Les eaux montent, la température aussi et les populations sinistrées se déplacent sans que rien ne soit réellement planifié à l’échelle de l’Union Européenne pour anticiper ces différents phénomènes et organiser de nouvelles façon de vivre ensemble. Alors que faire à notre échelle de citoyen ? Quels sont les leviers des villes, des départements, des régions ? C’est à cette question que Damien Carême, ancien maire écologiste de Grande-Synthe et actuel député au Parlement européen tente d’apporter des réponses. Ses actions visent à promouvoir la développement durable et l’accueil des réfugié.es.
Quatrième et dernier volet d’une série de quatre conférences produites dans le cadre du premier forum des associations environnementales du littoral et alentours. Un événement organisé par l’association Citoyennes et Citoyens du Calaisis pour le Climat (4C) le samedi 28 octobre 2023 à la Maison de l’Entraide et des Ressources, à Calais.
MOT POUR MOT
« Lourde tâche de conclure en essayant de tracer des solutions.
Par quoi vais-je commencer ? Peut-être par la fin, par la question migratoire.
On s’attend à voir dans les projections – et c’est toujours difficile les projections – Entre un milliard et un milliard cinq cent millions de déplacé.es climatiques entre 2050 et 2060… Aujourd’hui, il y a à peu près 230 millions de migrants à travers le monde. donc vous voyez bien le delta que entre la situation actuelle et la situation qui risque d’arriver compte tenu du changement climatique.
J’ai adoré une carte tout à l’heure…
Cette carte qui nous dit : “Voilà en fait là où il va faire bon vivre sur la terre une fois que les changements climatiques auront eu lieu « – et c’est bien la question qu’il va y avoir : Comment va-t-on vivre sur une partie de planète plus réduite si on ne prend pas les devants, comment on va se partager cet espace avec une population mondiale qui va augmenter jusqu’en 2060 ? On estime qu’après ça se stabilisera, voire ça redescendra parce que plus un pays se développe, plus il y a d’éducation et moins il y a d’enfants par foyer. Donc que tout ça est un pic qui redescendra par la suite. En tout cas, il va falloir qu’on partage nos ressources. Et la ressource terre, la ressource du lieu est une de ces ressources.
Concernant les migrations aujourd’hui : je fais partie de ceux qui ne sont pas favorables à classifier les migrations climatiques parce qu’effectivement les causes sont compliquées à savoir. Et vous avez parfaitement repris l’exemple de cet agriculteur africain qui aujourd’hui ne peut plus vivre de son métier parce que le changement climatique fait qu’il ne peut plus en vivre. Donc il va chercher ailleurs pour pouvoir faire son métier, donc c’est compliqué. Nous, on considère que c’est un migrant économique quand il arrive parce qu’il vient chercher du boulot mais en fait, au départ, c’est un migrant climatique. Et puis je ne voudrais pas, alors que c’est déjà très compliqué aujourd’hui, qu’on fasse des catégories de bons et mauvais réfugiés, de bons ou mauvais migrants. On a déjà beaucoup de mal à faire passer l’idée que ces gens là ne sont pas venus par plaisir pour la plupart d’entre eux, parce qu’ils ont dû quitter leur terre et on ne le fait pas… Nous, on peut le faire, on peut se dire : “Tiens je vais aller tenter une expérience deux ans là bas, je vais aller faire un break dans mes études et passer une année aux États-Unis où je ne sais pas où... » Eux ils n’ont pas cette capacité là, parce qu’en fait leur passeport ne leur donne pas le droit à aller dans ces pays pour une période donnée et pouvoir revenir chez eux. L’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme est parlant à ce niveau là. Donc je ne suis pas favorable à ça, il faut qu’on y travaille.
UNE EUROPE
DES FRONTIERES
Malheureusement, aujourd’hui, l’ambiance fait qu’on n’est pas à ça. On n’est pas à étendre d’avantage l’accueil. On le restreint, et cela même au niveau européen, puisqu’on est en pleine négociation aujourd’hui sur des textes européens qui régissent la migration. On est en négociation aujourd’hui avec le Conseil, et ces discussions sont extrêmement compliquées. Les représentants des 27 États membres veulent faire vraiment l’Europe des frontières, une Europe de plus en plus difficile d’accès. Et en fait, ils ne peuvent pas décemment dire : « on ne veut plus de la convention de Genève, on sort de la convention de Genève… » parce que politiquement, il faudrait l’assumer et ça ne se fait pas.
