Témoignage de Jade Lamalchi, solidaire auprès des personnes exilées à la frontière franco-britannique, depuis trois ans.
Jeudi 31 novembre, il est 4h30 du matin. Je me suis levée de bonne heure, avec quelques soutiens, car des rumeurs d’une expulsion de grande ampleur circulaient depuis quelques jours.
Je rejoins deux bénévoles du Secours Catholique, Annick et Anna.
5h15 : on se dirige vers un lieu de (sur)vie ou des personnes dans un froid glacial tente de trouver un peu de répit. On croise deux personnes allant chercher de l’eau dans une des cuves de l’association Calais Food Collective.
Shorta ! Shorta !
Crie-t-on. Cela signifie police en arabe. Les deux personnes comprennent très vite, elles sont habituées à ce que la police vienne les déloger quotidiennement. Ni une ni deux, elles se dirigent vers les tentes en criant que la police arrive en arabe.
C’est bizarre comme sensation, à l’aube, des personnes se précipitent pour faire leurs bagages car « l’ennemi » arrive.
On rentre dans la jungle (« bois » en langue pachtoune) et on informe les personnes exilées de ce qu’il va se passer et de leurs droits :
« Nous ne savons pas où vont les cars, ils peuvent aller dans des centres d’hébergement dans la région comme à l’autre bout de la France. Vous n’êtes pas obligés de monter dedans, mais il arrive très souvent que la police menace de vous arrêter si vous ne montez pas… »
Tout le monde fait ses affaires, on s’excuse de les réveiller ainsi. 10 minutes plus tard, la police arrive, il est 5h45.
On peut compter 18 vans de CRS, neuf vans de la gendarmerie, neuf camions de la police nationale. Ça y est, la chasse à l’homme est en cours, on se fait encercler, il n’est plus possible de sortir du lieu de vie. Avec une bénévole, on court se cacher, car on sait qu’on nous fera sortir du périmètre de « sécurité » (permet de contrôler les entrées et les sorties de la zone bloquée) si la police nous voit. Les personnes se font sortir de leurs habitations de fortune. Il n’y pas de médiateurs-interprètes pour les informer de la situation, ni de leurs droits.
On ne peut rien faire à ce moment-là pour les aider, nous sommes là cachées dans les bois en attendant que la battue cesse.
Selon l’association Humans Rights Obervers (HRO) — qui mène quotidiennement une mission d’observation des expulsions policières à la frontière — qui s’exprime à ce sujet dans un communiqué en ligne « Si la préfecture communique encore et toujours sur des opérations de « mise à l’abri volontaire visant à sauver des vies » (citation du Monde), les associations locales dont fait partie HRO ne peuvent que constater une mise en scène démesurée et absurde des services d’ordre de l’État, ne répondant absolument pas aux besoins pourtant criants des personnes. »
Ce jour-là, j’ai pu constater une fois de plus ce que dénonce depuis 2017 HRO, à savoir des mises en bus forcées. Des dispositifs purement sécuritaires qui ne prennent pas en compte la situation des personnes exilées bloquées à la frontière franco-britannique.
Si ces opérations sont elles que la Préfecture les nomme, alors pourquoi prendre les personnes par surprise à 5h45 du matin ? Pourquoi ne pas les informer de leurs droits en amont, en discuter avec les associations qui les soutiennent depuis plus de trente ans ?
Si ces opérations pouvaient se passer de façon digne et si les personnes étaient informées de leurs droits, beaucoup d’entre elles iraient dans ces centres d’hébergement, voir même demanderaient l’asile en France.
En 2013, un projet d’hébergement adapté pour les personnes de passage a été élaboré par les associations membres de la Plateforme Des Soutiens aux Migrant·es (PSM). Il serait peut-être temps de reprendre ce projet, cesser les expulsions quotidiennes qui ne font qu’épuiser physiquement et psychologiquement les personnes et mettre fin à la confiscations des affaires personnelles.
« Ça fait vraiment hypocrite, je n’appelle pas ça une mise à l’abri, mais une mise en éloignement. » Dit Annick, bénévole au Secours Catholique rue de Moscou. « Si notre monde marche à l’envers, c’est parce qu’on ne prend pas nos responsabilités, on ne réfléchit pas à ce qui est bien et ce qui est mal. J’ai 70 ans, je ne sais pas combien de temps je vais rester sur Terre. Ce qui est sûr, c’est que je vais laisser à mes petits enfants la désobéissance. Il ne faut pas rester dans les clous, il faut être hors-les clous. »