Un 7 septembre à Calais contre Macron

Depuis plus de 50 jours, la situation politique reste tendue en France. Emmanuel Macron qui a refusé de reconnaître la victoire du Nouveau Front Populaire et de nommer Lucie Castets comme Première ministre vient de lui choisir Michel Barnier du camp Les Républicain (4 ème parti aux législatives, avec 5,41% des votes exprimés au second tour), ce qui suscite de vives réactions au sein des formations de gauche.

En réponse à cette situation, des appels à manifester ce samedi 7 septembre se multiplient, et la pétition pour la destitution du chef de l’État connaît un fort engouement. En seulement quatre jours, plus de 200 000 personnes ont signé la pétition sur le site www.macron-destitution.fr pour soutenir la démarche initiée par La France Insoumise.

Parallèlement, environ 120 rassemblements et marches sont prévus dans tout le pays, un chiffre lui aussi en constante progression.
Le mouvement national aura un écho dans le Calaisis avec un appel à mobilisation samedi à 15 heures devant le théâtre.

Nous avons posé quelques questions à Gauthier, Jade et Jérémy, respectivement étudiant, travailleuse sociale et enseignant ainsi que moteurs du collectif citoyen ayant mené campagne pour le NFP lors des législatives de juin dernier.

Propos recueillis par Pierre Muys.

CALAIS LA SOCIALE

Pour commencer pouvez vous expliquer les raisons d’un appel national à la manifestation le 7 septembre prochain ?

« Les habitant·es du Calaisis subissent les conséquences de décisions politiques nationales libérales et xénophobes ».

GAUTHIER

Alors que les sondages nationaux donnaient au Rassemblement national une majorité absolue, les Françaises et les Français ont permis au Nouveau Front Populaire d’être la première coalition à l’Assemblée nationale. Bien que la Constitution laisse le choix au Président de la République de choisir le Premier ministre, la tradition veut que le Chef de gouvernement soit de la même tendance politique que le groupe politique arrivé en tête aux élections législatives.
Le Nouveau Front Populaire est la première force politique au Parlement.
Démocratiquement, Emmanuel Macron devait nommer notre candidate : Lucie Castets. Or, le monarque présidentiel vient de nommer Michel Barnier. Ce choix est celui de l’arrogance, de l’ignorance et de l’instabilité. Il ne sera qu’un pantin dirigé par Emmanuel Macron depuis l’Élysée, afin que sa politique continue de casser les services publics et d’amplifier les inégalités.
Mais son irresponsabilité ne date pas d’aujourd’hui… Les Françaises et les Français retiendront d’E.M, comme l’homme qui aura refusé de se soumettre aux besoins d’un peuple qui souffre depuis des années de la misère sociale.

Gauthier à la manifestation « Nous populaires » Photo : Arthur Vleirick

JADE

Cet événement s’inscrit dans une dynamique nationale, mais le Calaisis est particulièrement touché par les politiques mises en place par le gouvernement, notamment à cause de la question migratoire mais aussi par son taux de pauvreté bien supérieur à la moyenne nationale. Le Calaisis est aussi victime d’un système économique qui fait la course aux profits, quitte à briser celles et ceux qui les produisent, que ce soit par le travail, ou par des maladies qui pourraient être évitables, comme le diabète. Les corps s’usent vite et la santé mentale aussi. Les habitant·es de cette circonscription subissent directement les conséquences de décisions politiques nationales libérales et xénophobes.

Le Calaisis est un territoire de solidarité et de lutte. Cette manifestation s’inscrit dans ce cadre. Nous avons besoin de montrer une alternative à une société basée sur la sécurité, la répression, le mépris de classe, et une politique de la mort (« nécropolitique ») qui cible principalement les personnes noires et arabes tentant de rejoindre l’Angleterre, faute d’accès à des voies légales et sûres.

JEREMY

Cette manifestation est une manière de réagir au grave déni de démocratie de la part de Macron et de son gouvernement. ‌Il s’agit aussi de montrer que la démocratie n’est pas un spectacle à commenter de luttes entre des personnalités politiques, un « jeu de stratégie », mais c’est bel et bien une dimension fondamentale de notre existence individuelle et collective. Il s’agit alors de lui redonner un sens par le fait même de manifester ensemble.

« Manifester, c’est une manière de s’entêter et de persister à ne pas accepter les politiques violentes et néolibérales de Macron. »

CALAIS LA SOCIALE

Les dernières manifestations du Nouveau Front Populaire à Calais et la défaite aux législatives n’ont pas vraiment participé à mobiliser de manière massive dans le coin, quel est l’intérêt d’un tel rendez-vous par ici selon vous ?