Mais en fait, on est en train de mettre énormément de procédures entre la personne qui arrive sur notre continent et sa capacité à y faire sa demande d’asile, sans même parler de l’accepter ou pas, mais rien que seulement sur sa possibilité de déposer sa demande d’asile. Quand on cumule les textes qui sont en négociation, on arrive à faire en sorte que ces personnes puissent être privées de liberté, enfermées “légalement” pendant près de 18 mois, avant de pouvoir déposer son dossier de demande d’asile auprès d’un État membre européen… On voit bien la difficulté qu’on a aujourd’hui à faire passer cette idée [d’accueil]. Et puis, vous entendez aussi le côté nauséabond des discours qu’on a en France à l’approche du projet de loi immigration de Darmanin… On a l’impression aujourd’hui, à les écouter, que c’est la migration qui est la cause de tout nos maux. On a l’impression que c’est à cause des migrants que notre système de l’hôpital public est en train de s’effondrer en France. On a l’impression que c’est la migration qui est responsable du fait que l’éducation nationale est au plus mal depuis des années. On a l’impression que c’est la migration qui est responsable de l’inflation qu’on connaît aujourd’hui à cause de multimilliardaires qui s’en mettent plein les fouilles.
On rend responsable la migration puisque c’est le seul sujet en fait dont on veut débattre. On veut absolument un texte à l’Assemblée nationale pour faire en sorte qu’il y ait moins de migrants qui arrivent chez nous, de rendre l’accès plus difficile. On a l’impression presque que ce sont les migrants qui sont responsables aussi du changement climatique. Donc tous les maux que l’on rencontre aujourd’hui, on en rend responsable les migrants, on s’en sert de boucs émissaires.
SUBIR UNE IMMIGRATION DONT ON EST RESPONSABLE
Or, ils ne sont responsables de rien, au contraire! ça a été dit. Eux, ils subissent nos aléas. Parce que dans ce qui a été dit sur le réchauffement climatique qui prive un certain nombre de travailleurs là-bas de leur métier, il y a d’autres choses, il y a les accords commerciaux par exemple, que l’Union européenne passe avec un certain nombre de pays.
Je prends l’exemple du Sénégal par exemple, on a un accord de pêche Union européenne – Sénégal qui permet aux gros chalutiers européens d’aller chasser, pêcher dans les eaux territoriales sénégalaises. Et en fait, on est en train de priver, de piller toute la ressource halieutiques du Sénégal. Ce qui fait que les petits pêcheurs du coin, ils n’ont plus rien dans leurs filets aujourd’hui et donc ils partent. Et au mois de juin, il y a une embarcation avec cent Sénégalais qui partait pour aller au Cap-Vert et qui a fait naufrage, il y en 60 parmi eux qui sont décédés : que des pêcheurs sénégalais qui venaient à peu près du même endroit au Sénégal. C’est une des conséquences.
Deuxième exemple pour illustrer ça, c’est que lors de la dernière COP climatique, l’Union européenne a signé un contrat avec la Namibie. On rachète toute l’énergie renouvelable que la Namibie va produire pour la transformer en hydrogène. Parce qu’on a fixé les productions d’hydrogène nécessaires en Europe, que l’Europe seule ne pourra pas produire. Donc on va aller chercher ailleurs cette énergie là. Sauf qu’en Namibie, il y a 48 % de la population qui n’a pas accès à l’énergie. Donc on va entretenir des populations dans la précarité, les priver d’accès à l’énergie pour satisfaire nos besoins à nous, soi disant sociétés développées, etc… Si on peut parler de développement dans ce cas là…
Les conséquences de nos choix de vie, de nos modes de vie, les conséquences que ça peut avoir sur ces pays là et donc sur ces populations qui à un moment iront chercher mieux ailleurs et l’Europe attire un certain nombre de personnes – elle attire en partie –
Faire d’une goutte un raz-de-marée : Lampedusa
Pour rappeler quand même et ça c’est important dans les débats qui arrivent : 87 % des migrations se font dans les pays limitrophes aux pays quittés. Donc ça veut dire que très peu finalement arrivent en Europe. Et quand je dis qu’il y en a que 13 % donc qui migrent vers d’autres continents, ce n’est pas que vers le continent européen, mais c’est aussi vers le continent américain, sud-américain ou en Asie, de l’autre côté. Donc, très peu de personnes arrivent chez nous et on a quand même des capacités.
