Dentelle : L’usine Riechers – Marescot va fermer

Au début du siècle dernier, la dentelle salariait jusqu’à 30 000 personnes dans le Calaisis, cent ans de plans sociaux et délocalisations de production plus tard ils ne sont plus qu’une petite cinquantaine en juillet 2024, répartis dans trois usines : Darquer & Méry, Michel Storme et Riechers Marescot.

Nous avons appris que cette dernière où travaille encore onze personnes (ils étaient 200 dans les années 80) arrêtera définitivement ses machines et fermera les portes de son atelier situé à Marck le 2 août prochain. Une restructuration pour raison économique qui relocalisera la production des célèbres métiers Leavers au sein des usines de la maison mère Sophie Hallette, à Caudry, près de Valenciennes.

Pour faire un point sur la situation d’une dentelle qui n’en finit pas de mourir et connaître le sort que le patronat réserve aux derniers des Riechers, nous avons pris contact avec Rudy Admont délégué syndical CGT.

« Pour l’instant ils vont licencier six personnes sur onze. Les autres auront un an pour partir »

Rudy Admont (délégué CGT Riechers Marescot)

Il y a déjà eu chez nous beaucoup de licenciements… Là, ils ne déposent pas le bilan, mais ils prennent les métiers à dentelle pour les installer dans leur usine à Caudry. Il y ont racheté un grand bâtiment à L’Oréal et ils souhaitent y regrouper tout leurs métiers.

Pierre Muys (Calais la Sociale)

On ne parle pas de dépôt de bilan. donc c’est quoi, une restructuration ?

Rudy Admont

Oui. De toute façon, c’est un plan de licenciement. C’est magouille et compagnie, une restructuration mais avec suppression totale du personnel.

Pierre Muys

Vous êtes combien dans la boite actuellement ?

Rudy Admont

Avec tous les licenciements qu’il y a eu depuis des années, on n’est plus que onze.

Pierre Muys

Tout le monde sera licencié ?

Rudy Admont

A priori non. Il faut comprendre qu’on fait parti d’un groupe. Riechers & Marescot était détenu par le groupe Holesco. Sophie Hallette, qui est à Caudry, c’est la maison mère. Riechers & Marecot est ensuite devenu SCPL.


Pour l’instant ils vont licencier six personnes sur onze. Les autres auront un an pour partir, le temps de débarrasser, de sortir les métiers. Les métiers ça va aller vite, c’est pour septembre. il restera donc 5 personnes, je sais qu’il y en a une qui pense aller à Caudry mais les autres je ne sais pas ce qu’elles vont faire.


Maintenant, dans la dentelle, les salariés ont tous un certain âge. Personnellement, j’ai 57 ans et je ne vais pas m’amuser à partir à Caudry en sachant qu’à Caudry ils n’ont pas forcément de travail pour nous. Les propositions de reclassement, la direction est obligée de les faire. Ils ne déposent donc pas de bilan, ils reprennent les métiers qui sont à Calais pour les mettre à Caudry. Ça va partir en convoi exceptionnel, ça va leur coûter une fortune à démonter, déplacer remonter. Mais Holesco est un groupe très solide. Quand vous regardez sur Internet, il y a des points Holesco partout en France.

« Maintenant on va chercher des directeurs qui bossent dans le macaroni pour diriger des boîtes de dentelles. »

Pierre Muys

Quand avez-vous su que la boîte de Marck allait fermer ?

Rudy Admont

Ils nous ont un peu menés en bateau. Il y a deux mois et demi, j’avais eu le patron par téléphone qui m’avait assuré que ça ne fermerait pas. Qu’ils feraient tout le possible pour rester à Calais, pour l’appellation “dentelle de Calais”, forcément… C’était entièrement faux parce qu’ils avaient déjà décidé de partir là-bas. On le savait, ça faisait un moment qu’il y avait des rumeurs, des bruits de fond de cours. Et à partir du moment où il y a eu un peu moins de travail, ils ont décrété qu’on ne pouvait plus assurer à Calais et qu’il fallait que ça parte à Caudry.

Ça fait quand même un moment que ça dure les licenciements, on le sait. C’est vrai qu’il y a moins de travail dans la dentelle en ce moment, il faut le dire, mais de là à fermer le site de Calais… Il faut savoir que chez nous, l’ACPL, c’est plusieurs petites boîtes. Il y en a une de deux personnes, une autre de dix. C’est que des petites entreprises, la direction n’est pas bête. Avec des petites entreprises on peut changer les noms, restructurer, fermer. Ils font ce qu’ils veulent. D’ailleurs, d’après mes sources, ils devraient garder un petit noyau à Calais, c’est à dire une brodeuse et trois ou quatre dessinateurs qui seraient replacés dans un local plus petit. Et ça, c’est fait pour garder l’appellation Calais.
Mais il n’y aura plus de production à Calais. Les tullistes, les wheeleuses : ces gens seront mis dehors.

Pierre Muys

Il n’y aura plus que de la conception de dessin à Calais.

Rudy Admont

Voilà. Bon après c’est pas encore certain, c’est pas annoncé officiellement, mais c’est à priori ce qu’il devrait se passer.

Pierre Muys

Comment s’appelle le directeur de votre boîte ?

