Toutes les migrations sont-elles climatiques ?

« Est-ce que certaines des personnes qui sont là à Calais sont des réfugiés climatiques ? Est-ce que parmi les personnes qui ont migré en Europe et sont présentes en France, voir à la frontière franco-britannique, certaines fuient les effets du dérèglement climatique ? »

D’après leurs expérience associative dans l’aide aux personnes exilées à Calais et la publication du rapport du Secours Catholique « Libres de rester, libres de partir », Julie Hernandez et Angèle Vitorelo (Utopia 56) ainsi que Juliette Delaplace (coordinatrice au Secours Catholique) reviennent sur la notion de « migration climatique », un concept que l’octogénaire convention de Genève ne prend pas en compte dans sa définition pour permettre l’ouverture de droits internationaux aux personnes réfugiées.

Julie Hernandez – Utopia 56 :
Bonjour à toutes et à tous. Avec Juliette et Angèle, on va parler un petit peu des migrations climatiques en lien avec ce qui a été évoqué précédemment : le changement climatique et ici les submersions marines.
Pourquoi est-ce que nous, on vient parler de ça ? Les submersions marines ici et particulièrement dans le calaisis, comme ça a été expliqué juste avant, vont impliquer probablement des déplacements. Le fait de devoir quitter son chez soi de manière non volontaire, non choisie, à cause de certaines contraintes… Et donc c’est un peu toute cette question : qu’est-ce que ça implique de partir de chez soi ?
Clairement, ici, à priori, s’il il y a des événements de submersion marine comme ça a été expliqué et montré sur des cartes, ça irait jusqu’à Saint-Omer, voir Lille etc.. donc ce serait plutôt à une échelle assez “locale”, régionale ou au sein du pays, etc… Donc nous, on va parler d’échelle un peu plus grande, voire intercontinentale. Mais quand même, on ne peut pas s’empêcher de faire un petit parallélisme ici, étant donné qu’il y a une situation migratoire un peu particulière ici à Calais, je pense que tout le monde est au courant.

SITUATION CALAISIENNE

Juliette Delaplace (Coordinatrice au Secours Catholique de Calais)
Même si ce n’est pas le thème central de la discussion aujourd’hui, ça vaut quand même peut-être la peine de vous parler rapidement de la situation actuelle des personnes exilées à Calais. Aujourd’hui, on estime entre 2000 et 2500 le nombre de personnes exilées bloquées à la frontière. C’est un peu plus que chaque année mais on sait que l’été et l’automne, il y a toujours un peu plus de monde, simplement parce que c’est “moins dur” de traverser, parce que c’est “moins dur” de survivre dehors. Ces personnes, ce sont des personnes sous nationalités, principalement soudanaises, érythréennes, afghanes, mais aussi iraniennes, irakiennes ou, dans une moindre mesure, des personnes d’Afrique francophone. Il y a bien évidemment des femmes, des enfants, des familles. On estime entre 15 et 20 %, même si il n’y a pas de recensement officiel, le nombre de mineurs non accompagnés, donc des enfants, des personnes de moins de 18 ans, sans leurs parents.
Toutes ces personnes sont bloquées à la frontière non pas parce qu’elles veulent toutes rejoindre le Royaume-Uni comme on le dit souvent. La moitié d’entre elles, selon les différentes études qui ont pu être menées au fil des années, sont ici parce que le Royaume-Uni est un peu leur dernier espoir, c’est, un choix par défaut parce qu’elles n’ont pas pu s’installer dans d’autres pays européens. Un quart d’entre elles en revanche ont vraiment des attaches au Royaume-Uni et veulent s’y rendre.
Ces personnes là vivent dans les conditions que vous savez, qui sont extrêmement difficiles. Depuis 2016 et la fin de la grande jungle, le gouvernement, les autorités parlent de « lutte contre les points de fixation« . C’est une belle formule euphémisante pour dire la chasse à l’homme qui est faite contre ces personnes. Louis Witter, un journaliste qui a passé du temps ici, parle de “battue” pour caractériser la politique qui est menée contre ces personnes, puisqu’en fait il y a effectivement des expulsions de lieux de vie, la confiscation d’affaires, l’accès aux services de base ou alimentation insuffisants, etc…

