice pour calculer les retraites.
Le pacte, c’est de l’indemnitaire, des primes. Ça ne compte pas dans la retraite des gens, c’est une toute petite partie, la RAFP, c’est pas important, c’est vraiment peanuts. La petite amélioration peut-être du quotidien – une brique du pacte, c’est 1250€ brut par an – ne compte pas pour la retraite. Nous, ce qu’on veut, c’est l’augmentation du point d’indice pour que les collègues partent avec une pension supérieure et que s’améliorent à la fois leur quotidien et leur avenir.
Et dernière chose, je voudrais dire un mot sur les lycées pros. Donc eux, ils ont un pacte spécifique qui est lié a une réforme où on va enlever des heures de cours pour augmenter les heures de stage.
Sur le papier, il y a des gens qui pensent que c’est bien. Mais on se rend compte que l’acquisition des savoirs fondamentaux dans un public qui est très difficile, va être encore plus problématique. Il y a beaucoup de collègues, non seulement tous ceux de l’enseignement général, mais aussi certains du professionnel qui vont se dire que là, ils ne savent pas ce qu’ils vont faire avec leurs élèves, avec autant d’heures en moins. Si vous signez le pacte, vous aurez le droit à des heures en petits groupes pour essayer de remonter les élèves… C’est vraiment abject. Parce que si les collègues refusent, on va leur faire porter le chapeau en disant qu’ils ne veulent pas aider les élèves, alors qu’en fait ils veulent défendre leur statut, défendre leur métier, défendre leurs conditions de travail et défendre l’enseignement professionnel public. Dans l’opinion, ce sera aussi une catastrophe. Et même dans leur réalité, c’est à dire qu’on sait que le LP, c’est quand même l’endroit où c’est le plus difficile d’enseigner avec les collèges REP+, c’est quand même des endroits où les enseignants, ils ont besoin de ces heures en demi groupe pour aider les élèves, pour les aider à progresser et si on conditionne ça au pacte, on est en train de tout péter quoi… et c’est ce qu’ils sont en train de faire. C’est un double ministère pour les lycées professionnels maintenant. C’est le ministère du Travail et celui de l’Éducation nationale.
Calais La Sociale: … pas de l’industrie encore?
Olivier Carraud: Bientôt… Il y a eu des petites grèves là… mardi, sur la question des LP, les collègues ont quand même mis en avant l’idée qu’ils ne voulaient pas former de la chair à patrons. On est complètement d’accord avec ça et on les soutient. Le 6 juin, dans la grève des retraites, ce sera non aux 64 ans, ce sera non au Pacte enseignant, ce sera non à la réforme du lycée professionnel parce que tout ça, c’est lié et c’est une même attaque sur l’ensemble des services publics, sur l’ensemble des salariés et même sur l’ensemble de la jeunesse.