Lampedusa, qui a défrayé la chronique il y a trois semaines à peu près avec les 10 000 personnes qui sont arrivées. 10 000 personnes, franchement, sur 467 millions d’Européens… C’est quand même une goutte d’eau. Entre 10 et 15 000, c’est même pas le stade de l’Epopée, ici, à Calais. On peut se dire qu’en Europe, on peut les accueillir, ce nombre de personnes là, sans difficultés. On en a fait tout un plat… Tous les fachos d’extrême droite de l’Europe sont allés à Lampedusa faire des photos devant ces personnes qui arrivaient… La manipulation qu’il peut y avoir à la télévision autour de la migration et comment on l’utilise pour en fait détourner le regard et l’attention de la grande partie du public des sujets fondamentaux qui sont effectivement : Comment on lutte contre le changement climatique ? Quels moyens on met derrière pour éviter ces phénomènes là, pour s’attaquer aux causes et pas aux conséquences ? Comment on fait pour résoudre la distribution des richesses, par exemple ? Parce que ça, c’est un vrai sujet aujourd’hui aussi. On voit que les riches sont de plus en plus riches et on les taxe pas. On n’arrive pas à taxer les multinationales, on taxe pas un certain nombre de personnes parce que cet argent là, que les Etats perdent, c’est moins d’argent dans les services publics. C’est plein, plein de choses dans nos sociétés qui permettraient d’arriver à vivre mieux tous ensemble. Voilà un peu la responsabilité qu’on incombe aux migrations et comment, pour moi, le changement climatique est un des éléments des phénomènes de migration.
LE ROLE DES
COLLECTIVITES LOCALES
Sur la lutte contre le changement climatique : Il y a le niveau individuel, on nerevient pas dessus, je suis sûr que dans cette salle tout le monde fait ce qu’il faut pour ça.
Au niveau des collectivités locales, des villes, elles peuvent s’engager, elles peuvent mettre un certain nombre de choses en place sur la mobilité, sur l’alimentation, sur l’habitat, sur l’énergie… Ils peuvent décider de prendre de l’énergie renouvelable pour leur éclairage public, de baisser la consommation énergétique, d’isoler les bâtiments publics… Il y a plein plein de choses que les collectivités peuvent faire, d’engager des dispositifs pour que les habitants puissent aussi réhabiliter leur maison, même si c’est compliqué pour les gens qui ont de faibles revenus, même s’il y a des aides derrière, le delta qu’il reste, les personnes ne sont pas forcément capables de le mettre. Ça devrait être des politiques d’État qui viennent derrière. Sur la mobilité alors je vois affiché ici : “baromètre des villes marchables 2023″, Calais est la 208ᵉ sur 236… Effectivement la qualité de la marche en ville est quelque chose qu’il faut travailler et donc on peut améliorer cela. On peut améliorer la pratique de mobilités douces, comme le vélo par exemple. Il y a plein de choses à mettre en place. Il y a aussi des transports publics à développer de manière très forte. Bien souvent, ces réseaux datent, sont mal faits, sont sur d’autres procédés. Donc il faut qu’on les fasse évoluer. Par exemple, moi, sur l’alimentation, c’est les cantines bio. toute la restauration collective locale qui peut, qui peut être bio et locale. C’est des leviers pour mettre des gens à la culture et à l’agriculture bio autour des collectivités. Donc c’est véritablement des marchés publics, des vrais leviers pour arriver à changer les choses. Et puis après, il y a d’autres échelons, comme la région, sur l’occupation des sols, sur un certain nombre de choses comme ça.