Je ne veux pas être longue parce que ce n’est pas le thème central, mais je trouve que c’est un chiffre intéressant : En 2022, selon Human Rights Observers, il y a eu 1700 expulsions de lieux de vie et 3267 tentes et bâches saisies pour les personnes exilées à Calais. Donc ça dit un peu la politique qui est menée. On n’est pas du tout dans l’accueil de personnes qui fuient. Par ailleurs, elles ont du mal à rejoindre le Royaume-Uni puisque depuis une trentaine d’années maintenant, on est dans une politique de bunkerisation, de renforcement de la frontière, coûte que coûte, à coup d’accords juridiques. Il y a eu plus de 22 accords depuis la fin des années 90 entre la France et le Royaume-Uni pour fermer la frontière, des milliards d’euros dépensés dans les dernières technologies extrêmement sophistiquées. La dernière en date, peut-être vous en avez entendu parler, ça a été le déploiement de 76 drones sur le littoral pour empêcher les traversées. Mais il y a aussi des grillages sur la Canche, un avion Frontex, des détecteurs de battements de coeur… Un dispositif exceptionnel et sophistiqué est déployé pour empêcher ces traversées.

LIMITES DE LA
CONVENTION DE GENEVE

Pour raccrocher un peu la présence de ces personnes au sujet de la discussion d’aujourd’hui, la question a été posée : « Est-ce que certaines des personnes qui sont là à Calais sont des réfugiés climatiques ? Est-ce que parmi les personnes qui ont migré en Europe et sont présentes en France, voir à la frontière franco-britannique certaines fuient les effets du dérèglement climatique ?« 
C’est une question assez complexe puisque nous au Secours Catholique, quand on est en discussion ici à Calais avec les personnes exilées, qu’elles nous racontent les raisons de leur exil, soit c’est dans le cadre d’une discussion informelle, soit c’est dans le cadre d’une discussion au contraire très formelle, pour préparer leur demande d’asile. C’est donc dans le cadre d’une discussion à laquelle ils doivent exposer les raisons de départ de leur pays d’origine et les raisons pour lesquelles elles ne peuvent y revenir. Je pense qu’on a tendance dans ces discussions, on a tendance, je pense, – mais elles aussi quand elles viennent s’asseoir pour en parler – à biaiser un peu les termes des discussions, puisqu’en fait on cherche à savoir si finalement en faisant leur demande d’asile, ces personnes peuvent être protégées au titre de la Convention de Genève. Cette convention de Genêve, qui date de 1951, a voulu, suite à la Seconde Guerre mondiale, donner un statut protecteur aux personnes qui fuyaient les conflits, qui avaient besoin de protection. Or, cette convention, c’est là-dessus que s’appuie le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés justement, pour protéger les réfugiés. C’est sur cette convention de Genève que s’appuie également en France l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides puis la Cour Nationale du Droit d’Asile, c’est sur cette convention que s’appuie ces institutions qui viennent protéger les personnes soit en demande d’asile soit réfugiées. Or, la convention de Genève ne prend pas en compte, la dimension climatique de la migration. Elle prévoit : “de protéger toute personne qui fui son pays parce qu’elle craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social, ses opinions politiques”. Donc il n’y a pas, là, de place pour les personnes qui seraient déplacées pour des raisons climatiques. Puisque cette convention de Genève était trop restrictive, on a aussi en France, ce qu’on appelle la protection subsidiaire, qui est une protection qui vise à protéger, en plus des personnes protégées par la Convention de Genève, les personnes qui risquent la peine de mort ou une exécution, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ou qui ont des menaces graves et individuelles en raison d’une violence qui peut s’étendre à tout un pays ou toute une région. Donc en fait, des personnes qui risquent d’être victimes de conflits à venir.
