Fabien Roussel a rencontré la CGT de Calais

Ce jeudi 22 juin, le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, était en visite à Calais pour parler travail, accompagné de la sénatrice Cathy-Apourceau-Poly, et du député Jean-Marc Tellier. Il a rencontré l’union locale de la CGT et ses délégués syndicaux à la bourse du travail.

La scène se passe au premier étage de la bourse du travail. Autour de la table, les trois parlementaires communistes s’installent. Éric Lhirondelle, poids lourd de l’union locale, en première ligne des manifestations calaisiennes contre la réforme des retraites, fait les présentations : « En face de vous, vous avez des camarades qui sont de l’industrie. Nous avons Marc et Pierre qui sont de l’entreprise textile de Noyon. Nous avons Denis, qui représente l’entreprise Graftech. Nous avons Cyrille et Dominique pour Catensys. Il y a aussi Xavier pour Synthexim. Nous avons Séverine, pas pour l’industrie, mais pour l’hôpital. »

« Il faut une alternance aux prochaines élections »

Les présentations faites, le contexte est posé : « On parle beaucoup de la réindustrialisation de la France, mais nous à Calais, on est à contre-courant, on a des entreprises industrielles historiques qui sont en train de fermer » a lancé le cégétiste qui dénonce « le dogme politique » des collectivités locales, à commencer par la mairie de Calais. Un dogme qui tient selon lui en quatre mots : « Pas d’industrie à Calais » . « Il faut un changement politique. Il faut une alternance aux prochaines élections » lâche-t-il finalement, devant un Fabien Roussel attentif, stylo rouge dans la main gauche.

Éric Lhirondelle (Union Locale CGT Calais).

« Franchement, la dentelle à Calais… on survit »

« Qu’est-ce qu’il va rester en dentelle à Calais ? » demande Fabien Roussel. « Rien » rétorque Marc Picout, délégué CGT de l’entreprise calaisienne. « Pourquoi on change d’identité à chaque fois ? Ça fait cinq fois qu’on change d’identité ! » grogne celui qui a connu quinze plans sociaux en 35 ans de carrière.

Il faut avouer que la dentelle de Calais, on n’y comprend plus grand chose. Dernièrement, la marque Noyon, fondée à Calais par le dentellier Lucien Noyon en 1919, a été vendue à une entreprise sri-lankaise par le groupe Alphalace – également propriétaire des marques calaisiennes Desseilles et Darquer. En se séparant de la marque Noyon, le groupe tire un trait sur un patrimoine centenaire. Le journal Nord Littoral indique en effet que les « croquis, brouillons et échantillons de dentelle et de tissus brodés des XIXe et XXe siècles ne sont désormais plus la propriété de Noyon Calais, qui n’existe – de fait – plus. » .

Si les salarié·es ne seront pas inquiété·es – pour l’instant – par cette vente, le symbole est fort : Calais perd de nouveau l’une de ses marques de dentelle, et en même temps, un bout de son histoire. Une histoire que rappelle Marc Picout : dans les années 1960, ce sont plus de 45 000 personnes qui travaillaient dans la dentelle à Calais. Et aujourd’hui ? « On était 130 il y a quatre ans, on est arrivé à 88. Franchement la dentelle de Calais… on survit. Je donne encore deux ans. » prédit le cégétiste.


Chez Catensys, « on est en train de crever à petit feu »

Nous avions rencontré Cyrille Robert, délégué CGT chez Catensys, il y a quelques semaines, sur le piquet grève de son usine. Ce jour-là, les salarié·es avaient débrayé pour réclamer la hausse des salaires, mais c’est une autre inquiétude qui occupait les conversations. Une inquiétude à nouveau exprimée devant Fabien Roussel et les parlementaires du PCF ce jeudi après-midi.

Pour bien comprendre les enjeux de cette usine calaisienne – héritière de Brampton et Schaeffler –, il faut surtout regarder ce qu’elle produit : des chaînes pour véhicules à moteur thermique. Problème : l’Union Européenne a voté l’interdiction des moteurs thermiques d’ici 2035. Et l’avenir de Catensys s’est assombri.

Cyrille Robert, délégué CGT chez Catensys.

« La décision européenne de ne faire que de la voiture électrique, c’est dramatique, je ne sais pas qui a pris cette décision… » s’interroge Cyrille Robert qui décrit un climat morose dans l’usine. « On a de la commande sur les projets actuels, mais on n’a plus de projet. Ils sont en train de préparer les esprits » explique-t-il. « On est passé de 330 à 260 salarié·es, ils appellent ça l’érosion naturelle du personnel » . Avec Fabien Roussel, la discussion s’installe.

