Calais, ville de friches

Samedi 10 février, une manifestation aura lieu à Calais pour dénoncer la désindustrialisation de la ville (14 heures, place d’Armes). En une année, ce ne sont pas moins de 359 licenciements qui ont été annoncés dans les usines calaisiennes : Synthexim et Meccano ont fermé, Prysmian-Draka va également baisser le rideau alors que Desseilles et Catensys, en grande difficulté, ne ferment pas encore mais licencient des dizaines de salariés. À quelques jours de l’événement organisé par l’union locale de la CGT, retour express sur l’histoire de la désindustrialisation de Calais. 


La dentelle de Calais : un patrimoine encore vivant, mais pour combien de temps ? 

Au plus fort de son histoire, la dentelle de Calais fait travailler 31 700 Calaisiennes et Calaisiens dans 600 manufactures. « Le quartier Saint-Pierre, berceau de la dentelle de Calais, vibre des métiers Leavers. À l’époque, la dentelle nourrit toute la ville. On est tulliste de père en fils » écrivent Morgan Railane et Thierry Butzbach dans leur livre Qui veut tuer la dentelle de Calais ? Dans les années 1960, 6200 personnes travaillent encore dans cette industrie. Aujourd’hui, la dentelle de Calais ne nourrit plus grand monde, laisse derrière elle des dizaines de manufactures en friche et continue de chuter : le dentellier Desseilles a annoncé le licenciement de 50 personnes au mois de décembre 2023. Désormais, il ne reste plus qu’une cinquantaine de travailleurs de la dentelle à Calais. 

Extrait de l’ouvrage de Michel Caron, Les Calaisiens et la dentelle.

La Société calaisienne des pâtes à papier et Courtaulds privées de XXe siècle 

L’industrie du Calaisis, ce n’est (ou n’était) pas seulement la dentelle. Celles et ceux qui ont connu le siècle dernier se souviennent de la Société calaisienne des pâtes à papier qui a employé jusqu’à 400 personnes. Elle avait vu le jour en 1908 avant de fermer en 1973. On se souvient aussi de Courtaulds, au Pont-du-Leu, et ses trois cheminées qui dessinaient l’horizon. Au plus fort de son histoire, l’usine de fibres acryliques née en 1927 employait 3000 personnes avant de tomber en 1990. Comme un symbole, ses cheminées furent dynamitées en 1992. Depuis, la friche a laissé place au parc d’activité Eurocap. 

Au loin, les trois cheminées de Courtaulds avant leur destruction en 1992. (Photo : Calais d’Autrefois).

L’Alsacienne, la fin d’un parfum 

Au début des années 2000, c’est L’Alsacienne qui s’écroule malgré un immense mouvement populaire contre la mondialisation et les délocalisations : le 21 avril 2002, près de 20 000 personnes défilent dans les rues de Calais aux côtés des « P’tits Lu ». Rien n’y fait : l’année suivante, le groupe Danone, propriétaire de l’usine, licencie les 250 salariés malgré 5 milliards de bénéfices dans le monde. Les fours où étaient cuits les biscuits et qui parfumaient les alentours du quai de la gendarmerie sont mis à l’arrêt, 44 ans après leur mise en service. Les ouvriers de l’usine ont tenté de lancer une coopérative ouvrière pour continuer la production, sans succès. Après la fermeture, le bâtiment est racheté par la municipalité de Calais qui y installe ses services. 

L’Alsacienne était située quai de la gendarmerie (Photo : Calais d’Autrefois).

Umicore et Tioxide désertent la zone des dunes 

En 2005, c’est Umicore – on y fabrique du zinc – et sa cinquantaine de salariés qui disparaissent. Une usine dont on aperçoit encore un vestige aujourd’hui à proximité du port. Ce grand hangar au toit jaunâtre et troué, autrefois stock de blende. 

Juste en face, l’usine Tioxide implantée en 1967 et qui employait 650 personnes à son apogée ferme en 2017, privant 108 personnes de leur travail. Le 25 mars 2023, les 77 mètres de la cheminée rouge et blanche de l’usine chimique tombaient dans la poussière et dans l’oubli. Les terrains où s’élevaient les deux usines, mi-friches mi-prairies, sont aujourd’hui propriété de la région. 

L’usine Umicore avant son démantèlement. (Photo : tchorski.fr).

Calaire Chimie/Synthexim, morte deux fois 

En 2013, les salariés de Calaire Chimie, qui fabriquent des composants chimiques pour l’industrie pharmaceutique, font face à leur premier plan social : 111 des 197 salariés sont licenciés. À l’époque, les ouvriers occupent l’usine pendant des semaines avant que la justice ordonne leur expulsion. L’usine est finalement reprise par le groupe Axyntis dirigé par David Simonnet, malgré un projet de Scop (société coopérative de production) porté par les ouvriers. Calaire Chimie meurt et devient Synthexim. Dix ans plus tard, en mai 2023, le groupe Axyntis et son PDG finissent le travail et s’en vont. 104 personnes sont mises au chômage. L’usine installée à Calais en 1905 a employé jusqu’à 350 personnes. Aujourd’hui, de nombreux produits chimiques restent à évacuer sur le site classé Seveso seuil haut. 