Donc nous, quand on entend les personnes pour rédiger leur demande d’asile ou qu’elles échangent avec nous, elles vont avoir tendance à présenter les motifs de leur exil, les motifs de départ de leur pays d’origine sous cet angle là, et non sous d’autres raisons.
Pourtant, en fait, si on s’attache par exemple à comprendre jusqu’au bout les motifs d’exil de certaines personnes, ici par exemple de nationalité soudanaise – qui est vraiment une nationalité très représentée à Calais parmi les personnes exilées – elles vont mettre en avant des phénomènes d’assassinat, de villages brûlés par des milices Janjawids dans les villages d’une région au sud du Soudan qui s’appelle le Darfour. Elles vont parler de persécutions et de craintes politiques. Il y a des engagements, notamment universitaires et syndicaux, pour la liberté à Khartoum. Pour rappel, Omar El-Bechir, qui a fait un coup d’État et qui a dirigé le Soudan avant la révolution de 2019 fut poursuivi par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Donc elles vont mettre en avant des éléments qui sont plus des éléments liés à la guerre ou aux persécutions.
Or, quand on remonte et qu’on cherche les raisons de ces conflits, et notamment au Darfour, on voit que les causes climatiques sont extrêmement présentes. En fait, le Darfour, c’est une zone qui a été vraiment victime du réchauffement climatique, où il y a eu un phénomène de sécheresse comme dans d’autres endroits. Il y a eu de la compétition entre des populations plus nomades et des populations plus sédentaires, des populations qui étaient plus organisées autour de l’élevage et d’autres plus autour de l’agriculture pour accéder aux ressources. En fait, simplement pour survivre. Autour de ces enjeux de territoire et d’accès aux ressources se sont greffées des enjeux interethniques puisqu’il y avait déjà des enjeux et des conflits entre ethnies au Darfour, auxquels se sont associées une augmentation démographique importante et une absence de système démocratique dans le pays, avec un pouvoir qui a été complètement confisqué par Omar El-Bechir suite à un coup d’État militaire. Donc en fait, on voit que les raisons de la crise au Darfour, relèvent en partie du réchauffement climatique et de la sécheresse dans cette zone là, mais elles se sont vraiment complexifiées avec tout un tas d’autres facteurs de fragilités sociales, économiques, politiques. Or, cet enjeu du réchauffement climatique, quand on parle avec eux, quand on fait les récits d’asile des personnes soudanaises, il n’apparaît jamais. On ne va pas jusque là. Et donc, tout ça pour dire que nous, on en parle très peu finalement. On pose très peu la question. On en parle très peu avec les personnes qui arrivent jusqu’ici, alors même qu’on sait que ça fait aussi partie, en fait, de ce qui déstabilise les pays d’origine des personnes que l’on rencontre à la frontière.

Julie Hernandez (Utopia 56) :
De notre côté, avec Utopia 56 on en parle également très peu avec les personnes parce qu’en fait, à travers nos missions, ce qu’on tente d’apporter principalement, c’est une aide d’urgence. Quand je dis urgence, c’est avec des pincettes, on ne gère pas l’urgence vitale, mais c’est plutôt dans le sens : “Qu’est ce qu’on va pouvoir faire pour la personne aujourd’hui, actuellement ? Est ce que la personne a besoin d’un logement ce soir ? Est-ce que la personne est mouillée parce qu’elle était plus tôt dans la journée dans la mer et donc elle a besoin de changer ses vêtements aujourd’hui ? » Malheureusement, on n’est pas en capacité de faire un suivi sur le long terme. On tente d’apporter une aide ponctuelle, même si les possibilités sont très restreintes. Mais donc en fait, il n’y a pas de raison… Ça nous apporterait pas plus d’éléments en fait de poser ce genre de questions aux personnes. Ce serait plutôt même un peu de la curiosité malsaine. Parce que pour les personnes, c’est aussi à chaque fois reraconter un récit qui est pour elles et eux douloureux. Donc on se garde un peu de poser ce genre de questions.