Fabien : « Syndicalement, vous n’avez pas des choses à faire, le droit d’alerte ? »
Cyrille : « On va déclencher le droit d’alerte, mais ça va changer quoi ? »
Fabien : « Pour travailler à la reconversion du site, mettre en place les investissements nécessaires pour ça, et que les syndicats soient porteurs d’un projet »
Cyrille : « À mon avis, c’est pas leur intention de nous donner d’autres choses à faire. On est en train de crever à petit feu. (…). Ils n’ont pas de volonté qu’on fasse autre chose. On coûte trop cher. »
Fabien : « Je dis ça parce qu’il y a des fonds publics qui ont été débloqués par l’État pour l’industrie automobile. […]. Je trouve que c’est une connerie de se passer des compétences de l’industrie thermique. […]. La question, c’est de savoir comment on fait avec ce gouvernement là. Ils ont mis en place des fonds pour transformer les entreprises. Si vous avez la possibilité de travailler à un projet alternatif, ce serait la possibilité pour les parlementaires que nous sommes d’aller taper à la porte du ministère. »

Autour de la table, les cégétistes n’y croient pas. « Ça c’est de la théorie. En pratique, c’est différent. On l’a connu avec Calaire Chimie » rappelle Éric Lhirondelle. Là-bas, les salarié·es avaient monté un projet de reprise par une coopérative ouvrière (SCOP) qui n’avait pas été retenu. L’usine avait finalement été reprise par le groupe Axyntis pour devenir Synthexim. Dix ans plus tard, les 105 salarié·es viennent d’être licenciés.


Fermeture de Synthexim : « On avait une belle vie »

Les 105 lettres de licenciement sont arrivées le vendredi 23 juin. « Je suis néanmoins contraint, par la présente, de vous notifier votre licenciement pour motif économique » est-il simplement indiqué en première page. Après 126 ans d’histoire, l’usine chimique implantée à Calais par Georges de Laire en 1897 a définitivement fermé ses portes, faute de repreneur.

La veille, à la bourse du travail, c’est l’un des cégétistes de l’usine, Xavier Delmarre, qui parle avec Fabien Roussel. « Nous, on est fermé. On a vu personne, la maire de Calais n’est pas venue. Xavier Bertrand, je ne sais pas qui c’est. Ce qu’on ressent… Du dégoût. On avait une belle vie » se désole le syndicaliste de l’usine qui produisait, entre autres, des principes actifs à destination de l’industrie pharmaceutique.

De gauche à droite : Fabien Roussel, Jean-Marc Tellier et Xavier Delmarre.

« On considère que quand une entreprise produit quelque chose d’important, il faut réunir les conditions pour la garder. Parfois il faut nationaliser. Parfois il faut entrer au capital pour aider l’entreprise. Mais ce n’est pas le projet de l’État qui est dans une logique marchande » dénonce Fabien Roussel, évoquant une réunion au ministère avec la sénatrice Cathy Apourceau-Poly.

Lors d’un entretien qu’elle nous avait accordé en mai dernier, la sénatrice PCF du Pas-de-Calais – qui avait bataillé sur le sujet avec son assistant parlementaire, Bertrand Péricaud – avait elle aussi réclamé la nationalisation du site, qui « fabrique une molécule indispensable à la fabrication de ces médicaments dont manque le pays » a-t-elle rappelé ce jeudi. Parmi les produits en rupture que Synthexim était capable de produire : la Ritaline (pour les enfants hyperactifs) et le Disulfirame (pour le traitement de l’addiction à l’alcool).

Fabien Roussel et Cathy Apourceau-Poly.

Cette fermeture de Synthexim est d’autant plus difficile à avaler pour Xavier Delmarre que l’autre usine chimique de Calais, Interor, vient tout juste de recevoir des aides de l’État. « On n’avait pas encore reçu les lettres de licenciement qu’on lisait dans le journal que l’État donnait cinq millions à Interor. Pourquoi aider une entreprise à cinq kilomètres et pas nous ? » s’indigne le syndicaliste.


Chez Graftech, du chômage partiel depuis six mois

« Graftech est une entreprise très énergivore. Avec l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité, il nous ont mis au chômage partiel depuis le début de l’année, depuis janvier » explique Denis, ouvrier de production et délégué CGT. La conséquence pour les salarié·es se trouve sur la fiche de paie : « On ne touche que 60% de notre salaire » .