JEREMY

Je pense qu’il n’y a pas eu en effet de mobilisation massive, mais une mobilisation tout de même. On fait face à la fois à une très grande colère et au profond désespoir de nombreuses personnes face aux défaites successives, à la répression politique et au martelage incessant et nauséeux des discours de droite. Il faut réagir en persistant à montrer qu’il existe un autre monde possible, plus solidaire et plus juste. On a l’impression de répéter sans grand effet les mêmes manifestations, les mêmes discours ; mais cette répétition permet de construire des collectifs défendant d’autres projets, une autre vision du monde. Manifester, c’est une manière de s’entêter et de persister à ne pas accepter les politiques violentes et néolibérales de Macron. On mérite bien mieux que ce monde qui nous est infligé depuis des années.

GAUTHIER

Il faut rappeler qu’à l’échelle nationale et locale, dans un délai extrêmement court, toutes les formations politiques et citoyennes de gauche sont parvenues à s’entendre sur plus de 150 mesures et sur des candidatures
uniques dans chacune des circonscriptions.
Nous avons construit en quelques jours ce que nous avons été incapables de faire pour les élections européennes. La division de la gauche depuis des mois, n’a pas permis à personne de percevoir la gauche comme une opposition crédible à Emmanuel Macron. Cette situation a permis à l’extrême droite d’en tirer profit.
Au lendemain de la dissolution, nous sommes parvenus à mobiliser une
centaine de citoyens, militants politiques, associatifs et syndicaux dans le Calaisis.
Nous n’avons rien lâché : toutes les minutes comptaient. Cependant, la mise sous les projecteurs quotidienne du Rassemblement national pendant les Européennes nous a fait de l’ombre au niveau local. Nous avons manqué de temps.
La dynamique nationale était du côté de l’extrême droite. Même Pierre-Henri Dumont, le député sortant issue d’une droite dure et très ancré localement, n’est pas parvenu à conserver son poste.

JADE

L’intérêt de cette manifestation à Calais réside dans la continuité du combat que nous menons ici. Chaque action contribue à faire entendre les revendications et à renforcer la visibilité des luttes locales. Pour Calais, ville symbolique en raison des problématiques migratoires et sociales, ce type de rassemblement permet de créer une convergence entre différentes luttes : celles des exilés, des travailleurs et des citoyens affectés par les politiques économiques et sociales, mais aussi de faire entendre la voix des Palestiniens au travers des rassemblement hebdomadaire sur la Place d’Armes. Ce rendez-vous peut encourager l’engagement citoyen à long terme et faire émerger de nouvelles solidarités.
C’est également une manière de rejeter les idées de l’extrême droite, qui instrumentalisent les différentes classes sociales et méprise les pauvres, les noirs et les arabes. Nous savons très bien, et l’histoire nous l’a montré, que les idées xénophobes et les discours de haine ne sont en aucun cas la solution aux difficultés que nous rencontrons.
Aujourd’hui, la majorité des électeurs de la circonscription a voté pour le Rassemblement National. Nous pensons que la voix qui nous aidera n’est pas celle qui nous divise et nous instrumentalise, mais celle de la solidarité, de l’union des luttes, et de l’acceptation de nos différences. Nous luttons tous contre un même système : celui des gouvernants et des riches qui exploitent les dominés au prix de leur sueur et de leur sang.

« avec un ministre NFP On aurait eu l’occasion de reparler un peu des conditions de travail« 

CALAIS LA SOCIALE

Michel Barnier, du camp Les Républicains vient d’être nommé premier ministre. Qu’est-ce que la nomination d’un ministre NFP aurait pu apporter pour les gens du Calaisis ?

GAUTHIER

La nomination d’un Premier ministre représentant la coalition du Nouveau Front Populaire aurait pu changé beaucoup de choses pour les habitants d’une septième circonscription touchée de plein fouet par le chômage, la précarité, la montée des eaux et la situation des exilés en détresse à la frontière franco-britannique.
Nous aurions néanmoins pu relancer les débats au sein de l’assemblée nationale, afin de composer des majorités sur les mesures du programme du NFP tels que l’augmentation du SMIC à 1600 euros net, le blocage des prix de certains produits, dont le gaz et l’électricité pour contrer l’inflation, l’abrogation de la réforme des retraites pour un retour à 60 ans, la réinstauration de l’impôt sur la fortune et la mise en place de 13 tranches d’imposition, pour un impôt sur le revenu plus juste et progressif, l’intensification de ponts d’accueil au niveau européen pour un accueil digne des exilés…