MIGRATIONS : TOUTES CLIMATIQUES ?

Si on dézoome un petit peu et qu’on revient à l’échelle un peu plus globale par rapport aux personnes déplacées climatiques, d’après le rapport global sur les déplacements internes qui est sorti en mai 2023 de la part de l’IDMC, il y a eu en 2022 32 millions de personnes déplacées pour cause climatique. Alors, c’est pas 32 millions de personnes qui changent d’un continent à un autre. Il y a beaucoup de personnes pour lesquelles ce sont des déplacements plutôt régionaux, internes. Et il y a aussi tout une partie dans ces 32 millions de personnes qui vont potentiellement pouvoir rentrer chez eux après, par exemple, un phénomène météorologique ponctuel de quelques mois, semaines, années.
Toujours pour parler des chiffres, si on considère qu’effectivement les conditions climatiques vont s’aggraver – elles s’aggravent déjà maintenant, on a vu des scénarios un peu plus tôt dans la conférence – c’est difficile de savoir combien de personnes vont être concernées par ces déplacements climatiques parce qu’effectivement il y a des modélisations climatiques qui sont déjà elles-mêmes incertaines, mais en plus de ça qu’est ce qu’on considère comme “lieu de vie” ou une zone où les conditions sont bonnes pour être habitable ?
C’est au final un peu subjectif, surtout si ces critères sont définis par des personnes qui elles mêmes n’habitent pas là bas. Qu’est-ce qu’on considère comme des conditions OK, qui ne nécessitent pas finalement de migrer vers ailleurs. Donc c’est un petit peu aussi subjectif. Et donc c’est pour ça que c’est compliqué de savoir combien de personnes au final vont se déplacer, compte tenu de toutes ces questions.

Juliette – Secours Catholique :
Pour que les choses soient aussi un peu plus incarnées quand on parle de migrations climatiques, de la même manière qu’on parle de personnes ici à la frontière, au niveau international, il s’agit aussi de villes, de communautés qui sont complètement impactées d’ores et déjà par le réchauffement climatique et donc le Secours catholique au niveau international ont créé un petit rapport qui s’appelle : “Libres de rester, libres de partir ”, qui a mené une enquête auprès de trois pays : Sénégal, Honduras et Bangladesh pour comprendre quel était d’ores et déjà l’impact du dérèglement climatique sur ces populations. Dans ce rapport, ce que l’on voit, c’est que dans ces trois zones, il y a des conséquences directes :

– Au Bangladesh, il y a énormément de cyclones, salinisation des sols. Il y a déjà une transformation de l’activité vers une activité économique nouvelle autour de l’élevage de la crevette qui n’est pas du tout quelque chose de nouveau et qui lui même devient une forme d’élevage assez intensif qui participe en fait à une dégradation de l’environnement.
– Au Honduras, c’est les tempêtes tropicales qui, ces dernières années, ont eu lieu à un rythme accéléré par rapport aux années précédentes.
– Et donc au sud et au nord de la côte sénégalaise, ce qui se passe, c’est en fait ce qu’on a vu un peu dans les présentations précédentes, du fait du réchauffement de la température de l’eau et de l’érosion de la côte, a lieu une perte de l’activité de pêche pour les pêcheurs locaux qui pourtant en vivaient et en faisaient vivre aussi leurs familles.

