Sans repreneur, l’usine Synthexim sera placée en liquidation judiciaire le 2 mai. Plus d’une centaine de personnes seront licenciées. La sénatrice du Pas-de-Calais, Cathy Apourceau-Poly (PCF), réclame la nationalisation de l’usine. Nous l’avons rencontrée.
Depuis le début du mois de novembre 2022, l’usine Synthexim – anciennement Calaire Chimie – est en redressement judiciaire. L’usine de chimie, implantée à Calais depuis 1905, produit des intermédiaires avancés, destinés notamment à l’industrie pharmaceutique.
Lâchée par le groupe Axyntis et son PDG David Simonnet – qui avait repris l’usine en 2013 – l’usine n’a pas trouvé de repreneur. La liquidation judiciaire sera prononcée mardi 2 mai. Plus de 110 personnes seront licenciées.
Une lettre au Président de la République
Depuis le mois de novembre, la sénatrice Cathy Apourceau-Poly (PCF) suit de près le dossier. Le 10 novembre, elle écrivait une première lettre au Ministre chargé de l’Industrie, Roland Lescure.
Aujourd’hui, plusieurs lettres plus tard, la sénatrice s’adresse directement au Président de la République. « Pourquoi l’État ne reprendrait-il pas temporairement l’entreprise calaisienne, en la remettant à flot pour en faire un vitrine de la réindustrialisation dans le domaine de l’industrie chimique ? » lui demande-t-elle.
Ce mardi 25 avril nous avons rencontré la sénatrice et son assistant parlementaire, le calaisien Bertrand Péricaud, ancien président de la commission du développement économique au sein du conseil régional. Dans un échange très dense, les deux communistes dressent un panorama dramatique et passionnant de l’industrie dans le Calaisis.
Calais la Sociale : Qui est Cathy Apourceau-Poly?
Cathy Apourceau-Poly : C’est moi ! Et je suis sénatrice du Pas-de-Calais, depuis 5 ans.
Calais la Sociale : On parle beaucoup de gâchis dans les médias, dans les journaux, à propos de Synthexim. Pourquoi ?
Cathy Apourceau-Poly : C’est du gâchis parce qu’on a bien vu, pendant toute la période du COVID, qu’on manquait de médicaments. Aujourd’hui encore il y a des scandales indiquant que nous manquons nationalement de nombreux médicaments. C’est aussi du gâchis parce qu’il y a des salariés qui travaillent dans cette entreprise depuis plusieurs années, que Synthexim fabrique une molécule indispensable à la fabrication de ces médicaments dont manque le pays.
Le Président nous fait beaucoup de discours autour de la désindustrialisation. La fermeture de Synthexim serait, une fois de plus, un coup porté à notre pays et à la fabrication de principes actifs de médicaments qui nous sont indispensables. Ce n’est pas à l’échelle de Calais, ni de la France, mais à l’échelle européenne que nous allons manquer de ce principe actif nécessaire à la fabrication de traitement contre d’hyperactivité ou encore à destination de gens qui sont en sevrage alcoolique.
Calais la Sociale : Si on ferme une usine comme Synthexim, on ferme une usine Seveso, et derrière on ne peut pas rouvrir un tel site…
Cathy Apourceau-Poly : Évidemment, et c’est là où est le problème quand même. Nous intervenons sur ce dossier de Synthexim depuis novembre 2022. Avec Bertrand [Péricaud], nous avons interpellé les pouvoirs publics depuis cette date et aujourd’hui nous proposons que cette entreprise soit temporairement reprise sous une nationalisation de l’État parce que nous en avons besoin.
On sort d’une crise COVID qui a été difficile pour chacun et chacune d’entre nous. Une crise COVID où l’on s’est aperçu et les uns et les autres que nous manquions en France cruellement de médicaments, que nous manquions de masques, de gel… Que nous manquions de tout finalement.