« Vous êtes combien dans cette situation ? » demande Fabien Roussel. « On est à peu près 200 dans l’usine. Mais les ouvriers de production, c’est eux qui sont les plus touchés. Donc on est à peu près 130 à 140 personnes à toucher 60% de notre salaire. »

Lors des discussions, on apprend que la répartition du chômage partiel est inégale selon le poste occupé : 60 jours pour les employé·es, 20 jours pour les cadres, 8 jours pour la direction. Une inégalité qui révolte le représentant syndical de l’usine. « Si il n’y a plus de production, pourquoi on a besoin d’un directeur de production ? » interroge-t-il.

Il poursuit : « Là, ils ont demandé une dérogation à la sous-préfecture pour prolonger le plan de chômage partiel. Pendant qu’ils sont au chômage partiel, eux ils ont des aides de l’État, nous les ouvriers, on n’en a pas.Tout en sachant que les dividendes des actionnaires continuent d’augmenter, alors que nous les ouvriers on a du mal à boucler la fin du mois. C’est nous qui faisons la production. Je sais bien, on a bien besoin des patrons, s’ils n’étaient pas là on ne pourrait pas avoir notre boulot ou quoi que ce soit, mais à un moment donné il faut quand même qu’ils restituent une part de la valeur. »


À l’hôpital de Calais, « l’été sera chaud, et les années futures aussi »

Le 20 juin 2023, les soignant·es de l’hôpital de Calais étaient en grève, emmené·es par Séverine Vasseur, déléguée CGT, avec qui nous avions parlé, sur le piquet de grève. Devant les élus du PCF et son secrétaire national, elle répète les inquiétudes de tout un secteur.

« Actuellement, une heure de nuit est majorée d’1.07€ brut en plus en plus du salaire » détaille l’hospitalière, devant une assemblée révoltée. « C’est pas comme ça qu’on va attirer les jeunes vers le métier, même si certains ont la vocation » poursuit-elle. Dans le détail, une nuit travaillée à l’hôpital public, c’est 20 euros brut maximum en plus. Pour un dimanche, c’est 46 euros brut. « Dans le privé, c’est le triple souvent » nous avait expliqué Séverine Vasseur deux jours plus tôt.

Séverine Vasseur, déléguée CGT au centre hospitalier de Calais.

« Le Ségur, c’est la grosse arnaque. L’augmentation n’a fait que rattraper la disette des années précédentes » continue-t-elle. Hervé Caux, de l’union locale, intervient : « Ils ont eu le Ségur, mais ça a automatiquement fait diminuer la prime d’activité. Donc il n’y a pas eu d’augmentation au final. » Fabien Roussel s’emporte : « La prime d’activité, c’est une arnaque, c’est une honte ! »

Hervé Caux (Union Locale CGT de Calais).

À l’hôpital de Calais, Séverine Vasseur s’inquiète d’un nouveau manque de médecins. « Cinq gériatres vont partir à la retraite sans être remplacés. Les personnes âgées vont arriver aux urgences, ça va bouchonner à mort. L’été sera chaud ça c’est certain, mais les années futures aussi » annonce la déléguée CGT.


Retraites : « notre rôle, ça va être de rappeler ce qu’il s’est passé »

Dernier sujet évoqué autour de la table : les six mois de contestation contre la réforme des retraites. « Quel est l’état d’esprit ? » demande Fabien Roussel. La table s’accorde sur un mot : « résignation ».

« La haine est toujours présente, admet Hervé Caux. On va devoir passer à d’autres formes de mobilisation. Ça a été quelque chose de brutal pour les gens. Mais les gens oublient vite, donc notre rôle ça va être de rappeler ce qu’il s’est passé. »

Selon Éric Lhirondelle, « les organisations syndicales en sortent gagnantes ». Fabien Roussel est plus mesuré. « Je pense que c’est un coup dur. On peut dire qu’on a gagné la bataille de l’opinion, mais on n’a pas gagné. »


Avant la rencontre de l’après-midi avec la CGT, Fabien Roussel et les parlementaires du PCF avaient rendez-vous avec les représentants syndicaux du transmanche, d’Eurotunnel et avec les dockers. Les syndicats ont dénoncé le dumping social des compagnies comme P&O qui emploie des marins du Honduras, ou encore Britanny Ferry’s et Irish Ferry’s, qui battent pavillon chypriote. Face à cette concurrence déloyale, la sénatrice Cathy Apourceau-Poly portait, le 21 juin, une proposition de loi contre le dumping social transmanche. Une proposition adoptée à l’unanimité par le Sénat.

En début de soirée, Fabien Roussel tenait une réunion publique à la salle du Minck, à Calais-Nord. Les questions portaient sur la question de l’eau, l’autoritarisme du gouvernement, la NUPES, l’immigration, l’enseignement ou encore les moyens des communes rurales.

Les images de la réunion publique

Reportage : Valentin De Poorter