Contre Darmanin : Une contre conférence de presse

Vendredi 15 décembre, Gérald Darmanin se rendait à Calais pour trouver des appuis politiques côté Républicains afin de faire passer son projet de loi Asile et Immigration malgré le camouflet subi à l’Assemblée nationale en début de semaine.
Contre la venue du ministre de l’Intérieur et le triste discours qu’il propage, les associations de soutien aux personnes exilées ont organisé leur propre conférence de presse au milieu des « rochers anti migrants » qui saturent le quai de la batellerie, à Calais.
Dix minutes pour raconter un autre récit de ce qui se passe ici.
Dix minutes pour dire l’humanité et la nécessité d’une solution fondée sur l’entraide et la solidarité.

Images : Arthur Vleirick
Montage : Pierre Muys

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MOT POUR MOT

Juliette Delaplace (coordinatrice Secours Catholique)

On a choisi ce lieu pour tenir un discours alternatif. C’est pas par hasard. On est sur un lieu où la mairie de Calais a dépensé 45 000 € au moins pour déposer quelques rochers. Et pour nous, ce lieu, il est symbolique d’une situation et d’une politique qui est harcelante, qui viole les droits fondamentaux des personnes exilées et qui ne marche pas puisque c’est un lieu où, malgré la présence de rochers, des personnes continuent de s’installer simplement de manière encore plus précaire et de manière encore plus dangereuse puisqu’elles s’installent – vous pouvez le voir – dans des lieux qui sont vraiment à proximité de l’eau. Il faut rappeler que ces dernières semaines, une personne est morte dans le canal à Loon-Plage justement noyée dans un canal de ce type là. Donc pour nous, ce lieu est vraiment symbolique de la politique à la fois inutile mais aussi inhumaine qui est menée à Calais. Et c’est pour ça qu’on vous a proposé de se rejoindre ici.

Aujourd’hui, on va être quelques uns à prendre la parole, mais d’autres associations sont aussi présentes. Vous pourrez leur poser des questions si vous le souhaitez. Il y a notamment Channel Info Project, Human Rights Observers, le Refugee Women Center, Utopia 56, l’association La Margelle, Collective Aid, le Secours catholique, Parmi d’autres.
Pour nous, c’est important aujourd’hui d’avoir un contre discours par rapport à la venue de Gérald Darmanin, puisque l’objectif de cette visite pour nous est très clair. Personne n’est dupe et je dirais même la ficelle est énorme. La visite de Gérald Darmanin aujourd’hui à Calais, elle vient manipuler, instrumentaliser la vie de personnes exilées à des fins uniquement politiciennes puisque l’objectif est clair : draguer ici les voix des Républicains et les voix du Rassemblement National pour réussir à faire passer sa loi Asile Immigration qui passe en commission mixte paritaire lundi. Pour nous, c’est quelque chose d’insupportable parce que les vies des personnes exilées valent mieux. Elles valent plus que ces manipulations politiques. Ce matin encore, au moins une personne exilée est décédée à la frontière… Juste une petite pause…

Qu’est-ce que c’est une vie qui disparaît ? Un tout petit peu d’attention, une personne exilée est morte ce matin et elle vient rejoindre au moins 25 autres personnes exilées décédées à la frontière depuis le début de l’année 2023. Par ailleurs, au quotidien, il y a des personnes exilées – tout à l’heure, il y a une bénévole qui me disait des survivantes parce que c’est de ça dont il s’agit à Calais, des personnes qui essayent de survivre à Calais – qui sont harcelés à coup d’expulsions toutes les 48 h, il y a eu plus de 1111 expulsions de lieux de vie sur le littoral depuis le début de l’année 2023, qui se voient confisquer les pauvres effets qu’elles ont : des tentes, des couvertures, et cela même quand le département du Pas-de-Calais est en vigilance orange jaune rouge, qu’il fait la une des médias. Les personnes qui vivent dehors continuent de se faire démunir de leurs pauvres effets personnels, de leurs maigres biens qui les protègent.

La vie de ces personnes, elle vaut mieux que des débats et que des manipulations politiciennes. On est là pour dire ça et on est là pour dire aussi qu’une autre politique est possible. On est là pour dire que, à Calais, il y a une crise humanitaire, il y a une crise d’humanité, mais que les acteurs de l’humanité y sont là et ils vivent au quotidien d’autres situations. Au quotidien on essaie de faire de l’accès au droit. Au quotidien, on essaie d’héberger. Au quotidien, on apporte des repas, un peu d’eau. Ca aboutit de temps en temps à des parcours de succès, à des personnes qui arrivent à avoir une vie avec les succès, avec les échecs, mais que quand on veut, on peut. Et la politique qui est menée ici à la frontière n’est pas une fatalité. Quand on veut, on peut. Et ce n’est pas une question de moyens. Un chiffre parmi d’autres : en 2020, 320 millions d’euros ont été dépensés à la frontière. 85 % desquels uniquement à des fins répressives et de contrôle.