« Aujourd’hui, on a les moyens de nationaliser cette entreprise »
Je me souviens, nous allions partout dans les pays asiatiques, en Chine notamment, pour demander à ce qu’ils nous fournissent des médicaments, des masques, du gel… Si, une fois de plus, on ferme une entreprise qui fabrique des molécules et des principes actifs pour des médicaments… Où va-t-on ? Aujourd’hui on a les moyens de nationaliser cette entreprise, de sauver les emplois… Il en va de l’avenir de notre pays, de notre département, et de Calais ! Quand on parle de la suppression d’une centaine d’emplois c’est tout autant de familles impactées ! Un emploi industriel peut équivaloir en terme de salaire, à deux emplois et demi, ça n’est pas rien !
Calais la Sociale : Justement, il y a chez Synthexim un salarié dont la compagne travaille chez Meccano. Deux usines qui vont fermer. Au même moment, on leur dit qu’ils seront licenciés et qu’ils travailleront deux ans de plus. N’est-on pas dans un moment de violence à l’égard de ces gens-là ?
Cathy Apourceau-Poly : Bien sûr que si on est dans un moment violence ! Il y a un certain temps qu’on vit un moment de violence dans ce département quand même ! Je rappelle qu’on a vu une série d’industries fermer leurs portes. On a eu le tour par exemple avec l’entreprise Bridgestone [à Béthune, en 2020].
Je lisais un article de presse hier sur les pneus rechapés où on disait qu’il y avait 58 salariés qui participaient à créer ces nouveaux pneus. C’est une bonne chose, mais je rappelle quand même qu’on en a licencié plus de 800 [863 employés au total]. Il y en a évidemment qui ont retrouvé un emploi. Mais moi j’ai aujourd’hui des nouvelles encore de certains salariés Bridgestone qui sont sur le carreau et qui n’ont rien.
Vous prenez un exemple qui est cruel. D’autant plus que quand on avance peu à peu dans l’âge et que l’on a fait toute sa vie le même métier, c’est difficile de retrouver autre chose. On avait vécu la même chose dans la zone d’Hénin-Beaumont avec l’entreprise Samsung avec des salariés qui n’ont jamais retrouvé d’emploi parce qu’ils avaient travaillé 25, 30, 35 ans dans la même entreprise.
« Ils prennent un licenciement et deux ans de plus sur la tête quoi »
Donc moi je pense qu’on est en train de marcher sur la tête. C’est d’une brutalité sans nom pour les salariés comme vous le dites. Meccano pour la dame, Synthexim pour le monsieur, c’est une catastrophe. Vous imaginez pour ces gens… en deux mois de temps ! Ils prennent un licenciement et deux ans de plus sur la tête quoi… Et donc ils auront une interruption de carrière, ça veut dire qu’ils auront une carrière hachée et que c’est pas jusqu’à 64 ans qu’ils travailleront, mais c’est jusqu’à je ne sais quel âge… parce que la retraite, maintenant, c’est 64 ans… et 43 annuités ! On oublie souvent de le dire. Les femmes ont souvent des carrières hachées, tout comme les travailleurs les plus pauvres parce qu’on a parfois des salaires qui ne sont pas à la hauteur de ce qu’ils devraient être.
Bertrand Péricaud : Dans une conférence téléphonique avec Bercy [Ministère de l’Économie], Cathy a posé la question en plein débat sur les retraites de l’impact du report de deux ans sur les PSE [plans de sauvegarde de l’emploi] et en particulier sur celui d’Arc international, à Arques.
Face à la crise énergétique, l’entreprise a décidé de mettre en place un plan de restructuration, Arcadia, sans PSE, c’est-à-dire sans licenciements parce qu’ils ont en interne un système qui permettait aux salariés de partir en pré-retraite à 58 ans avec 94% de leur salaire auquel venait s’ajouter la prime de licenciement mensualisée qui permettait aux gens de lisser leur départ en retraite jusqu’à 62 ans. De cette manière l’entreprise avait prévu de supprimer « tranquillou » 1000 emplois jusqu’en 2025, avec ce système là. Et d’un seul coup est arrivée cette réforme des retraites avec le risque que les gens ne puissent plus partir dans cette forme de pré-retraite mais en plus soient obligés de mettre une système de départ par plan social.
