Son silence commençait à faire beaucoup de bruit. Dans notre article publié le 31 janvier dernier, nous remarquions « le silence gênant » de la maire de Calais sur la réforme des retraites. Natacha Bouchart s’est enfin exprimée dans un communiqué rendu public ce mardi 7 février. Elle y fait – très subtilement – une annonce de taille.
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Pour bien comprendre les raisons de l’affaire, il faut remonter un an en arrière. Natacha Bouchart avait publiquement soutenu Emmanuel Macron à l’élection présidentielle 2022 et le candidat macroniste aux élections législatives quelques mois plus tard. À chaque fois, la retraite à 65 ans était dans le paquet de propositions. Après deux manifestations réussies dans les rues de Calais, Natacha Bouchart ne pouvait pas se cacher plus longtemps. Que faire ? Froisser ses électeurs en défendant la réforme, ou décevoir son chef en s’y opposant ?
Natacha Bouchart n’est « pas sûre »
« Oui, une réforme du système des retraites est nécessaire. En l’état actuel, notre système n’est pas viable à long terme. » explique-t-elle, reprenant les arguments financiers du camp présidentiel et des Républicains.
Elle poursuit : « Pourtant, la réforme actuelle résoudra-t-elle les problèmes ? Je n’en suis pas sûre. Mon seul intérêt, c’est celui des Calaisiens. » Pour Natacha Bouchart, c’est ni oui, ni non : elle n’est « pas sûre » . La stratégie retenue par la maire de Calais est celle du doute. Une stratégie de repli et d’évitement qui permet à l’intéressée de ne pas exprimer d’opinion… et de ne froisser personne.
Travailler plus longtemps : oui, mais à une condition
C’est dans un autre passage que se trouve la grande annonce de cette prise de parole. Subtilement glissée au milieu du communiqué, l’information aurait pu passer inaperçue : « Que l’on demande aux Français de travailler plus longtemps est une chose. Leur demander sans aborder plus franchement la question de la pénibilité en est une autre. » écrit la maire de Calais.
Regardons d’un peu plus près cette formulation ambiguë. Natacha Bouchart écrit d’abord que travailler plus longtemps « est une chose » . La construction grammaticale retenue par la maire de Calais suggère que cette demande est une chose… acceptable, tolérable. Une chose qui va presque de soi et qu’elle ne désapprouve pas. La seconde phrase valide cette analyse. En effet, Natacha Bouchart pose une condition à cette demande faite aux Français de travailler plus longtemps : « aborder plus franchement la question de la pénibilité » . Ainsi, Natacha Bouchart ne semble pas dérangée par le fait qu’il soit demandé aux Français de travailler plus longtemps. Ce qui la fait douter, c’est la manière dont le gouvernement formule sa demande : sans parler franchement de la pénibilité au travail. Sans faire de bruit, la maire de Calais vient d’annoncer être favorable à la mesure la plus contestée de la réforme : le report de l’âge légal de départ à la retraite.
La suite du paragraphe, sans retour à la ligne, est construite autour d’une anaphore (répétition d’un mot ou groupe de mots en début de phrase). La maire de Calais écrit : « Je comprends ceux qui se lèvent tôt depuis des décennies. Je comprends ceux dont le travail est pénible : j’étais encore la semaine dernière en déplacement dans une usine, et avant cela à l’hôpital. Je comprends ceux qui craignent pour leur santé. » Cette structure grammaticale étouffe le propos précédent, elle accélère la lecture et emmène rapidement le lecteur ou la lectrice très loin du passage le plus important du texte (et le plus dangereux pour l’élue). Au passage, la maire de Calais bascule vers l’affectif.
Une stratégie affective basée sur l’empathie
En effet, dans la suite de son texte, Natacha Bouchart écrit : « Je pense à tous ceux qui ont une carrière hachée, je pense aux femmes, je pense à ceux qui ont des revenus modestes, je pense aux ouvriers, aux employés, aux agriculteurs. Cette réforme, en l’état actuel, pèsera sur eux. » La stratégie ici déployée est limpide : elle est affective. La maire de Calais « comprend » les travailleurs et elle « pense » à eux. Il n’est plus question de la réforme et de son contenu imparfait qu’il faudrait modifier, mais du lien émotionnel qui lie l’élue à ses administré·e·s. Plus tôt dans son communiqué, Natacha Bouchart avait déjà tenté un rapprochement avec ses lecteurs par le récit autobiographique : « Oui, comme de nombreux Calaisiens, j’ai connu des périodes de chômage, et je sais, ce qu’est la vie avec des minimas sociaux » .
En définitive, il n’est presque jamais question du contenu de la réforme dans la déclaration de Natacha Bouchart. La « pénibilité » est évoquée à une reprise mais n’est jamais clairement définie. Aussi, la maire de Calais ne donne aucune indication précise sur les évolutions qu’elle souhaite pour la réforme, se contentant d’une lettre d’amour – empoisonnée ? – à la population calaisienne.
Valentin D.