Toutes ces communautés là sont déjà aujourd’hui en train d’essayer de s’adapter aux conséquences du réchauffement climatique. Pour certaines, notamment celles concernées par l’érosion des sols, les tempêtes tropicales et les cyclones il faut s’adapter très rapidement puisqu’elles n’ont plus d’habitations, ni de travail. Dans ces cas là, il faut s’adapter très rapidement, cela donne lieu à des déplacements, oui, mais ça ne donne pas lieu à des déplacements internationaux. Ça donne lieu à des déplacements régionaux. On va chez des proches pour se protéger ou alors on va dans des dispositifs d’hébergement d’urgence.
Sur le moyen terme, ça nécessite de se réorganiser. Notamment au Bangladesh, on va dans des villes plus grandes, à proximité, souvent dans des conditions très dégradées, dans des bidonvilles, en périphérie des villes, pour trouver de nouvelles activités. Au Honduras, après les cyclones, les tempêtes tropicales, il y a eu des tentatives de se réinstaller. Sur le moyen terme, il y a une tentative de réorganisation économique, soit en allant un peu plus loin, soit en retournant sur les zones affectées par le dérèglement climatique.
Sur le long terme, ça a des conséquences durables pour les personnes avec une perte d’identité, notamment parce que parfois l’activité économique, leur lieu d’habitation, c’était des choses traditionnelles, des choses qui étaient transmises de génération en génération, donc il y avait une vraie souffrance identitaire, des situations de précarité importantes vécues avec une dégradation générale des conditions de vie.

Surtout, une incertitude par rapport au futur ressort très fortement du rapport. Ces personnes considèrent que là, elles sont dans des phases transitoires, elles ne vont pas trouver encore une issue définitive à l’impact du dérèglement climatique qu’elles avaient vécu.
Ce qui est intéressant aussi et ce qui me semble important de souligner parce que dans le contexte actuel, quand on parle de migrations climatiques on a l’impression que c’est quelque chose de massif qui va, nous, en Europe, occidentaux, nous impacter très fortement pour être vraiment victimes de grandes vagues de personnes qui viendraient. En fait, ce que le rapport montre, c’est que non. En fait, les déplacements sont principalement régionaux, internes. Les déplacements internationaux, le franchissement de frontières pour s’adapter à ces situations là, au dérèglement climatique, sont vraiment extrêmement marginaux et ont lieu auprès des pays limitrophes. Ça va être les pêcheurs sénégalais du nord du Sénégal qui vont en Mauritanie ou ça va être les travailleurs bangladais qui vont ponctuellement en Inde.
Ce qu’on voit aussi, c’est que ces déplacements ne sont pas définitifs. En fait, ce sont davantage des déplacements circulaires, c’est à dire que les personnes vont travailler – Pour les Sénégalais, un peu en Mauritanie, pour les Bangladais, un peu en Inde – Mais ils reviennent dès que possible pour essayer de se réinstaller sur leur territoire, tout simplement. Et donc ça, c’est des enseignements qui sont intéressants et qui vont permettre de comprendre un peu mieux en quoi le dérèglement climatique et le réchauffement climatique aujourd’hui ont déjà un impact sur les communautés les plus précaires, les plus pauvres.