C’est ce qui explique les fortes manifestations qu’il y a eu à Saint-Omer, ça en a surpris beaucoup de voir autant de monde dans la rue, mais quand on a vu qui y était, c’étaient les gens de chez Arc avec des gros bataillons de syndicalistes qui posaient la question de l’impact de la réforme des retraites sur la restructuration de l’entreprise.
Sur la réforme des retraites, un Gouvernement approximatif
Cathy Apourceau-Poly : Bertrand a raison. Quand on a interrogé le ministère, il n’avait pas vu cet impact. Il ne maîtrisait absolument pas l’impact que ça pouvait avoir sur les salariés, ni sur l’entreprise. Sur le fait de les faire travailler deux ans de plus, ils n’avaient pas mesuré la chose. Ils ne savaient même pas combien de salariés cela pouvait concerner. Donc voyez-vous, c’est quand même très léger tout ça.
Calais la Sociale : depuis des mois, on se rend compte que les choses n’ont pas été bien faites…
Cathy Apourceau-Poly : C’est pas que la réforme n’a pas était bien faite, c’est d’abord il n’y avait qu’un but, c’était de faire travailler les gens plus longtemps, jusque 64 ans. C’était clair, et puis moi je l’ai vécu au Sénat… Je peux vous dire qu’en terme d’interprétation, d’approximation on a touché le fond…
Pour rappel, tout le monde devait toucher une retraite à 1200 euros… Au début c’était 40 000 personnes, puis 30 000, puis 20 000, puis 10 000, puis on ne savait même plus. Aucun impact n’avait été mesuré sur cette question des 1200 euros, on était dans l’approximation complète ! Ils ne savaient absolument pas répondre aux questions que nous leur posions ! C’est quand même dramatique pour un Gouvernement de ne pas avoir vu cette chose là.
Et puis, s’il n’y avait que ça… Ils ont supprimé quatre critères de pénibilité. Depuis tout à l’heure, on parle de métiers difficiles : Bridgestone, Synthexim, Meccano… L’industrie, c’est des métiers difficiles. Arc, les fours… Les gens travaillent dans des conditions assez difficiles, il faut se le dire, avec des salaires qui ne sont absolument pas à la hauteur… Tout ça, ils en faisaient fi, ils étaient toujours dans le : “ça va aller” . Sur les femmes, les carrières hachées, la pénibilité… On leur a proposé de remettre un critère de pénibilité sur les agents chimiques…
Calais la Sociale : Qu’ils ont supprimés en 2017…
Cathy Apourceau-Poly : C’est ça ! Vous voyez ! Il n’y a rien aujourd’hui dans cette loi de favorable pour les salariés de ce pays. Il n’y a rien du tout ! Si encore on pouvait se dire : “Bon on va travailler un petit peu plus mais on va gagner beaucoup beaucoup plus…”. Mais là, c’est même pas le cas ! C’est travailler plus longtemps pour une retraite qui sera moindre.
Il y a eu un truc de fou, c’est sur les carrières longues. Ceux qui commencent à 16 ans, 17 ans, 18 ans, 19 ans, 20 ans… Même pour eux le Gouvernement était incapable de dire quand ils partiraient en retraite. Avant, on savait que c’était 169 trimestres. Aujourd’hui, ils sont incapables de nous dire les choses. La droite avait obtenu un petit peu – c’était la marge à ménager – avec l’index sénior. Et l’index sénior vient de tomber puisque le Conseil constitutionnel l’a retoqué.
Calais la Sociale : Synthexim, depuis les années 1980, c’est cinq repreneurs. N’arrive-t-on pas au bout d’un processus où, à chaque fois qu’il y a une reprise, un groupe débarque pour faire son profit, écrémer la masse salariale et finalement abandonner le site et ses salariés quelques années plus tard ?
