Ce samedi 1er juin, le groupe de métal norvégien Taake est la tête d’affiche du festival Tyrant Reloading qui se tient au centre culturel Gérard Philipe. Le chanteur, connu sous le nom de Hoest, est ouvertement raciste, islamophobe et affectionne les symboles nazis. Face aux critiques et aux appels à déprogrammation, l’équipe de la salle de concert, l’organisation du festival, et l’élu à la culture Pascal Pestre ont tous choisi de rester muets.
Qui est Hoest ?
Essen, Allemagne, mars 2007. Ça sent la bière et l’impatience à la salle de concert Turock, qui attend le groupe de black métal Taake. Le chanteur du groupe se présente finalement sur scène pour commencer le show et dévoile une large croix gammée peinte sur son torse. Malaise.
Chez nos voisins germaniques, les signes du IIIème Reich sont interdits. Résultat : la tournée annulée. Par la suite, le groupe déclarera : « Nous présentons nos plus sincères excuses à tous nos collaborateurs qui ont pu éventuellement avoir des problèmes suite au scandale provoqué par la croix gammée, mais pas à l’Undermensch propriétaire de cette salle : tu peux aller sucer un musulman ». Le terme « Untermensch », traduisible en français par « sous-homme », est utilisé par l’idéologie nazie pour désigner un non-aryen, à ses yeux un « être inférieur ». Difficile, après ces excuses douteuses, d’entendre l’argument principal des soutiens du groupe, selon lequel cela ne serait que simple provocation.
Depuis, d’autres polémiques ont éclaté. En Ecosse, en 2013, par exemple, où Hoest arborait un t-shirt issu de son merchandising siglé “anti-islam” et arborant une croix de fer (médaille militaire allemande, dont la dernière refonte date de 1939, par Hitler).
En plus de ses affinités notoires avec des nazis et des suprémacistes, Hoest a été emprisonné trois fois pour des faits de violences.
Les allemands ne sont pas les seuls à avoir annulé leurs concerts : en septembre 2022 Taake est déprogrammé de la salle Backstage by the Mill à Paris, en 2023 leurs dates australiennes avec Akhlys sont supprimées et en 2018, c’est l’intégralité de leur tournée nord-américaine qui est annulée.
L’incompréhension
« Hoest est notoirement néonazi et violent, je ne comprends pas pourquoi le Tyrant Fest a programmé son groupe ! » nous confie Samuel*, un métalleux. Un sentiment d’incompréhension gagne une partie des calaisien·ne·s avec qui Calais La Sociale s’est entretenu, à la fois concernant ce choix de programmation, mais aussi à propos du silence des organisateurs et de la Ville de Calais face aux polémiques.
Un mutisme d’ailleurs constaté par notre équipe, puisque malgré une semaine de sollicitations par mails et par téléphone, nos questions sont restées sans réponses.
Face à cette stratégie de crise déroutante, nous avons dû nous contenter des différentes réactions récoltées en janvier par le Nord Littoral, dans leur article du 23 janvier 2024.
Le Hellfest, un modèle ?
Du côté du centre Gérard Philipe, qui accueille le festival sans en gérer la programmation, Charlotte Mené, responsable de la programmation du centre, considérait que la programmation de Taake au Helfest en 2022 attestait de la fréquentabilité du groupe. Lorsqu’on sait que Ben Barbaud — son directeur — a en 2016 préféré perdre ses subventions régionales que de déprogrammer Down — un groupe dont le chanteur était également connu pour son adhésion à l’idéologie nazie et suprémaciste blanche — on peut légitimement questionner l’éthique de ce festival de métal.
Tout est politique
Quant à Alexandre Langlet, le directeur du festival Tyrant Reloading, il déclare ne pas faire de politique au travers de la programmation, et que celle-ci est basée uniquement sur l’esthétique musicale. Éternel argument de la séparation de l’homme et de l’artiste, qui reste un alibi pour minimiser la gravité de la violence des artistes selon des militantes féministes qui manifestaient contre la sélection du film de Roman Polanski à la cérémonie des César en 2021.
Un groupe de citoyen·ne·s a fait parvenir il y a une dizaine de jours un courrier à la salle de concert calaisienne afin de réclamer la déprogrammation de Taake. Nous avons eu accès à ce courrier, on peut y lire :
« Programmer le groupe Taake, c’est cautionner et répandre les idéologies nazies, racistes, islamophobes tenues par ses membres. Il ne peut s’agir de simples choix artistiques et musicaux, il s’agit bien d’un positionnement éminemment politique et haineux. Dans un contexte de montée des extrême-droites, maintenir la programmation d’un groupe ouvertement xénophobe, c’est participer à la propagation et à la normalisation de ses idées. En tant que centre culturel municipal, cela paraît impensable de s’ancrer dans de tels positionnements.«
Au-delà des citoyen·ne·s inquiet·e·s, ce sont aussi les fans de métal qui sont dépité·e·s que des affiches incluant des groupes du mouvement NSBM (National Socialist Black Metal) soient encore si banales. « C’est un peu un cliché les black métalleux nazis », s’agace Samuel*. « Les salles doivent faire le tri et laisser la place aux groupes qui ne véhiculent pas une idéologie raciste, y’en a plein, et des bons. »
Pascal Pestre enfin, élu de la Ville de Calais en charge de la culture, expliquait au Nord Littoral en janvier ne pas intervenir dans la programmation des scènes calaisiennes : « Même lorsque des artistes ont tenu sur scène des propos assez virulents contre la ville, on les laisse s’exprimer ». Rappelons néanmoins ici qu’un désaccord avec la gestion de la Ville n’est pas à mettre sur le même plan que le fait de tenir des propos islamophobes et d’arborer des symboles nazis : le premier relève de la liberté d’expression comme le spécifie le premier adjoint, le second relève d’une infraction punie par la loi.
Tout cela est évidemment politique. D’autant plus que les expressions du racisme et de la xénophobie sont de plus en plus décomplexées au fil des ans. À quelques jours des élections européennes, les sondages prévoient une montée historique du votre d’extrême droite, dont certains experts craignent qu’elle mette en danger l’état de droit et les droits humains au sein de l’Union Européenne. À Calais, les témoignages de propos et d’actes racistes sont également monnaie courante.
Dans un tel contexte, on attendrait légitimement des autorités municipales qu’elles donnent l’exemple en s’opposant à la banalisation des propos et des actes violents. Lutter contre l’extrême droite, la majorité le dit mais il s’agirait de traduire les discours en actes : il reste une journée pour déprogrammer Taake.
Camille Ringot
*Le prénom a été modifié.