De Calais à Hénin-Beaumont : la liberté artistique sous pression politique

À Hénin-Beaumont, la situation se tend autour du Théâtre de l’Escapade. Dans un communiqué du 3 septembre, le CRAC et la CGT alertaient sur les pressions exercées par la mairie, dirigée par Steeve Briois et son adjoint à la culture, Jean-Luc Gallet, sur cet établissement culturel. Ces derniers sont accusés d’intervenir dans la programmation du théâtre, notamment en exerçant leur droit d’annuler des spectacles. Cette ingérence politique se manifeste par une convention qui permet à la municipalité d’annuler une programmation jusqu’à quinze jours avant la date prévue d’un spectacle. Cette clause, jugée malveillante, suscite de vives inquiétudes parmi les artistes et les syndicats du spectacle, qui y voient, après le départ insidieux du directeur artistique Jean-Yves Coffre, une censure mal costumée.

UNE Ingérence politique inquiétante

Le 25 septembre, un collectif d’artistes et de techniciens du théâtre a interrompu la soirée de lancement de la saison en montant sur scène. Dans un article du Journal L’Insurgée relatant cet événement, le collectif « L’Escapade en danger » justifie son action par la volonté apparente de la mairie de transformer le théâtre en une scène aux contenus « convenables », conformes aux valeurs défendues par l’administration municipale. Cette ingérence politique constitue une menace sérieuse pour l’indépendance artistique et la diversité culturelle d’Hénin-Beaumont.

Théâtre de l’escapade, le 25 septembre. Photo de Louise Bihan pour linsurgée.fr

Le conflit continue de s’intensifier, atteignant un nouveau point critique le 3 octobre au soir avec l’annulation du spectacle L.O.L.A de la compagnie L’Intruse. Les comédiennes et metteuses en scène Camille Candelier et Anna Wessel, soutenue pas la CGT spectacle ont décidé de se mettre en grève et de ne pas assurer la représentation. Dans un communiqué, les artistes expliquent que leur engagement artistique est incompatible avec une politique qui entrave la liberté d’expression. Elles dénoncent non seulement l’ombre grandissante de la censure politique sur le spectacle vivant, mais aussi le climat de méfiance et de contrôle qui s’installe autour de leur travail. Par ailleurs, les compagnies programmées à L’Escapade les 10 et 17 octobre semblent prêtes à emboîter le pas, témoignant d’un soutien croissant à la lutte pour la liberté artistique.

Hénin Beaumont, Calais : même combat ?

Vu d’ici, cette situation n’est pas sans rappeler l’éviction récente de Francis Peduzzi du Channel, la scène nationale de Calais. Dans les deux cas, les choix artistiques sont remis en question par des autorités politiques, dans les deux cas les directeurs artistiques sont écartés de leur responsabilités. Des manœuvres qui soulèvent un bon nombres d’inquiétudes concernant la liberté d’expression dans le milieu culturel. Il est d’autant plus significatif de noter que la mairie de Calais n’attend pas d’être dirigée par une équipe d’extrême droite pour employer les mêmes méthodes, démontrant ainsi que les tensions entre pouvoir politique et culture s’exercent indépendamment des affiliations politiques (et peut-être aussi que l’extrême-droite c’est la droite, extrêmement.)

Cette dynamique qu’on retrouve dans d’autres théâtres du territoire national met en lumière le conflit entre production artistique et attractivité territoriale. D’un côté, les politiques locales qui cherchent à promouvoir une image attrayante pour attirer les visiteurs et les investisseurs, de l’autre, la culture qui représente une richesse intrinsèque qui pour pouvoir s’épanouir ne doit pas être instrumentalisée à des fins politiques ou économiques. La tendance municipale à favoriser des événements renforçant leur agenda politique nuit à l’authenticité et à la vitalité culturelle de la population qui la subit. La culture est un atout essentiel à la cohésion sociale et à l’identité locale. Elle est un des derniers garde-corps nous permettant aujourd’hui de ne pas nous retrouver partout nulle part.

Pierre Muys