UNE PLAINTE
CONTRE L’ETAT
Et après il y a l’Etat qui lui a une énorme responsabilité parce qu’il doit fixer un certain nombre de règles et de normes. Par exemple avec la Zéro Artificialisation Nette, on voit bien comment aujourd’hui les gouvernements reculent sur un certain nombre d’engagements. Et là l’Etat fait défaut. C’est pour ça qu’en 2018, j’ai porté plainte au Conseil d’État contre le gouvernement français pour son inaction en matière de lutte contre le changement climatique et qu’on a gagné. C’est à dire que Corinne Lepage qui était l’avocate de la Ville et on a gagné contre l’Etat au Conseil d’État.
Alors on ne gagne pas d’argent, c’est pas ce qui a été demandé. Mais que l’Etat respecte :
1 – L’accord de Paris, quand même. On a signé des accords, si c’est pour s’asseoir dessus après ça ne sert à rien.
2 – Un certain nombre de directives européennes que l’Etat français a fait…
3 – les propres lois françaises comme la stratégie nationale bas carbone qu’il ne respecte pas dans ses engagements au niveau européen par exemple, c’est le pourcentage dans le mix énergétique d’énergies renouvelables.
Voilà, la France fait défaut dans plein de secteurs et a donc été condamnée au Conseil d’État une première fois. Il devait remettre un plan dans les six mois qui viennent pour pouvoir corriger les erreurs où Il était pas là. En fait, ça a été jugé un an après, il a été redit que la nouvelle copie n’était pas non plus à la hauteur des engagements qu’il fallait qu’Il fasse. Donc c’est une victoire, certes symbolique, mais l’Etat n’aime pas quand même de se voir condamner par le Conseil d’État qui est quand même la plus haute juridiction administrative sur ses actes, sur son incompétence à mener à bien la lutte contre le changement climatique. Et je pense qu’à un moment c’était à faire comme il y a eu la plainte après de l’Affaire du siècle au tribunal administratif, je pense que ces plaintes là, un jour on pourra les ressortir pour la responsabilité à assumer. Parce que ce qu’on n’a pas dit tout à l’heure, c’est le coût aussi de ces drames qui risquent d’arriver.
La digue des Alliés à Dunkerque, qui a rompu en 53, ça a créé d’énormes dégâts à la collectivité. Et à chaque fois, les événements climatiques comme on a pu en voir aussi dans le sud de la France, dans la vallée de la Roya, il y a trois ou quatre ans maintenant, ça a été des milliards d’euros d’argent public qui vont être dépensés pour refaire les rues, pour refaire un certain nombre de choses et pour indemniser les personnes qui ont perdu leur maison. Et ça, c’est une dimension où à un moment on dira : “oui mais l’Etat a été condamné, Il ne l’a pas fait. » Il y a sa responsabilité qui sera en jeu derrière.
DE LA PRESSION SUR
LES POLLUEURS
Souvent en fait, ce que l’on demande va nécessiter de priver les rentiers de situations de leurs recettes. Et aujourd’hui on en est à un endroit où on continue de laisser faire les modèles de production…
Je prends un exemple pour illustrer ça : Pendant longtemps, j’ai discuté avec ArcelorMittal Dunkerque sur le fait qu’ils devaient réduire leurs émissions de CO2, car ils font 7 millions de tonnes d’acier par an. Ils émettent à peu près 13 millions de tonnes de CO2. C’est 2,5 % des émissions de la France uniquement sur cette usine là. Il faut qu’à un moment, ils mettent en place des dispositifs pour réduire leur production d’émissions de CO2 à la tonne d’acier qu’ils produisent. Donc, on peut aussi baisser le tonnage. On peut réduire les besoins dont on a besoin, mais on aura toujours besoin d’acier pour faire une table, une chaise ou des choses comme ça. Donc, même si on réduit, il faut qu’on réduise à la tonne produite.