Cathy Apourceau-Poly : Je pense que vous avez raison. De toute façon, aujourd’hui on le voit bien : cinq repreneurs, des profits qu’ils pensent à se faire sur le dos des salariés… Aujourd’hui, c’est pour ça qu’on s’adresse à Macron et qu’on demande à ce qu’il reprenne l’entreprise et qu’il la nationalise pendant quelques années parce qu’on sait que ça peut empêcher les profits, les fonds de pensions, etc.
Parce qu’aujourd’hui, on l’a bien vu – et ça a été dénoncé dans le régime de la réforme des retraites –, ce qui intéressent ceux et celles qui reprennent les industries, généralement, vont dans les fonds de pensions. C’est essayer de faire en sorte que les salariés n’aient plus de retraites pour les faire capitaliser.
Bertrand Péricaud : Sur les différentes reprises de Synthexim, la dernière est la plus caractéristique. Calaire Chimie [ancien nom de Synthexim] avait été reprise par le Belge Tessenderlo. On avait affaire à une très grosse multinationale belge, donc qui avait les moyens financiers d’investir dans un site Seveso, et éventuellement même de modifier le type de production qu’il y avait là.
« Les groupes se refilent la patate chaude »
C’est là sans doute que se joue le sort actuel de Synthexim. Madame Bouchart [maire de Calais] se vantait d’avoir trouvé un repreneur alors qu’il n’y en avait plus, en demandant à la petite entreprise locale qui fabriquait quelques molécules pharmaceutique de bien vouloir reprendre Calaire Chimie. C’était quand même une entreprise qui faisait une cinquantaine de salariés qui en reprenait une qui en faisait 280 je crois, à l’époque. On n’était plus dans la même catégorie, c’était plus la multinationale.
Ces reprises successives, ça fait penser à ce qu’on appelle des LBO [leveraged buy-out], c’est-à-dire, “je suis un groupe industriel, je veux me débarrasser d’une activité, j’ai absolument besoin de trouver un repreneur parce qu’autrement le PSE et la dépollution du site vont me coûter cher”. C’est tout ça qui était l’enjeu pour Tessenderlo la fois d’après.
Donc, quand on retrouve un repreneur comme Axyntis, les salariés qui sont repris perdent de l’ancienneté et la pollution passera par Axyntis, etc.. Au fur à mesure qu’on écrème comme ça, qu’on diminue les effectifs de l’entreprise, en quelque sorte, les groupes se refilent la patate chaude quoi.
Et Simonnet [PDG du groupe Axyntis] avait été, en 2008 je crois, un cadre d’assez haut niveau dans un groupe pharmaceutique. Il était présenté dans un article sur internet comme un spécialiste du LBO. C’est une pratique qui consiste à racheter des entreprises pour que dalle, quasiment pour l’euro symbolique, vous nettoyez la moitié des salariés, vous pressez ce qu’il reste comme jus et après « tchao pantin » !
Bon, après il faut avoir tout les éléments pour pouvoir affirmer ce genre de choses et il est vrai aussi que le groupe a traversé des période difficiles. Ils ont eu deux problèmes. Ils ont eu d’abord, comme tout le monde, la période COVID, ça a fait un creux d’activité. Et ensuite, ils ont eu un problème de concurrence autour de leur incinérateur. À Dunkerque s’est ouvert une entreprise avec un incinérateur ultra-moderne qui leur a piqué tout le marché. Et ils ont estimé que ça leur coûtait trop cher d’investir dans un nouvel incinérateur donc ils ont perdu une partie de leur capacité à ce moment-là de diversification de leur production.
Nationaliser Synthexim et investir 15 millions d’euros
Peut-être que si l’État reprenait Synthexim, ça devrait s’accompagner effectivement d’investissements. Tenir l’usine telle qu’elle est, dans son état, ça ne serait pas raisonnable. Il faut mettre de l’argent. Les syndicats estiment – via le cabinet Secafi – qu’il faut investir 15 millions d’euros dans la baraque pour un nouvel incinérateur, avec lequel l’usine pourrait produire les molécules qu’il manque un peu partout en Europe.
