Le Channel : pétition et lettre des salarié.es contre un chantage à la subvention

Nouvel épisode d’un feuilleton de politique culturelle dont une grande partie des Calaisien.es se passerait bien. Mardi 28 mars, lors de son conseil municipal, la Ville de Calais a annoncé diviser quasiment par deux la subvention annuelle qu’elle est censée accorder au Channel.

Tous les quatre ans une convention entre la scène nationale et la municipalité est rédigée pour définir la direction du projet artistique à mener et définir le montant versé par la Ville pour permettre à l’équipe du théâtre de le réaliser. Sur la dernière convention signée en 2020, la municipalité s’engageait à subventionner Le Channel à hauteur de 900 000 euros par an, pendant quatre ans.

Une mise en danger des emplois intermittents

L’année dernière, seuls 750 000 furent versés, sous prétexte de crise sanitaire. Cette année la rétention s’élève à 350 000. C’est donc en deux ans un total d’un demi million d’euros dont les techniciens et artistes embauchés par la scène nationale sont privés par la politique culturelle de la municipalité de Natacha Bouchart. Au-delà de l’impact sur la programmation, cette entreprise de coupes budgétaires met en péril tout une somme d’emplois intermittents supprimés par la déprogrammation des spectacles.

La raison de cette nouvelle sanction financière ? Une riposte contre un événement à venir imaginé par Francis Peduzzi, directeur du Channel et organisé en réaction à l’ingérence de la municipalité dans la gestion de la scène nationale. Ou plus concrètement pour vouloir se défendre contre le désir de l’équipe de Natacha Bouchart de le voir démis de ses fonctions. « C’est un partenaire qui a fait de très belles choses au Channel mais qui a un moment donné… faut passer la main ! »  avait déclaré, lors du conseil municipale, la maire de Calais, le 28 mars 2023.

Un face-à-face à distance

Le rendez-vous culturel fut dévoilé par Francis Peduzzi dans un communiqué – lu par une déléguée syndicale – lors de la retraite aux flambeaux du 3 mars contre la réforme des retraites :

«Je vous annonce donc dès à présent un premier rendez-vous artistique, festif et populaire, en soutien au Channel. Il s’intitule : Le 6 mai, on s’y met. C’est facile à retenir, le 6 mai, on s’y met. C’est un samedi. Vous êtes tous conviés. Venez en famille, mobilisez vos proches et vos amis, parlez-en autour de vous. »

communiqué de F. Peduzzi lu par Carole Peru lors de la retraite aux flambeaux du 3 mars

Pascal Pestre, adjoint à l’attractivité du territoire réagit lors du conseil municipal à cet événement à venir :

« On a appris qu’il [Francis Peduzzi] organise le 6 mai une manifestation à la Ville. Comprenez donc qu’avant de donner sa subvention au Channel, on aimerait en savoir plus sur cette manifestation. Et s’il s’avère qu’elle est à charge contre la ville, on serait stupides de donner de l’argent… Nous avons demandé ce qu’il en est au directeur du Channel, on espère avoir une réponse bientôt. A partir de là, nous réétudierons la subvention pour la remettre au niveau qui était le sien auparavant. »

Pascal Pestre, adjoint à l’attractivité du territoire, lors du conseil municipal du 28 mars

Tentative de chantage ou cri sarkozyste d’amour désespéré du type « Si tu reviens j’annule tout » ? Pour Jean-Philippe Lannoy, élu municipal Respirer Calais, la pilule passe mal:

« […] c’est bien l’équilibre financier du Channel qui est fortement mis en péril avec un chantage à peine masqué pour obtenir ce qu’ils veulent. Pire, la Ville continue de trahir ses engagements signés : la convention établie pour les 4 années 2020-2023 prévoyait bien 900 000 euros par an soit 3,6 millions, on est loin du compte ! ».

Jean-Philippe Lannoy, billet Facebook du 29 mars

Une pétition lancée

Une semaine plus tard, le Channel réplique donc de son côté le mardi 4 avril, par voie citoyenne, et invite à signer une pétition de soutien populaire présentée en ces termes :

« Pour la poursuite du projet artistique du Channel dans le respect de son histoire et de sa singularité.
Pour la reconnaissance et le respect de l’autonomie du directeur et de son équipe, en conformité avec les textes ministériels.
Pour le droit du Channel à demeurer dans ces lieux imaginés par la scène nationale, dans des conditions contractuelles pérennes.
Pour une mise aux normes de l’isolation thermique, alliée à une amélioration fonctionnelle des bâtiments.
Pour la tenue des engagements budgétaires signés par la Ville de Calais.
Pour un subventionnement à la mesure d’un avenir ambitieux, et du retour de Feux d’hiver.

La pétition a déjà obtenu plus de 1000 signatures à l’heure où sont publiées ces lignes.

Le lendemain, la scène nationale fait paraître dans le numéro 18 de La Passagère une lettre ouverte à la municipalité rédigée par les 54 salarié.es inquiets par l’avenir de leur structure.

Vers quel nouveau projet ?
La municipalité considère qu’il faut changer de projet artistique. Pourtant elle-même s’inspire
depuis plusieurs années des affinités artistiques et de la programmation du Channel pour
nourrir sa propre politique culturelle (citons seulement la compagnie La Machine avec
François Delarozière et la compagnie Hervé Koubi). Mais alors, au regard de tout ce qui
précède, pourquoi notre projet pose problème ?

Lettre des salarié·es du Channel
pour la poursuite du projet artistique de la scène nationale, mise en ligne le 05 avril 2023

Affaire à suivre mardi 11 avril avec une rencontre publique organisée par l’équipe du Channel à propos de la situation en cours.

Pierre MUYS.