Ils disaient : “Mais c’est pas possible, on n’y arrive pas« . Or, il y a aujourd’hui, on le sait, des process industriels qui ont été mis au point en Suède, qui font un acier zéro carbone qui n’émet pratiquement pas de CO2 à la tonne d’acier produite. Et j’ai fait faire une analyse en tant que député européen sur le coût réel d’une tonne d’acier produite comme ArcelorMittal aujourd’hui, et sur le coût réel d’une tonne d’acier produite avec un acier zéro carbone. Il faudrait mettre dans la comptabilité publique ce qu’on appelle les externalités négatives. C’est à dire qu’avec ça, vous avez de l’émission de CO2 qui va générer du risque climatique qui va générer des émissions de poussières avec des problèmes d’asthme, de santé, etc… Il y a de la pollution de l’eau, il y a la pollution de l’air, il y a plein de choses dedans. Et quand on fait en fait le coût de la tonne pour le producteur, elle lui coûte 450 €. Mais quand vous mettez toutes les externalités négatives, en fait, elles coûtent réellement 1 900 €. Mais la différence, c’est nous qui payons. C’est des coûts qui sont collectivisés. C’est dans nos cotisations à la sécu, c’est dans nos cotisations sur l’assainissement de l’eau, c’est dans nos cotisations pour la sécurité sociale, c’est une part d’impôts derrière donc ces coûts là socialisés, si on voulait se battre réellement contre le changement climatique, il faudrait inclure tous ces coûts dans les productions et rendre les entreprises responsables de ces coûts là. Mais aujourd’hui, ça coûte moins cher quand c’est réparti auprès de 50 55 millions de citoyennes et citoyens, on ne le voit pas, c’est indolore pour chacun. Or, si c’est l’industriel qui doit le payer, l’industriel lui, va dire : “Si vous m’imposez tant de règles, je pars.”
C’est le chantage à l’emploi, c’est un certain nombre de choses. C’est pour ça aussi qu’on a mis des dispositifs européens avec une taxe carbone aux frontières pour dire : “Si tu pars et que tu produits de la même manière de l’autre côté, quand tu vas vouloir vendre ton acier en Europe, qui est quand même une des premières puissances de commerce dans le monde, il va falloir que tu payes une taxe pour t’acquitter de ce que tu as fait, du modèle de production que tu as choisi de garder à ailleurs.”
Il y a des moyens qu’on peut mettre en œuvre. Il y a une nouvelle manière de voir le changement climatique et surtout des conséquences que ça a collectivement pour nous.
FERMER LES YEUX SUR
LA MONTEE DES EAUX
La carte des prévisions de montée des eaux sur la région, moi, quand j’ai porté plainte au Conseil d’État avec Corinne Lepage, en fait le risque, celui là, c’était en 2100 et aujourd’hui il est en 2030 sur les mêmes cartes.
Alors même s’il est temporaire, forcément en 2050, il sera encore plus fort.
C’est pour ça que je l’ai fait. Parce qu’aujourd’hui, le risque est encore plus important et qu’on a l’impression que dans les décisions politiques, aujourd’hui, rien ne change. J’ai discuté par hasard parce qu’il y a des giga factory, des gros fabricants de batteries qui vont arriver sur Dunkerque dans quelques mois ou quelques années, il y en a un d’entre eux qui venait présenter son projet au Parlement européen et j’ai demandé à rencontrer le responsable qui était là, qui venait en parler en lui demandant : “Vous vous installez à Dunkerque, mais on vous a parlé de carte de submersion marine ?” Il me répond : “Non, C’est quoi ça ?” Alors je lui ai donné le document… On ne parle pas de ça ! C’est à dire qu’on ne l’évoque pas! Donc on sait qu’un industriel, en dix ans, quinze ans, son investissement il le rentabilise le plus vite possible. Et donc, pour lui, 20 ans, c’est pas grand chose, mais quand même, ce risque existe aujourd’hui! Et puis le risque pour tous les habitants qui se sont saignés les quatre veines pour acheter leur petite maison à 100 000 € et qui vaudra plus rien parce qu’elle sera plus vendable…
Vous savez déjà que les assureurs disent qu’aujourd’hui ils assureront plus de risque climatique parce qu’ils n’auront pas les moyens d’assurer le risque climatique. C’est à dire que votre maison, s’il y a un événement climatique, ne sera pas assuré parce qu’ils n’ont pas les moyens pour rembourser. Parce que s’ils devaient le faire, ils crèveraient les caisses.
