« On en est à 92 accidents de travail depuis janvier » Entretien avec Laurie Friscourt, déléguée CGT chez Clarebout

Les salarié·es de l’usine Clarebout de Bourbourg sont en grève depuis le 17 mai pour leurs salaires mais aussi et surtout pour leur sécurité. Dans cette usine toute neuve qui produit de la frite surgelée depuis septembre 2023, les salarié·es dénoncent des conditions de travail et de salubrité qui mettent en danger la sécurité des travailleuses et travailleurs, mais aussi celles des consommateurs. On en a parlé avec Laurie Friscourt, déléguée CGT chez Clarebout.

Laurie Friscourt, au centre. (Photo : Florian Damman).


Calais la Sociale

On parlait avec votre collègue tout à l’heure. Il nous disait que la production a démarré trop tôt, que l’usine n’était pas prête pour y travailler en sécurité.

Laurie Friscourt, déléguée CGT chez Clarebout

La construction de l’usine n’est pas terminée du tout. Pour preuve : au niveau des cabines, là où il y a les frites, ils ont mis des sortes de barrières avec des bâches. En dessous, il y a tous les produits de nettoyage. Juste à côté des frites. La construction des locaux pour stocker ces produits dangereux n’étant pas encore achevée, tout est stocké là, dans les zones d’emballage des frites.

Calais la Sociale

C’est même pas simplement pour votre sécurité, à vous salariés, que vous faites grève, mais également pour celles et ceux qui vont manger les frites Clarebout…

Laurie Friscourt

Niveau hygiène c’est pas ça du tout de toute façon. Les frites qui tombent par terre, faut les remettre avec une pelle… À côté de ça, on a des plaques bien gondolées au niveau des frigos, les gars interviennent tous les jours en étant dessus… Cette plaque est prête à tomber, donc s’ils tombent ils tombent de je ne sais pas combien de mètres… Ça a pourtant été signalé à la direction depuis plusieurs semaines.

Laurie Friscourt. (Photo : Florian Damman).

Calais la Sociale

Cette grève, elle intervient dans le cadre d’un droit de retrait ?

Laurie Friscourt

Oui et non. Quand on a eu nos embauches, on a eu des promesses qui n’ont pas été tenues. D’une part, au niveau du salaire, et d’autre part, on était en formation à Neuve-Église, au siège et sur le site de Warneton. Niveau sécu, là-bas, c’est zéro. À ce moment-là, on nous avait dit : repérer bien tout ce qui ne va pas sur les sites en Belgique pour pas qu’on reproduise ça en France. Résultat : on est bientôt pire que la Belgique ! Au niveau de la friteuse, un exemple bien significatif : pour les relevés de sonde, ils ont une paire de gants à se partager pour les 8 équipes…

Calais la Sociale

Mais comment se fait-il qu’on arrive à un résultat comme celui-là ? Je veux dire… Clarebout a quand même des ronds, comment ça se fait que la direction rogne là-dessus ?

Laurie Friscourt

L’usine est implantée là mais on dirait qu’ils s’en foutent totalement ! Qu’ils se foutent totalement des Français. Dès qu’on relève un peu les problèmes au niveau sécurité, derrière on nous dit : « Production production, production ! Le reste, vous avez pas à vous occuper de ça. » Au niveau des EPI [équipement de production individuelle], on travaille 15 jours voire trois semaines avec la même paire de gants, c’est vraiment donné au compte-goutte.

En fait, aujourd’hui il y a que la première ligne de production qui tourne. La deuxième est encore en construction à côté. Entre les deux c’est rien qu’une tôle, et c’est pas étanche. Quand il pleut comme aujourd’hui, ça s’infiltre. Et ça s’infiltre du coup dans le frigo. Avec l’air humide et l’air salin, ça givre… Il y a des blocs de glace qui se forment partout par terre. Le sol glisse ! Et nos gars travaillent là-dedans.

Calais la Sociale

C’est quoi justement les risques pour les gars de travailler dans un frigo comme ça ?

Laurie Friscourt

Il ont pris un droit de retrait il y a 15 jours à cause de ça. Pas de traçage, les Clarks [chariots élévateurs] ne sont pas adaptés, n’ont pas de lumières… Ils se voient au dernier moment, freinent avec la marchandise et des fois ils se rentrent dedans ou dans les murs.

Calais la Sociale

Est-ce que vous avez le chiffrage des accidents de travail à Clarebout Bourbourg ?

Laurie Friscourt

Actuellement on en est à 92.

Calais la Sociale

En dix mois ?

Laurie Friscourt

Non, depuis le 1er janvier 2024. Dans le Nord Littoral, ils ont dit 21… Mais c’est pas le cas du tout.


Calais la Sociale

Vous avez besoin de quoi pour que la grève réussisse ?

Laurie Friscourt

D’abord, on aimerait bien se faire entendre par Monsieur Clarebout parce qu’en cinq jours de grève, on se fait toujours pas entendre ! D’après les rumeurs qu’on entend, la réponse c’est que comme on est petits, on va vite lâcher… Il a raison, on est petits… Mais on est quand même ses ouvriers… Je veux dire : aussi petits qu’on est, si on met son usine à l’arrêt, ça produit pas. Aussi petit qu’on est, il a besoin de nous.

Calais la Sociale

Ce que vous être en train de réaliser là avec votre grève, ça donne des idées aux ouvriers et ouvrières de Warneton, de Neuve-Église ?

Laurie Friscourt

On a des retours par des contacts ouvriers qu’on a là-bas. Ils nous disent de ne pas lâcher, qu’on a raison de se battre là-dessus. Je parle pas de la sécurité, pour eux à priori ça c’est normal, ils ont pris l’habitude, ça fait des années qu’ils bossent comme ça. Mais ils nous soutiennent pour les salaires. Eux ils ont des avantages, des primes, etc… Tout est déjà mis en place pour eux, ils souhaitent qu’on obtiennent la même chose.

Calais la Sociale

Vous, vous faites quel métier à l’intérieur de l’usine?

Laurie Friscourt

Je suis opératrice carton. J’ai été en accident de travail ouvert sur six mois.

Calais la Sociale

Il vous est arrivé quoi ?

Laurie Friscourt

Je manipule des grandes palettes de cartons. Elles font bien deux mètres. C’est des balots les uns sur les autres. En voulant attraper celui tout en haut, j’ai eu un déchirement du tendon au niveau du coude. J’étais toute seule en pleine nuit pour gérer les douzes machines. On a demandé d’adapter au niveau des cartons parce que la majorité des salarié·es dans cette zone sont des femmes. C’est vraiment trop haut et trop lourd pour pouvoir deplacer ces balots sur nos machines pendant huit heures. On nous a répondu au niveau de la direction : « Vous avez signé en tant qu’opérateur carton, vous saviez très bien le métier. » Donc si on n’est pas content, on s’en va. Le slogan de Clarebout c’est : « On ne retient personne ».

Calais la Sociale

C’est pas vous qui décidez comment vous travaillez quoi… Est-ce que vous réclamez un petit peu que les politiques viennent s’en mêler qu’ils essaient d’attirer l’attention sur Clarebout ?

Oui, on aimerait bien partir là dessus, surtout que Clarebout a reçu des subventions de l’État [3 millions d’euros versés par la Région] et de la CUD [la Communauté Urbaine de Dunkerque a versé 2 millions d’euros]. Sachant que ce sont uniquement des entreprises non françaises qui fournissent l’usine… Qu’ont-ils fait de ces subventions ?

Propos recueillis par Valentin De Poorter et Pierre Muys.