La mairie attaque le Channel : les premières réactions

La maire de Calais Natacha Bouchart souhaite un nouveau projet artistique pour le Channel et veut se débarrasser de son directeur, Francis Peduzzi. Depuis l’annonce, les réactions se multiplient : de nombreux Calaisiens dénoncent cette attaque et promettent de défendre la scène nationale.

Les faits

  • Le Channel est l’une des 77 scènes nationales françaises. « Scène nationale » est un label délivré par le ministère de la Culture à des théâtres publics qui proposent une programmation dans le domaine du spectacle vivant. Francis Peduzzi est directeur du Channel depuis sa création, en 1991.
  • Le Channel a organisé de grands événements populaires à Calais : les très réputés Feux d’hiver mais aussi les défilés des compagnies La Machine et Royal de Luxe (girafes, éléphants, araignées…). Le lieu abrite par ailleurs une librairie, un restaurant et un bistro.
  • Lors du conseil municipal du 7 février, l’adjoint à l’attractivité du territoire Pascal Pestre annonce que la municipalité souhaite « un nouveau projet et donc un nouveau directeur puisque l’actuel ne veut pas entendre changer le sien » .
  • Immédiatement après l’annonce, les réactions indignées se sont multipliées pour défendre l’institution historique calaisienne.

« On marche sur la tête »

La première réaction fut citoyenne. Elle est venue de Caroline Olek, architecte d’intérieur à Calais. Dans une publication postée sur Facebook et partagée plus d’une centaine de fois, elle étrille l’attaque de la mairie de Calais. « On marche sur la tête » écrit-t-elle. En effet, dans un article publié le 3 février, le journal Nord Littoral explique : « La Ville souhaite un autre projet porté par un autre directeur. » Caroline Olek réplique : « Qui représente le terme « la ville » si ce n’est ses habitants ? »

Elle poursuit : « Je suis furieuse, déçue, inquiète. Je ne souhaite pas d’autre projet culturel pour le Channel que celui qu’il porte et incarne actuellement. Et je ne souhaite pas qu’une vendetta personnelle [celle de Natacha Bouchart] mette à mal la magie de ce lieu et le directeur qui la porte et la crée. »

Le Channel reçoit par ailleurs, et entre autres, le soutien de l’association Agitateurs publics par la voix de Bastien Larue, son coordinateur artistique : « Total soutien à ce lieu et ses équipes, dont les formes, les mises en relation, les convivialités qui en ressortent est une inspiration importante pour Agitateurs Publics. » écrit-il.

« Foutez donc la paix au Channel! »

Côté politique, c’est Jean-Philippe Lannoy, élu LFI du groupe Respirer Calais, qui a d’abord répliqué à l’attaque de la maire de Calais, Natacha Bouchart. Lors du conseil municipal du 7 février, il interpelle la maire et ses adjoints : « Ce qui fait la force du Channel, c’est sa liberté et son audace. Et cette indépendance vous est insupportable » assène le conseiller municipal d’opposition. Il enchaîne : « Foutez donc la paix au Channel et respectez vos engagements financiers, vous rendrez grand service aux Calaisiens, à la culture et à votre très chère attractivité du territoire. » Dans une publication sur les réseaux sociaux, l’élu prévient : « Si Natacha Bouchart persiste dans cette direction, elle nous trouvera sur sa route ainsi que de nombreux Calaisiens très attachés au Channel. »

Le Channel, feux d’hiver 2018. Photo : Julia Druelle.

De son côté, EELV Calais a rendu public un communiqué, signé par Francis Gest et Jean-Pierre Moussally (conseiller municipal du groupe Respirer Calais). « Difficile de comprendre qu’une structure avec une telle aura […] soit à ce point entravée, dénigrée, critiquée, et que tout soit fait pour tenter de… de la museler ? .. de la castrer ? On peine à trouver un verbe à la hauteur de cet acharnement. » regrettent les signataires. Ils ajoutent : « C’est d’ailleurs bien Francis Peduzzi qui avec l’architecte Patrick Bouchain a fait sortir ces merveilleux bâtiments de terre et transformé une zone destinée à donner la mort, en un lieu de vie ouvert et pétillant. »

Caroline Matrat est conseillère départementale et membre du conseil d’administration du Channel – elle y représente le Département. Elle s’est elle aussi exprimée dans un long message, publié sur les réseaux sociaux et partagé près de 500 fois. « Qu’il est navrant pour la première ville du département qu’est Calais, de mettre en péril sa scène nationale et de risquer de priver tout un territoire d’un atout culturel majeur. » se désole-t-elle. Aussi, elle s’étonne « qu’une municipalité qui se donne comme priorité l’emploi soit prête à mettre sur le carreau une vingtaine de salariés en CDI et une centaine d’intermittents » . L’élue départementale n’a aucun doute : « un nouveau projet et une nouvelle direction, c’est forcément une nouvelle équipe. » Une analyse partagée par le maire de Oye-Plage, Olivier Majewicz et Nicolas Vernalde, conseiller municipal à Calais (PS, groupe Respirer Calais)

L’humour pour moquer N. Bouchart (et son programme culturel)

Comme à son habitude, la page Facebook « Calais fait divers » a choisi l’humour pour commenter l’actualité… et se payer la tête de la maire de Calais. « Je veux remplacer la programmation du Channel par des concerts de tribute bands » fait dire la page satirique à Natacha Bouchart. Référence est ici faite à cette grande passion de la maire de Calais d’organiser dans la ville des concerts d’artistes qui reprennent les chansons des autres (Goldmen, Coldplace, sosies de Johnny Hallyday…).

Ceci est un montage satirique produit par la page Facebook « Calais fait divers ».

« Je veux aussi que l’on rebaptise l’endroit Complexe Culturel Michel Sardou » invente la page satirique, ironisant sur les ambitions culturelles de Natacha Bouchart. En effet, la politique culturelle de la Ville se résume bien souvent à une offre mainstream : ce qui est proposé est ce qui est déjà très connu, populaire et à la mode. À l’inverse, le Channel innove et prend des risques, propose une programmation audacieuse et donne les moyens aux artistes de mener à bien des projets de recherche et de création innovants. Voilà où se trouve le danger d’une éviction de Francis Peduzzi. Voilà où se trouve le danger de cette attaque brutale, injuste et lâche contre un directeur, des salariés, des intermittents, un public, une institution. Bref, contre une manière d’être Calaisienne et Calaisien.

Valentin D.