Donc 15 millions d’euros, Axyntis ne va pas les mettre là-dedans, eux ils diversifient leur production, ils se sont lancés pour dans des tests anti-COVID, ils s’adaptent à un marché en allant chercher ce qui va leur rapporter le plus possible. L’État, lui, a du temps… On dit que c’est pas la fonction de l’État que de diriger les entreprises. Seulement, l’État dirige déjà un certain nombre d’entreprises. Quelquefois, il les dirige en direct – on vient de renationaliser EDF ! Quelquefois, il les dirige de façon indirecte, par exemple chez Arc. L’État a mis 138,5 millions d’euros chez Arc et je peux vous dire que toutes les semaines un point est fait avec Bercy qui sait où va l’entreprise, elle a un mot à dire sur la stratégie.
« La ville ne fonctionnera pas qu’avec du tourisme hein ! »
Cathy Apourceau-Poly : Et on parle de vies humaines ! Cent emplois à Synthexim, ça fait approximativement 250 emplois avec les emplois induits quand même… Pareil pour Meccano… Là, Calais, quand même, c’est l’hécatombe. La ville ne fonctionnera pas qu’avec du tourisme hein ! Il faut qu’on ait des industries et des emplois qui produisent, autrement ça ne fonctionnera pas. Ce qui est vrai pour Calais l’est aussi pour le reste du département. Et on voit bien les conséquences que ça a sur les communautés d’agglo ou de communes et sur les municipalités parce que quand on perd des entreprises, c’est aussi des recettes en moins. Je reprends Bridgestone, c’est quand même des pertes conséquentes pour le secteur. Moins de rentrées de recette par les entreprises, c’est aussi moins de services publics pour les gens.
Bertrand Péricaud : Sur Calais, il y avait une réflexion portée par l’ancien président de la région, [Daniel] Percheron, réflexion régionale sur la spécialisation économique du littoral Nord-Pas-De-Calais. Globalement, la transformation du poisson pour Boulogne-sur-mer, le Transmanche pour Calais, et puis l’industrie pour Dunkerque. Sauf qu’à une époque, Boulogne faisait aussi du Transmanche et avait aussi une industrie, aujourd’hui ils ont perdu l’industrie, ils ont perdu le Transmanche et sont repliés sur une niche étroite.
Calais, c’était une ville à la fois industrielle et portuaire. L’industrie, on a tiré un trait dessus, avec une accélération à partir de 2008 quand Bouchart arrive. Toute la zone des dunes qui est partie : Unicor, Tioxide – on a vu la cheminée tomber dernièrement –, la dentelle, complètement vaporisée ces dix dernières années. On est passé de la dentelle de Calais à la dentelle de Caudry et de la dentelle de Caudry à la dentelle de plus rien du tout, il y avait plus rien, que dalle.
C’était des milliers d’emplois quand même. Et puis là, on a Synthexim, on a Meccano, faut regarder aussi du côté d’anciennement Schaeffler, qui comptait 600 salariés qui est devenu Catensys, qui est sur une niche industrielle qui pose un problème. Il fabrique des courroies de distribution pour véhicule à moteur thermique. Bon, par les temps qui courent… Si Schaeffler s’est barré de là, c’est parce qu’il sait très bien qu’avec les véhicules électriques il va falloir les vendre très loin les courroies en question.
Et en face, il n’y a pas de réaction de la communauté d’agglomération qui a la compétence économique. Aucune réaction, aucune anticipation, y compris dans son courrier quand elle parle du million d’euros que Synthexim doit à Cap Calaisis [ancien nom de Grand Calais Terres et Mers]. Ça veut dire qu’ils ont laissé faire. Ils n’ont pas surveillé, ils n’ont pas anticipé, ils n’ont pas essayé d’aider, c’est ça que ça veut dire. Une ville comme Calais ne peut pas vivre seulement du Transmanche, parce que le tourisme, c’est pour amuser la galerie. Le socle essentiel, c’est le port et le tunnel et on a vu avec le Brexit que ça pouvait être fragile, que les flux commerciaux et passagers pouvaient aussi se déplacer. Ça dépend quand même beaucoup de la vitalité de l’économie britannique, ça nous met quand même sous dépendance.