Rudy Admont

Romain Lescroart. « Lescroart laisse croire. » Avant, on avait affaire à de vrais dentelliers. Si tu veux, c’est une image, mais maintenant on va chercher des directeurs qui bossent dans le macaroni pour diriger des boîtes de dentelles. Mais c’est pas que dans le textile, c’est comme ça partout ! Ça se casse la gueule quasiment partout à chaque fois pour ça en fait. Et tout le monde s’en fout. C’est pas vraiment des dirigeants, c’est des marchands de loques, c’est vraiment incroyable d’en être arrivé là. On a toujours eu du travail, même pendant le Covid. Voyez comme on peut très vite tomber très bas avec des personnes comme ça.

Pierre Muys

Ça donne quoi d’ailleurs les commandes ?

Rudy Admont

Oh bah vous vous doutez bien qu’on n’a plus grand chose. On finit à la fin du mois. La production s’arrêtera le 2 août. Je ne sais pas comment ils vont faire après parce qu’ils n’ont pas de tullistes à Caudry. Je veux dire pas aussi qualifiés que ceux qu’on peut encore trouver à Calais.

Pierre Muys

Il n’y a pas de tulliste calaisien qui envisage de s’installer à Caudry ?

Rudy Admont

Pour l’instant, au niveau des tullistes on est tous licenciés. On a tous refusé, parce que que, comme je vous disais, on est tous assez âgés. Faut être sacrément solide dans sa tête pour partir là-bas, c’est loin de tout Caudry quand même.


Il y a quelques années, 25 ou 26 ans, Sophie Hallette avait voulu nous faire la même chose. À l’époque, je faisais partie d’Eurodentelles. Ils l’avaient racheté, et au bout de trois quatre ans, ils ont voulu mettre tout les métiers à Caudry. Mais comme il n’y avait déjà pas à l’époque de tulliste qui voulaient partir à Caudry, ils ont tout mis chez Riechers. Et ils refont la même chose aujourd’hui, sauf que cette fois ce sera définitif.

« il y avait des lois pour les ouvriers mais c’est fini, il n’y a plus rien. »

Pierre Muys

Vous pensez quoi avec tout ça de l’Indication Géographique “Dentelle de Calais-Caudry” obtenu en janvier 2024 ? Ça va servir à quoi ?

Rudy Admont

Ah ça… Excusez-moi du terme, mais pour moi, c’est de la merde, c’est pour épater les gens. Ça sert à quoi ? Ça sert à rien du tout. Ils ont le droit de fabriquer dans le Nord-Pas-de-Calais… Lescroart peut prendre les métiers, faire ce qu’il veut avec, il a le droit. En plus c’est mon patron qui a fait tout ça ! Il a participé à l’élaboration de l’indication géographique. C’est incroyable quand on y pense. Mais bon, de toute façon c’est tous les mêmes. Et Calais ça y est c’est fini. Il n’y a plus de dentelle.

Pierre Muys

Il restera encore Darker & Méry et Michel Storme. Mais on ne sait pas trop comment ça va eux.

Rudy Admont

Pour Darker, c’est Monsieur Cochet qui était candidat au rachat de sa propre revente quand il a lâché Desseilles ! Avec un caudrésien. Il a déposé le bilan avec plusieurs centaines de milliers d’euros de dette et il rachète sa propre entreprise avec annulation de toutes les dettes.

Pierre Muys

On croirait à vous entendre que les gestionnaires font ce qu’ils veulent.

Rudy Admont

Ils font ce qu’ils veulent oui ! Les patrons ont tous les droits maintenant. Avant il y avait des lois pour les ouvriers mais c’est fini, il n’y a plus rien.


Ce qui est terrible là-dedans c’est qu’aucun politique n’a bougé, à aucun moment. J’ai eu un rendez-vous début juin avec le député et ancien maire de Marck Pierre-Henri Dumont. Il nous avait faits quelque promesses mais comme il n’est plus député on n’a plus de nouvelles.


Sophie Hallette a eu en plus des aides financières par la Région… [une subvention de 770 000 euros a été accordée en septembre 2021] Dumont nous avait dit : “C’est pas normal que l’entreprise bénéficie des aides et que vous n’ayez pas une prime supra légale pour accompagner votre départ”


Je voulais dire ça aussi pour conclure : Nous nous étions placés sous APLB [Activité Partielle de Longue Durée : dispositif cofinancé par l’État et l’Unédic, destinée à sécuriser les salariés et l’activité des entreprises, qui permet aux entreprises confrontées à une réduction d’activité durable de diminuer l’horaire de travail en contrepartie d’engagements notamment en matière de maintien de l’emploi.] Ça a duré plusieurs années, on avait 73 pourcent de notre salaire brut les jours où on était au chômage, c’était pas trop mal. Juste pour en bénéficier ils n’avaient pas le droit de licencier, c’est une faute qui pénalise au moment du renouvellement de l’agrément. Mais ces messieurs l’ont fait. Je les avais prévenus en tant que délégué en réunion. Mais ils sont malins, ils ont continué leurs licenciements, comme ça on leur a coupé les financements de l’APLD, comme ça ils ont pu partir pour motif économique.

Les photos des ilustrations proviennent du compte Facebook Jules Salembier dit « mimile », qu’il soit vivement remercié ici pour son précieux travail d’histoire locale, populaire et sociale.