INTERCONNEXION
DES MOTIFS MIGRATIONS

Angèle (Utopia 56) :
On a proposé ces trois pistes de réflexion sur cette question de la migration liée au climat.
La première, c’est la question – je pense assez centrale aujourd’hui – de la manière dont on définit les personnes migrantes, qui arrivent en Europe, en France, ou même à Calais à l’heure actuelle. Ces personnes migrantes, sont souvent catégorisées derrière des termes qui restreignent la compréhension des raisons qui poussent ces personnes à partir. Par exemple, en termes très généraux, on va avoir le terme de “migrant politique”, le terme de “migrant économique”. Aujourd’hui. du coup, le terme de “migrant climatique”. On se pose la question du sens de ces termes, qu’est-ce qu’ils représentent dans les raisons du départ de ces personnes.
Aujourd’hui, quand on dit “migrant politique” dans les médias ou dans la classe politique, dans l’imaginaire collectif, on pense tout de suite à une guerre, à un conflit armé. On va allier ce terme de “migrant politique” avec le terme de “réfugié”, un terme qui donne accès à un statut de protection inscrit dans le droit international, dans la convention de Genève etc…
Par contre, “migrant économique” va influencer la manière dont on voit cette personne en disant que c’est une personne partie à cause de son statut social, à cause de problèmes économiques et elle cherche à aller dans un pays où elle pourra améliorer son statut, avoir un capital qui sera meilleur. Et donc ça, ça va donner une raison au départ qui sera moins légitime pour cette personne. Donc c’est des termes qui réduisent ces personnes à un seul type de migration.
Migrant climatique” regroupe juste la seule cause d’une catastrophe naturelle dans le pays de départ. Par exemple, l’arrivée massive de personnes migrantes sur l’île de Lampedusa le mois dernier a fait naître des débats assez nourris à la télévision, ou dans les médias généraux, sur cette question là. Les journalistes posent la question : “est-ce que ce sont des migrants économiques ? ” et du coup qui seraient moins légitimes d’arriver en Europe ou est-ce que ce sont vraiment des réfugiés politiques qui fuient une guerre, etc… Or, on se rend compte, via la recherche scientifique, qu’il est difficile, voire même impossible, d’isoler une seule cause, une seule catégorie migratoire, parce qu’en fait, elles sont toutes interconnectées, toutes liées entre elles.
Pour vous donner un exemple très simple en général : une famille d’un pays d’Afrique subsaharienne qui a son économie basée sur l’agriculture, qui utilise l’agriculture comme source de revenus, mais aussi pour vivre, est touchée par une sécheresse, par la baisse des prix, par la baisse du niveau d’un lac, d’une rivière, etc… Donc elle voit son économie touchée par un dérèglement climatique. Ça impacte son revenu, ça impacte sa “catégorie sociale”, et ça peut déjà être un vecteur de migration. On peut ajouter à cela que lorsqu’une ressource, en l’occurrence l’eau, devient rare, il y a une situation de rareté de la ressource qui apparaît, et donc, la ressource est bien moindre par rapport aux besoins de la population qui va l’utiliser. Et ça, c’est en général un terreau fertile à l’apparition de conflits armés ou à une situation dangereuse de guerre. Et donc, ce facteur là-aussi est déclencheur de « migration politique« .
On voit bien dans cet exemple là qu’il y a une accumulation des trois facteurs, en l’occurrence climatique, économique et ensuite politique. Donc les définitions actuelles de “migrant politique”, “migrant économique”, “migrant climatique” sont biaisées et restreignent autant la compréhension que l’accès aux droits des personnes migrantes qui arrivent aujourd’hui en Europe, en France.

RESPONSABILITE DE L’OCCIDENT SUR LES MIGRATIONS

Julie Hernandez (Utopia 56) :
Pour nous réimpliquer dans toutes ces discussions – quand je dis nous, c’est les pays occidentaux – : Il y a quand même quelque chose d’un peu interpellant. comme Angèle le dit, c’est très difficile d’isoler finalement une seule cause de départ. Pourtant, ici, on considère à travers le droit international, que, non, une raison climatique n’est pas justifiée, n’est pas légitime comme raison de départ, elle ne rentre en tout cas visiblement pas dans les récits pour pouvoir expliquer pourquoi on a voulu partir.
C’est un peu contradictoire étant donné que quand il s’agit de climat, de changement climatique, il n’y a pas de frontières. Une émission qui a lieu en un point X ne va pas seulement avoir des conséquences dans ce point X.
Il va avoir des conséquences ailleurs. Une hausse des températures ne va pas s’arrêter au mur qui a été construit entre deux frontières. On n’est pas sans savoir que ce changement climatique, comme ça a été expliqué plus tôt, est en moyenne globale. C’est une somme de réchauffements et -ponctuellement – de refroidissements climatique. C’est pour cela qu’on parle de changement climatique et pas seulement de réchauffement.
La hausse est provoquée notamment par un accroissement de l’activité industrielle depuis plusieurs décennies duquel nous sommes les principaux bénéficiaires ici en tant que pays occidentaux. Alors, soit elles sont ici en Europe et on en bénéficie directement, soit en fait on les délocalise ailleurs et donc les émissions sont ailleurs. Mais finalement ici, en tant que pays favorisé ou à haute consommation, c’est également nous qui allons en bénéficier largement. Et donc c’est effectivement un peu interpellant de dire : “non, nous, on ne reconnaît pas…” Le motif climatique n’est pas reconnu alors qu’en fait on en est très responsable.