« Pourquoi ce qui est possible à Dunkerque ne l’est pas à Calais ? »
Ensuite, à côté du Transmanche, il y a le commerce, que ce soit à la Cité Europe, Marque Avenue… Le problème, on le voit bien, cinq ou six boutiques ont fermé leurs portes : Go sport, Camaïeu… En plus de toutes ces cellules vides à Marques Avenue… le commerce plonge et pose problème.
Les gars de Synthexim le soulignent très bien : pourquoi ce qui est possible à Dunkerque ne l’est pas à Calais ? Pourquoi Dunkerque attire tout ? Pourquoi les usines de batterie c’est pour Dunkerque ? Les EPR on comprend, le site de Gravelines est là. Mais Dunkerque a une autre vitalité économique. C’est un problème qui dépasse la politique économique nationale, il y a aussi des questions à se poser sur des volontés politiques de gens qui sont à la tête de Cap Calaisis, de gens qui sont à la tête de la région… Qu’est-ce qu’ils veulent faire de Calais ?
Calais la Sociale : Cette désindustrialisation de Calais serait délibérée ?
Bertrand Péricaud : A minima, je pense qu’il y a de l’incompétence et il y a énormément d’incompétence, et peu d’appétence pour l’industrie. Moi, tu me files la direction de Cap Calaisis, d’abord je vais chercher de l’ingénierie, chercher des mecs en leur donnant une feuille de route : « Vous allez me regarder l’état de santé de l’industrie de mon territoire et puis vous allez me faire des propositions pour aller en chercher d’autres ». Il y a des outils pour ça, des outils régionaux, nationaux… Mais si on n’a pas la compétence pour les utiliser, ça peut pas donner grand chose.
Calais la Sociale : S’agissant de Synthexim, que va-t-il se passer maintenant ?
Bertrand Péricaud : Concrètement, la boutique est à vendre. Elle est en liquidation. À partir de là, techniquement, il y avait deux possibilités. La première, c’était que quelqu’un se propose à la reprise. Que quelqu’un se rende au tribunal de commerce pour signifier qu’il est candidat. Ça peut se jouer à l’euro symbolique ce genre d’opération. C’est-à dire que je peux dire : “voilà deux euros, je la reprends”. Au passage, ça évacue les dettes. Mais après il y a des investissements à faire, les 15 millions dont on parlait, pour remettre l’entreprise à flot. La deuxième possibilité technique, c’est simplement un décret de la part de l’État qui décide de reprendre l’entreprise et puis point barre, avec les salariés.
« 15 millions d’euros, pour l’État, c’est quand même pas grand chose »
Cathy Apourceau-Poly : L’État n’aurait d’ailleurs aucun mal à la reprendre parce qu’il y a cette question des principes actifs dont on manque au niveau européen. Grâce à ça, on pourrait même imaginer que l’État soit aidé à l’échelle européenne. Mais bon, 15 millions d’euros… Vous m’excuserez, pour l’État, c’est quand même pas grand chose… Ça coûtera peut-être même plus cher à L’État demain de devoir payer des indemnités chômages aux salariés, plus les aides sociales… Ça coûterait certainement plus cher que ces 15 millions à investir pour sauver cette entreprise qui peut être jugée comme nécessaire.
Bertrand Péricaud : On peut comparer cette somme à la subvention donnée par la région au financement du déversoir de Tioxide. On a foutu 17 millions à l’époque pour construire le déversoir en mer de Tioxide et on a appris quasiment six mois après que l’usine fermait purement et simplement. 17 millions de la Région… Donc 15 par l’Etat, c’est que dalle. Je vous disais, chez Arc, plus de 138,5 millions… Donc c’est pas une question d’argent mais une question de volonté et d’affichage politique. Montrer : “Je suis libéral donc je nationalise pas.”
Calais la Sociale : On a un jugement le 2 mai, qu’est-ce qui est encore en votre pouvoir en tant que sénatrice ?