L’EUROPE EN MARCHE ARRIERE
Ce n’est pas des bonnes nouvelles que je vais vous donner parce qu’au Parlement européen, on avait réussi au début du mandat à avoir un green deal pour avoir une nouvelle manière de penser l’économie, de penser la production, de penser plein de choses au niveau européen. Mais avec les événements et notamment le Covid dans un premier temps, puis la guerre en Ukraine, ils ont profité de ces évènements là pour revenir en arrière sur tous les engagements, prétextant que par exemple sur l’agriculture on pouvait pas enlever les pesticides, les OGM, etc… Parce que : “vous voyez bien, le grenier du monde qui est l’Ukraine qui nous fournit en blé. En fait, il ne sont plus là pour nous nourrir, donc il faut qu’on ait les moyens de nourrir tout le monde pour pas cher et donc il faut qu’on continue là dessus.”
Et en fait c’est comme ça dans tous les secteurs. Sur l’énergie, avec le gaz russe : “Vous voyez bien le gaz russe, on en a plus, donc il faut qu’on continue à travailler comme on faisait avant. Il faut encore qu’on ait du gaz, il faut encore qu’on ait du pétrole, les décisions qui ont été prises n’étaient pas les bonnes, il faut qu’on continue à produire comme avant…” Encore une fois, ce sont des années perdues sur lesquelles on aurait pu avancer et prendre des décisions qui soient cohérentes mais aujourd’hui on est en train de nous vider les décisions de toute leur substance et il ne restera plus rien.
IL VA FALLOIR QU’ON
SE PRENNE EN MAIN
J’ai pas envie de plomber complètement, il y a suffisamment d’éco anxiété comme ça, mais le temps n’est pas favorable. Il va donc falloir qu’on se prenne tous en main parce que l’autre pouvoir aussi des citoyennes et des citoyens, c’est à un moment le droit de vote et d’envoyer des gens qui tiennent compte de ces éléments là et qui ont envie de changer et qui ne se fient pas aux discours… Parce que quand vous reprenez celui du président actuel, je ne sais plus si c’est lors des élections de 2017 ou celle de 2022 qui dit que le quinquennat serait celui de l’écologie… Vous voyez aujourd’hui un peu où on en est au niveau de l’écologie et de la lutte contre le changement climatique dans les décisions en France ou partout en Europe. On a cette vague en Europe qui n’est pas bonne, que ce soit sur la lutte contre le changement climatique comme sur le sujet des migrations. On est à peu près dans les mêmes eaux qui sont négatives.
Pensez bien qu’à chaque fois, il y a plein de choses à faire. À chaque niveau de décisions politiques, il y a vraiment des décisions qui peuvent être prises. Je pense qu’aujourd’hui on peut encore choisir la direction qu’on va prendre. On peut encore mettre des éléments. Dans quelques temps, on ne pourra plus. C’est-à-dire que tout va s’imposer parce qu’il y aura une telle urgence que de toute manière, on ne pourra plus choisir la manière dont on va le faire. Et c’est là qu’on va subir ce que certains appellent une écologie punitive.
Parce que oui, il va falloir qu’on préserve l’environnement, il va falloir qu’on arrête de massacrer des forêts, etc.. Quand je suis passé pour venir ici en venant de Dunkerque, j’ai vu comment les arbres ont été abattus le long de l’autoroute pour qu’on voit bien les migrants qui se planquaient dans les arbres. Mais c’est honteux… Pour quelques dizaines de personnes, comment on est en train de fusiller des bois entiers, dans des endroits où il y avait quelques centaines d’arbres… Ca, un jour, faudra qu’on arrête. C’est des décisions locales. C’est pas de la responsabilité de quelqu’un d’autre que le niveau local. Mais aussi au niveau régional, sur un certain nombre de décisions qui sont prises. Les trains par exemple, c’est du niveau régional, l’augmentation des petites lignes, la réouverture de petites lignes pour éviter le toujours plus de voiture. Et quand on prend des bonnes décisions ça engendre aussi des économies chez les gens, parce que quand on permet à quelqu’un dans un foyer qui a deux véhicules de se passer d’un autre véhicule parce qu’il y a des transports en commun performants, que ce soit un bus, que ce soit un train pour aller travailler, c’est une économie de 4500 balles par an – coût moyen annuel pour la possession d’une voiture – c’est pas négligeable.
