L’annonce est tombée ce mardi en Une du Nord Littoral comme un couperet : 66 salarié·es de l’usine Marck et Balsan à Calais perdront leur emploi dans les mois à venir, révèle dans son article le journaliste Edouard Odièvre. Cette décision, consécutive à la perte d’un contrat majeur avec l’armée française, vient s’ajouter à une longue liste de fermetures et de licenciements qui ont frappé le tissu industriel local ces derniers mois.
Le glas du textile calaisien
Marck et Balsan, spécialiste historique de la confection d’uniformes, incarnait l’une des dernières survivantes de l’industrie textile à Calais. Avec cette fermeture, c’est peut-être un des derniers pans de l’histoire ouvrière locale qui disparaît. L’usine, située impasse des Salines, avait notamment contribué à la production d’uniformes militaires depuis la Grande Guerre. Mais aujourd’hui, les salariés doivent affronter la réalité d’une autre forme de brutalité : la délocalisation de la production vers la Tunisie.
Laurent Marck, PDG du groupe, a expliqué dans un article du Figaro publié en avril dernier que l’État privilégiait les commandes à l’étranger, rendant impossible une compétition avec des prix « fabrication française ». « Si j’ai perdu un (…) appel d’offres, sur les uniformes de défilé de l’armée française, c’est parce que nous avons fait un prix “fabrication française” pour produire dans nos usines françaises », précisait-il. Cette situation illustre le cynisme des politiques publiques : alors que le gouvernement vante les mérites du « Made in France », les commandes publiques, notamment pour l’armée et la gendarmerie, partent massivement à l’étranger.
Avant le renouvellement en 2020 de l’appel d’offres du ministère des Armées pour la production d’uniformes de cérémonies, l’ancien directeur de site déclarait déjà dans Nord Littoral: « S’il nous échappe, on ne pourra pas donner du travail à nos cent salariés. » Malgré cela, l’appel d’offres a échappé à Marck et Balsan. En quatre ans, l’usine calaisienne avait pourtant participé à la fabrication de plus de 185 000 uniformes pour les défilés, dont 77 000 vareuses et tuniques, ainsi que 100 000 jupes et pantalons. Cette perte de marché, cruciale pour l’usine, a porté un coup fatal à son équilibre. Coup du sort ou retour de baton ? Quand on sait que Marck et Balsan délocalise également la production d’une partie de ses commandes publiques dans une des ses usine située également en Tunisie…
Une vague de désindustrialisation à Calais
Ce nouveau drame social s’inscrit dans un contexte plus large de désindustrialisation locale. L’hémorragie avait déjà commencé avec la fermeture de grandes usines comme Prysmian, Catensys, Synthexim, Meccano, Deseilles ou encore Riechers Merescot. À chaque fois, les conséquences ont été les mêmes : pertes d’emplois, déséquilibre économique local, et une population ouvrière totalement livrée à elle-même.
Cette tendance ne se limite pas à Calais. Une étude de la CGT publiée en décembre a estimé à 300 000 le nombre de suppressions d’emplois industriels en France sur les dix dernières années. Des chiffres alarmants qui traduisent un abandon progressif de la production industrielle au profit d’une mondialisation sans contrôle.
La fédération textile de la CGT a également dénoncé le manque de contreparties pour les aides publiques perçues par l’entreprise. Ils appellent à un cahier des charges strict pour les commandes publiques, précisant les lieux de production, l’origine des matières et la qualité des produits, afin de soutenir la filière textile française. Pour le syndicat, il est inacceptable que l’argent public accompagne sans condition les choix des directions d’entreprises, au détriment de l’emploi local.
Quelle alternative ?
La fermeture de Marck et Balsan ne doit pas seulement être perçue comme une fatalité. Elle doit interroger notre modèle économique et politique : pourquoi l’État continue-t-il de préférer des fournisseurs étrangers au détriment des emplois locaux ? Quelles mesures sont prises concrètement pour assurer une transition économique responsable dans les territoires touchés par la désindustrialisation ?
Pour Calais et ses habitants, il est urgent de réinventer un projet collectif. Cela passe par la valorisation des savoir-faire locaux, un soutien effectif aux salariés touchés et une politique publique qui cesse de considérer les travailleurs comme une simple variable d’ajustement.
Pierre Muys