Cathy Apourceau-Poly : Eh bien… j’ai averti par courrier le Président de la République, après si on n’a pas de nouvelles, la semaine prochaine on essaiera de relancer les choses. J’espère qu’il répondra, j’espère qu’il va agir. Le seul levier qu’on a aujourd’hui, c’est que l’État reprenne.
« Les salariés vont devoir se défendre becs et ongles ! »
Bertrand Péricaud : Effectivement si le tribunal constate qu’il n’y a pas de repreneur et qu’il liquide… Dans l’entreprise, tu passes à un nouveau stade. Surtout si l’État ne veut rien faire et si localement, personne ne veut rien faire non plus. Les salariés vont devoir se défendre becs et ongles ! Le PSE c’est une sacrée bagarre… Parce que ce n’est pas leur patron, Simonnet, qui leur amènera des primes de licenciement, etc.
Donc il va falloir qu’ils se battent et là ils ont quand même un atout plutôt intéressant, c’est que l’État sera intéressé pour qu’ils travaillent encore deux ou trois mois pour débarrasser les produits chimiques qui sont dangereux, pour sécuriser et dépolluer le site dans des conditions normales. Donc là, c’est terrible à dire, mais les salariés ont une arme, la même qu’ils avaient menacés d’utiliser lors de l’abandon de Tessenderlo, quand ils avaient mis un conteneur plein de produits chimique au dessus du canal… Ce sont des méthodes un peu particulières mais ça va être une question de rapport de force à construire.
Il n’y aura pas de repreneurs après le 2 mai. S’il y a une décision du tribunal de commerce et qu’elle est prise, c’est la loi qui s’applique. J’ai du mal, d’ici le 2 mai, à imaginer Macron dire à Cathy : “Vous avez raison, madame la sénatrice, j’y avais pas pensé, tope là on y va !” . Mais on aura quand même une réponse.
« Je pense que la volonté politique n’y est pas, mais on essaiera jusqu’au bout »
Cathy Apourceau-Poly : Et j’espère que la réponse sera favorable ! Mais bon… On va essayer de rappeler la semaine prochaine, mais moi je crois que les pouvoirs publics, et notamment l’État, sont alertés depuis plusieurs mois. Ils auraient pu quand même, depuis, prendre les choses en main. Je pense que la volonté politique n’y est pas mais on essaiera jusqu’au bout.
Comme le disait Bertrand, il y a l’accompagnement des salariés dans ce qu’ils peuvent obtenir, parce que malheureusement pour eux, il leur restera encore cette étape là. Même si on ne veut pas y penser et continuer à se battre pour une reprise, on est bien obligé d’anticiper un peu les choses et on interviendra auprès de Roland Lescure qui est le ministre de l’Industrie, pour que ces salariés puissent partir dans des conditions favorables. Mais on en n’est pas là, et ce n’est pas ce qu’on souhaite !
« Ils n’ont rien à proposer »
Bertrand Péricaud : Le ministre Lescure est venu deux fois chez Arc. En septembre et puis il y a une dizaine de jours. Il sait qu’à quarante bornes de là, à Calais, il y a deux usines qui sont dans une situation dramatique, qui risquent de fermer… et il ne fait pas le déplacement ! Il ne va pas discuter avec la présidence de Cap Calaisis… Et c’est pas faute de l’avoir alerté ! Il n’aurait peut-être pas été bien accueilli… Mais il n’avait rien d’autre à proposer. Ils n’ont rien à proposer.
Calais la Sociale : Et puis, quelque part, ça leur va bien. Qu’attendre de la part d’un Président de la République reclus dans une logique néolibérale comme il l’est ?
Cathy Apourceau-Poly : Il a décidé tout seul de la réforme des retraites avec quelques-uns, pourquoi ne pourrait-il pas décider de la reprise d’une entreprise avec 15 millions d’euros ? Il est quand même Président d’une Cinquième République qui favorise les décisions qu’il peut prendre seul.