Synthexim, depuis la route de Coulogne.

Synthexim, Meccano, Prysmian-Draka : 2023, l’année domino 

En matière de fermetures, les choses s’accélèrent en 2023. Au moment où les salariés de Synthexim se préparent à quitter leur outil de production, un monument de l’industrie calaisienne annonce qu’il ferme ses portes après plus de 50 ans d’existence : Meccano. Une cinquantaine de salariés sont licenciés dans la manufacture de l’avenue Saint-Exupery qui n’est jamais parvenue à un « équilibre financier », selon le groupe Spin Master, propriétaire de la marque depuis 2014. 

Quelques mois plus tard, en novembre 2023, ce sont les 82 salariés de Prysmian-Draka qui apprennent subitement et brutalement la suppression de leur outil de travail malgré l’explosion des bénéfices du site : 5,4 millions d’euros, en hausse de 400% par rapport à 2022. Aujourd’hui, les salariés négocient encore avec leur direction pour obtenir les meilleures conditions de départ, soutenus par leurs épouses et conjointes, réunies au sein d’un collectif. L’usine devrait fermer à la mi-mars.

Catensys : ambiance électrique 

Catensys, c’est l’héritière de Brampton et Schaeffler. Voilà onze ans – depuis 2013 – que l’ancien site de l’usine est en friche, boulevard Lafayette. Désormais, l’usine se trouve dans la zone d’activité Marcel Doret, mais pour combien de temps encore ? Les 250 salariés de l’usine, qui produisent aujourd’hui des chaînes pour moteur thermique, se savent condamnés à moyen terme compte tenu de l’essor du moteur électrique. Début janvier 2024, la direction a annoncé une première vague de licenciements : 73 salariés seront licenciés. Pour l’instant. 


Voilà, en quelques paragraphes et sans entrer dans les détails, l’histoire d’un démantèlement. Celui de l’industrie calaisienne, victime d’une succession de plans sociaux et de fermetures au motif systématique : le manque de rentabilité. Il y a en effet, entre Synthexim, Umicore, Tioxide, Meccano, Prysmian-Draka et Catensys un point commun : toutes ces usines sont (ou étaient) détenues par de grands groupes qui, d’un claquement de doigts, ont la capacité et le droit de priver les salariés de leur outil de travail, par conséquent de leur salaire. 

Un sujet politique qui appelle un positionnement politique  

On entend beaucoup dire que l’industrie calaisienne est victime des choix politiques des élus locaux. Bien sûr, si la volonté politique de développer et d’entretenir un bassin industriel est absente, il y a matière à débattre. Mais si le prochain maire de Calais parvenait à attirer et installer de nouvelles usines sans que les règles du « jeu » ne changent, ne serait-ce pas l’assurance d’une histoire qui se répète ? Notre région n’est que trop habituée à ces cycles qui se terminent systématiquement dans la souffrance des exploités.

Le fait est que Calais est surtout victime d’un système économique qui fait la course aux profits, quitte à briser celles et ceux qui les produisent. Et c’est peut-être là qu’il y a une responsabilité politique des élus : celle de protéger les femmes et les hommes que ce système domine, exploite et écrase. Les protéger par la contrainte du système, c’est-à-dire par la loi qui oblige et qui exige.

Cela commence sans doute par faire entrer la démocratie dans l’entreprise : augmenter la représentation des salariés, accorder aux comités d’entreprise un droit de véto suspensif pour les plans de licenciement, instaurer le droit à un vote de défiance à l’égard des dirigeants d’entreprise et créer un droit de préemption pour permettre aux salariés de reprendre leur entreprise sous la forme d’une coopérative. Des propositions parmi d’autres qu’il revient aux partis politiques, essentiellement de gauche, de développer et de porter.

La désindustrialisation de Calais est un sujet ô combien politique qui appelle un positionnement politique des salariés sinistrés et de l’ensemble du territoire calaisien : devant ce système économique tout puissant et dangereux pour les vies humaines, les exploités doivent faire un choix.

Des usines à défendre

Aujourd’hui, que reste-t-il de l’industrie calaisienne ?  On l’a dit, l’industrie de la dentelle compte encore une cinquantaine de salariés. Catensys, malgré les licenciements à venir et un avenir écrit en pointillés, est toujours debout. Graftech, qui a récemment connu des difficultés, emploie encore 195 personnes. Le plus gros morceau encore en vie est Alcatel, qui fait dans le câble sous-marin : l’entreprise emploie 620 personnes en CDI, fait travailler les 300 salariés d’Idea pour sa logistique ainsi que 200 intérimaires. Du côté de la chimie et du médicament, Interor et ses 170 salariés ont bénéficié d’une importante aide de l’État en 2023 et devraient encore tenir le coup un moment. 

En attendant la démocratisation de l’entreprise et les coopératives ouvrières calaisiennes, voilà ce qui est à défendre.

Valentin De Poorter