Donc les moyens sont là. Simplement, ils sont orientés très clairement vers la répression. Et le projet de loi qui est en cours, pour lequel Darmanin se déplace aujourd’hui à Calais, il va dégrader la vie des personnes exilées, bloquées à la frontière, en poussant davantage de personnes vers le Royaume-Uni parce qu’elles n’auront plus de possibilité d’être régularisées, parce que leur demande d’asile aura été bâclée dans les procédures qui sont prévues – des procédures où les garanties procédurales sont vraiment très faibles – parce que leur santé aura été dégradée à cause de cette suppression de l’aide médicale d’Etat, parce qu’elles se disent qu’en France, si elles sont régularisées, elles ne pourront pas faire venir leurs proches. Donc ce projet de loi, au pire, va dégrader la situation. Au mieux, il ne changera rien puisque les enjeux de prise en charge humanitaire, d’hébergement, de suspension du règlement Dublin, de facilitation d’accès à l’asile qui sont pour nous au quotidien des problématiques criantes que l’on constate quand on travaille avec des personnes exilées, sont complètement absents du projet de loi. C’est un message qu’on voulait vous porter collectivement parce qu’on est en colère. Mais on est aussi triste. On est aussi endeuillés par encore le décès de ce matin.

Alexia (Refugee Women Center)
A peu près 1500 [personnes exilées vivent] à Calais et 1500 à Grande-Synthe… On n’a pas les chiffres exacts, mais globalement c’est ça, c’est des gens qui vont de toute façon tenter des traversées. En fait, on ne va pas pouvoir les empêcher. Donner un hébergement aux personnes ne va pas les empêcher de venir à Calais ou à Grande-Synthe et de traverser. Nous, au quotidien, on accompagne effectivement des femmes et des familles qu’on récupère grâce à Utopia 56, qu’on récupère après les tentatives de traversées qui reviennent du coup sur le littoral et qui nous demandent des hébergements. Malheureusement, on n’a pas beaucoup de solution parce que nous, on dépend principalement des solutions étatiques, notamment du 115 et des CAES. Il faut savoir que les dispositifs de 115 à Calais fonctionnent pour une nuit pour des personnes primo arrivantes. Donc les personnes qui auraient déjà bénéficié du 115 ne pourraient pas en bénéficier. Et côté Grande-Synthe, les dispositifs à Dunkerque sont saturés. ils ne prennent jamais personne. Et les CAES, il faut aussi le savoir, ce sont des centres qui ont des places limitées. Malgré les 800 places annoncées par Gérald Darmanin, ces places là on ne sait pas où elles sont. Nous au quotidien, ce qu’on constate quand on accompagne des personnes vers les bus pour aller en CAES c’est que, par exemple, les bus, souvent ne prennent qu’un nombre limité d’hommes seuls et emmènent des familles et des femmes très loin du littoral. C’est des centres qui ne sont pas adaptés, c’est quelque chose qu’on répète et qu’on continuera de répéter. On veut pour ces personnes des centres adaptés sur le littoral parce que c’est pas ça qui va empêcher les gens de venir. Les gens viendront. Les gens qui sont dans des campements de fortune et survivent, comme disait Juliette, ils n’ont accès à rien, ils n’ont pas accès à l’eau. Ils ont un accès très limité à l’eau grâce à des associations. Ils n’ont, pour certains, même pas accès à des tentes. On en est là aujourd’hui. On pense qu’ici, la situation ne s’améliore pas. Elle se dégrade et nous on lutte contre ça.

Journaliste
Quand vous dites un centre adapté, c’est juste par rapport à la proximité avec Calais ou il y a d’autres critères ?

Alexia (Refugee Women Center)
Ca serait des centres adaptés qui feraient des vrais diagnostics des situations des personnes et qui pourraient orienter les personnes en fonction de leur souhait. Et proches du littoral, ouais.

Bénévole Refugee Women Center
On voulait ajouter aussi que les femmes étaient présentes. Les femmes et les enfants sont présents dans les campements. On en parle jamais, elles sont totalement invisibles, que ce soit au niveau du projet de loi Asile Immigration, mais aussi en règle générale, elles sont totalement invisibilisées, mais elles sont présentes. Entre juillet et octobre 2023, le [Refugee] Women Center a accompagné plus de 1200 femmes et plus de 1300 enfants qui sont présents sur les campements. Sur le Dunkerquois, il n’y a aucun accès à l’eau qui est proposé par l’État. Il n’y a aucun accès non plus à la nourriture, pas de distribution, il n’y a pas de service d’hygiène, il n’y a pas de toilettes, il n’y a pas de douches qui sont proposées. Pourtant, il y a des centaines de femmes et d’enfants (et de nombreux hommes aussi) qui survivent sur ces campements. Rien n’est proposé par l’État. Ils sont totalement abandonnés et laissés à eux mêmes.

Alexia (Refugee Women Center)
Et aujourd’hui encore, on est contactés par énormément de familles qui reviennent de tentatives ratées de passage et qui nous demandent quelles sont les solutions d’hébergement. Et aujourd’hui, on ne sait pas. On n’a aucune solution à leur proposer.
On va sûrement demander encore une fois à la préfecture d’ouvrir des centres en urgence, mais on ne sait pas si ça va fonctionner puisqu’il n’y a aucun dialogue possible avec les autorités.

Philippe Demeestère
Cet été on va applaudir tout ceux qui vont arriver en tête des courses, des championnats, et cetera aux Jeux olympiques. Mais ici, on a affaire à des personnes qui sont championnes. Avec tout ce qu’elles ont traversé, c’est extraordinaire ! et c’est important de pouvoir les saluer, en se disant que devant eux, on est petits quand même. On peut faire à l’Assemblée nationale des coups de menton, etc.. Les vrais héros ne sont pas dans nos assemblées, ils sont ici, même si c’est dans des conditions indignes.