JADE

De mon côté, je ne suis pas certaine non plus que la nomination d’un ministre issu du NFP aurait pu apporter quelque chose de concret aux habitant·es du Calaisis, surtout dans un contexte de cohabitation avec une assemblée majoritairement de droite et d’extrême droite. Le système actuel est tellement bien ficelé qu’il rend difficile la mise en place de politiques sociales et solidaires de rupture à plus de 30 ans de réformes sécuritaires. Néanmoins, sur le plan idéologique, cela aurait eu de l’importance, le NFP aurait pu instaurer un rapport de force favorable aux idées progressistes. Mais nous sommes encore loin des réformes telles que le SMIC à 1600 euros. Une Première ministre de gauche n’aurait malheureusement pas suffit à empêcher les morts aux frontières, à garantir l’accès à une alimentation saine, à abolir la culture du viol, ou encore à mettre fin à la justice punitive. Ce changement dépend surtout de notre capacité, en tant que citoyens, à nous rassembler, à remettre en question le monde qui nous entoure, et à réfléchir à la façon dont la société nous traite.
Je crois davantage en la convergence des luttes et à une mobilisation quotidienne sur le terrain pour transformer notre système et améliorer concrètement la vie des habitant·es ici.

Jade au lancement de la manifestation « Nous Populaires » du 26 juin. Photo : Arthur Vleirick

JEREMY

Cela aurait pu permettre de refaire de la politique à partir des problèmes les plus quotidiens des classes populaires. On aurait eu l’occasion de reparler au moins un peu des conditions de travail, de la pauvreté, et de l’abrogation de la réforme des retraites…

« il existe une énergie collective importante à Calais »

CALAIS LA SOCIALE

La campagne des législatives pour Le Nouveau Front Populaire a permis une importante mobilisation citoyenne. Beaucoup de gens, de jeunes, pas particulièrement militants ont été très actifs dans les différentes opérations liées à la campagne. Comment l’expliquez-vous ?

JADE

La campagne des législatives du Collectif Citoyen – NFP a su capter l’attention de nombreux jeunes, de citoyens « non militants », acteurs associatifs non partisans et syndicats. Ce phénomène s’est observé un peu partout en France, car nous avons tous ressenti l’urgence de faire front face à la montée de l’extrême droite. Des dizaines de milliers de personnes ont basculé dans l’engagement politique pour la première fois.

Le Collectif Citoyen – NFP a mis l’accent sur un ton participatif et démocratique, donnant la parole à celles et ceux qui n’ont pas forcément de formation politique partisane mais qui ont des idées à défendre. Le fait que ce collectif soit intergénérationnel et divers a permis de laisser chaque sensibilité s’exprimer, et surtout à accepter notre diversité de pensées et d’êtres. C’est cette acceptation de la différence, avec un peu d’humilité qui ont permis de dépasser certaines frustrations.

JEREMY

Je pense qu’il existe une énergie collective importante à Calais et ailleurs. On cherche face à l’intolérable de notre société, son injustice, des chemins pour s’émanciper, construire une autre manière d’être ensemble et de défendre la dignité de toutes et de tous. Dans cette recherche, il y a aussi une remise en question des hiérarchies, des formes d’autorité. Le modèle classique du militantisme n’échappe pas à cette critique. Je pense que l’échange entre les différentes générations, militantes ou pas, est essentielle pour construire des collectifs de lutte qui prennent en compte à la fois les héritages des combats passés, mais aussi qui écoutent ces remises en question, ces nouvelles manières de faire et de penser.

CALAIS LA SOCIALE

Quelle est l’actualité de ce collectif citoyen – NFP depuis les dernières élections ?

Jérémy (au milieu) lors de la manifestation pour un Nouveau Front Populaire, le 12 juin
photo : Arthur Vleirick.

JEREMY

On expérimente pas à pas, simplement et dans la joie, des actions politiques. On a distribué par exemple un tract sous la forme d’une question (« Comment améliorer notre quotidien de citoyen ? »). Il s’agit avant tout de ne pas considérer seulement les personnes qu’on croise comme des électeurs, des « gens »  différents de nous ; il faut à notre avis construire des manières de faire émerger une véritable intelligence collective pour penser des politiques solidaires et une autre vision de Calais. C’est cette capacité d’agir et de réfléchir ensemble qui est remise en cause dans les répressions politiques et dans les discours sinistres de la droite et de l’extrême droite. On souhaite développer de l’éducation populaire, des discussions publiques, et des actions tournées vers des problèmes quotidiens, vécus par le plus grand nombre. Pour résumer :  on essaie de faire de la démocratie une exigence (et pas un mot creux) pouvant transformer notre manière d’agir et de penser.

JADE

On a la volonté d’occuper l’espace public et de rendre visibles nos valeurs, à travers des initiatives de solidarité, des ateliers et des actions d’éducation populaire. Le tract dont parle Jérémy a suscité des discussions très intéressantes avec les personnes présentes. C’est dans cette dynamique que nous souhaitons évoluer : inciter les gens à réfléchir à leurs conditions de vie et déconstruire certaines idées reçues, notamment sur l’immigration, qui sont encore trop enracinées dans le Calaisis.