« Montrer qu’il y a des alternatives possibles à la fermeture pure et simple »
Bertrand Péricaud : Quand Cathy l’interpelle, c’est avec des propositions. Si l’on espère des réponses, c’est au moins sur les propositions. C’est pour ça que c’est important. C’est pas seulement montrer que des gens se préoccupent du devenir des salariés et d’une usine. C’est montrer qu’il y a des alternatives possibles à la fermeture pure et simple. Mais ça visiblement, on tire le rideau, circulez y a rien à voir…
Cathy Apourceau-Poly : Mais après c’est l’accompagnement des salariés, il faut rester dans le dossier jusqu’au bout. On a aucun intérêt à laisser tomber des salariés, de toute façon on l’a jamais fait. Bridgestone, avec ce qu’on pouvait, on est allé jusqu’au bout. Dans tous les cas, il faut que la parole publique existe et il faut que nous puissions, députés, sénateurs, faire remonter des choses dans nos assemblées sur ce qu’il se passe.
Vers une audition du PDG d’Axyntis au Sénat ?
Mon groupe au Sénat [groupe communiste républicain citoyen et écologiste], avec une commission du Sénat, fait une enquête sur la pénurie aujourd’hui de médicaments et moi je vais veiller à ce que Monsieur Simonnet [PDG d’Axyntis] soit auditionné par la commission d’enquête du Sénat, non pas pour s’expliquer, mais pour nous expliquer en quoi le manque de principes actifs pourrait être un vrai souci dans la fabrication de médicaments sur l’hyperactivité et sur les gens qui ont cessé de boire de l’alcool. Nous on n’est pas une commission d’enquête pour dire à Monsieur Simonnet ce qu’il a fait ou pas, mais pour savoir les conséquences de l’arrêt de la production de ce principe actif sur l’approvisionnement de certains traitements.
Bertrand Péricaud : Ce qui serait intéressant aussi à savoir, c’est de savoir pourquoi le dernier candidat à la reprise [le groupe italien Di Pharma], qui semblait très intéressé, d’un seul coup ne l’est plus ? Est-ce que c’est l’état du site qui ne lui plait pas ou est-ce que c’est autre chose ? Est-ce qu’on ne lui aurait pas dit : “J’ai 27 hectares de terrains, à proximité d’un canal, en centre-ville, à côté d’une belle rocade autoroutière à récupérer, vous allez quand même pas venir continuer faire du Seveso ? J’ai pu fermer les autres, c’est le dernier qui me reste, si je peux le dégager c’est maintenant !” Il y a peut-être ça…
Quelles conséquences politiques à la désindustrialisation ?
Je ne crois pas qu’il y ait eu un lobbying forcené de la part de Xavier Bertrand ou de Natacha Bouchart pour tout mettre en œuvre pour sauver cette usine. Vraiment, je ne pense pas. A minima, il n’y a pas de volonté politique de conserver l’usine et dans le pire des cas, il y a une volonté forcenée de voir l’usine fermer. Après… la question politique c’est de savoir la couleur politique que prendra cette colère dans les urnes.
Cathy Apourceau-Poly : En sachant que la désindustrialisation dans le Pas-de-Calais a toujours favorisé le Rassemblement national.
Calais la Sociale : Pourtant, sur la question du travail, c’est la gauche qu’on attend ?
Cathy Apourceau-Poly : Oui… Marine Le Pen ne fait pas grand chose et pourtant… C’est pas aussi simple que ça. On a vécu la désindustrialisation d’Hénin-Beaumont, on voit ce que ça a donné. Pareil aux dernières législatives de Béthune, la victoire de Parmentier suite à la fermeture de Bridgestone.
Bertrand Péricaud : Marc De Fleurian était à 48% au deuxième tour des dernières élections législatives [48,8% à Calais, 44,17% dans la circonscription]. Il est à un cheveu… Il y a d’autres facteurs qui rentrent en compte, mais il y a un problème sur la coloration de la colère. Mon camarade Alain Boquet théorisait l’idée de colère rouge, de colère noire… La colère noire règle ses comptes, se venge, veut faire payer. Des gens instrumentalisent ce bulletin de vote, et quand ça passe…
Entretien réalisé par Pierre Muys et Valentin De Poorter.
À Lens, le 25 mai 2023.