Reportage réalisé le 2 janvier 2024

Le 28 juin 2023, 21 compagnons d’Emmaüs de la Halte Saint Jean, à Saint-André-Lez-Lille, ont entamé une grève.

Depuis 186 jours, les grévistes dénoncent une oppression systématisée et des conditions de travail éreintantes exigeant 40 heures par semaine pour une allocation communautaire de 180 euros, anciennement appelée « pécule ». Des arrêts maladies non pris en compte, des accidents de travail non pris en charge, des intimidations et des menaces en cas de réclamation. Ils dénoncent également des promesses « fantômes » d’aide à la régularisation.

« J’ai eu trois enfant ici. Pour chacune de mes grossesses, j’ai travaillé du premier au neuvième mois. J’ai seulement eu une semaine de répit après mon accouchement. Ensuite j’ai dû travailler avec mon enfant derrière le dos. »

Témoignage d’Happy Patrick, une des portes-parole des grévistes de la Halte Saint Jean.

Du statut Oacas au bon vouloir de la préfecture

L’étincelle du conflit remonte à février 2023, lorsque les compagnons apprennent que la Halte Saint Jean ne bénéficie pas du statut Oacas (organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires) comme le révèle un témoignage dans Le Monde :

 « En février, elle a fait une réunion pour nous dire qu’il fallait qu’on retire de nos têtes cette idée des trois ans. C’est ça le début du conflit, rapporte M. Yattara. On n’est pas fous au point de travailler quarante heures par semaine pour 150 euros. »

Ce statut, permettant aux communautés agréées de cotiser à l’URSSAF sur la base de 40% du SMIC, offre ainsi aux compagnons tous les droits découlant du régime général de la protection sociale (arrêt de travail et indemnités journalières, accident du travail, retraite, etc), ainsi que l’accès à l’AME. Pourtant, après 5 ans d’engagement et de travail au sein de cette communauté, Happy, son mari et leurs quatre enfants n’ont jamais été régularisés. La Halte Saint Jean fait partie d’une des cinq communautés Emmaüs de France à ne pas avoir de statut Oacas.

L’arrivé du Préfet Georges Leclerc, aurait également compliqué les choses, comme le révèle un autre article du Monde, montrant une personnalité hostile à l’immigration et plusieurs fois condamné pour atteinte au droit d’asile lorsqu’il exerçait dans les Alpes-Maritimes.

Une enquête préliminaire a été ouverte au parquet de Lille pour « traite des êtres humaines », « travail dissimulé » et « abus de faiblesse ».

« On s’apprête à expulser des individus qui expriment leur mal-être », souligne Maitre Kappopoulos lors de l’audience du 31 octobre 2023, en rappelant qu’il existe des personnes présentes depuis plus de 15 ans sans régularisation. « D’un point de vue juridique, exclure des individus sans les avoir entendus est totalement illégal. »

Entre menace d’expulsion et détermination

Le 4 janvier, un arrêté préfectoral a été délivré aux grévistes. Il leur ordonne de quitter la Halte pour des raisons de « sécurité », dû notamment à « l’absence d’un système incendie adéquat ». Aucune solution de relogement n’a cependant été proposée aux grévistes et à leurs enfants.

À la Halte Saint Jean, malgré la fatigue, la pluie et les conditions de vie rendues encore plus précaires par la grève, les grévistes se montrent néanmoins déterminé·es.

Une caisse de grève a été mise en place pour les soutenir.

Reportage : Julia Druelle et Jade Lamalchi