POURQUOI ON SE BAT

Juliette Delaplace (Secours Catholique) :
C’est pas facile d’avoir des recommandations parce qu’on se demande toujours à qui elles s’adressent finalement… On a l’impression de formuler des recommandations un peu dans le vide… Mais, bon, je pense que l’intervenant suivant pourra nous expliquer ce qui est possible, nous donner quand même de l’espoir, politiquement!

On essaie quand même de continuer à se demander dans ce contexte quand même très déprimant, où tout est un peu sombre quand on parle de réfugiés, de déplacés, de réfugiés d’autant plus climatiques : Pourquoi on se bat ? Nous, le Secours Catholique et avec d’autres associations, on plaide pour un droit à migrer, pour reprendre la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’article 13 parle du droit à quitter le pays, du droit à émigrer.

Mais nous, associations, on demande aussi un droit à immigrer, c’est à dire un droit à migrer, un droit à se déplacer librement, qui soit plus inclusif et qui prenne en compte davantage de critères que simplement la Convention de Genève et le droit et la protection des réfugiés, sachant que l’un n’empêche pas l’autre.
Aujourd’hui on sait que les causes de déplacements sont diverses, on sait que les parcours migratoires en tant que tels sont des moments douloureux d’exils. On plaide pour que soit reconnu ce droit à migrer et que les personnes, les migrants, puissent être également protégés et accueillis. Ça, c’est la première chose.
La deuxième chose, c’est que les personnes exilées sont comme tout un chacun des acteurs rationnels qui font des choix et donc qui font les choix les plus rationnels compte tenu de leurs ressources pour s’adapter au réchauffement climatique ou pour s’adapter à des situations de conflits qui peuvent dégénérer. Et donc la migration est pour elles, quand elles la font, le meilleur choix compte tenu des ressources qu’elles ont en leur possession.

Très concrètement, il faut développer non pas un titre spécial de réfugié climatique qui s’ajouterait aux titres de réfugiés pour cause de conflits, de guerre, etc… Mais développer une possibilité de mobilité libre, notamment au niveau régional. C’est le cas “normalement” de l’espace Schengen. Je dis “Normalement” parce qu’il y a de plus en plus de contrôles aux frontières intérieures de l’Union européenne. C’est un objectif aussi pour la Cedeao.
Développer aussi le fait de pouvoir élargir les visas de travail, d’étude, de réunification familiale, etc… Élargir les nationalités, les situations dans lesquelles on va permettre aux personnes de migrer sans visa. On parle d’exemption de visas. Rendre la mobilité plus fluide, c’est une recommandation importante pour nous.
Et la dernière recommandation, Julie l’a nommé, c’est de prendre en tant que pays occidentaux responsables en grande partie du réchauffement climatique notre responsabilité et être proactif dans l’accompagnement des communautés locales, d’ores et déjà victimes du réchauffement climatique.

Julie Hernandez – Utopia 56 :
Aujourd’hui, il y a déjà beaucoup de personnes qui migrent, qui se déplacent, que ce soit pour des raisons politiques, économiques ou climatiques. Ça va très probablement s’accroître dans le futur, notamment si on prend juste en considération la composante climatique. Effectivement, rien que pour ça, déjà, ça va s’accroître.
Donc il est nécessaire et urgent de revoir les politiques d’accueil européennes et internationales, pour qu’il n’y ait pas, un peu comme ici à Calais, de hot spot de concentration des personnes qui, au final, se retrouvent ici non par choix mais par défaut, parce que toutes les autres portes sur leur parcours leur ont été fermées.
Et donc, c’est important et urgent de revoir tout ce processus d’accueil pour que ce soit plus réparti et que les conditions d’accueil soient plus dignes pour les personnes.
Ici à Calais, je pense sincèrement qu’on ne peut pas parler de dignité quand à l’accueil des personnes exilées.