Toutes les pistes sont bonnes à creuser. Les politiques peuvent le faire. Moi, j’ai eu l’expérience, j’ai eu la chance de pouvoir gérer une collectivité pendant près de 20 ans et de pouvoir mettre en œuvre un certain nombre de décisions qui fait que généralement, celles qui en bénéficiaient le plus, c’étaient les populations les plus défavorisées, L’accès à une alimentation de qualité via des cantines 100 % bio, dans tout ce qui était restauration collective…
Sur les transports, sur la mobilité, sur les primes logement, sur les primes aux déplacements etc… on peut générer plein de choses et du coup, les gens, ça leur permet de voir autrement. Je vais même aller plus loin puisque dans la ville, sur les économies d’énergie qu’on a fait, les fonds qu’on a collectés, on les a transformés en minimum social garanti, ce qui permettait aux gens de vivre au dessus du seuil de pauvreté pour toutes les personnes qui étaient en dessous. Donc ça veut dire qu’un partage de la richesse, a été fait en redistribuant cette économie à la population la plus en difficulté.
Donc on peut par de l’innovation sociale, par des décisions politiques, changer la vie quotidienne des habitants et surtout notre avenir collectif en engageant les villes, les citoyens sur la bonne voie, en étant sûr derrière qu’on ait un Etat qui soit responsable. Et quand il ne l’est pas, c’est le pousser à l’être. Et quand il ne le fait pas non plus, de le renvoyer chez lui à un moment donné.
Question du public
Vous qui avez vu la politique de l’intérieur, comment elle fonctionne, quels seraient les moyens que les citoyens pourraient utiliser pour que ce soit plus efficace, pour que tous les citoyens reprennent le pouvoir et fassent des choses eux mêmes, j’allais dire en autogestion, ou bien mettre la pression réellement aux politiques en leur disant : “Faites votre boulot, puisqu’on vous a élu pour ça ?” Plus clairement, est-ce que vous avez une idée de stratégie pour que ça avance vite et qu’on soit réellement efficace ?
Je ne peux pas répondre comme ça. Je l’ai dit tout à l’heure, il y a quand même les gens qu’on met au pouvoir. C’est une responsabilité de le faire, c’est le premier levier d’action. Après moi, je pense que je suis intervenu il n’y a pas longtemps sur le droit en matière de protection de l’environnement et je crois que de plus en plus, il faudra porter plainte contre des élus et même des élus locaux.
ALLER VERS UNE RESPONSABILITE
PENALE DES ELUS
Pourquoi je suis passé au 100 % bio dans ma cantine en 2011 ? Franchement, je n’y avais pas pensé avant, j’avais des sensibilités mais on a tellement de choses à gérer que je n’avais pas pensé à ça. Mais je suis allé voir un documentaire dans le cinéma de la ville qui s’appelait « Nos enfants nous accuseront » de Jean-Paul Jaud, qui parlait de la restauration collective en bio. Et j’ai eu un déclic. Je suis sorti de cette projection au mois d’avril. Le lendemain matin, j’étais avec mes services et j’ai dit: “en septembre, on est au 100 % bio à la cantine scolaire.” Parce qu’il fallait qu’on y passe, parce que je pense qu’à un moment, oui, on sera attaqué, nous les élus, les décideurs politiques de ne pas avoir pris les décisions et peut être qu’un jour la responsabilité pénale des élus sera mise en œuvre. Et je le souhaite. Aujourd’hui c’est irresponsable de s’enfermer dans la manière dont ils fonctionnent, de continuer les arrangements entre bons amis et de faire en sorte qu’on ne remette pas en cause le modèle de développement, parce que c’est ça qui est à l’origine de tout nos maux, c’est notre modèle de développement, c’est l’ultralibéralisme, voire, quelque part, le capitalisme, qui fait qu’on en est là aujourd’hui. Eh bien, il y a un moment, quand ça déglingue tout le monde et que ça met en cause notre survie à nous – moi la planète, je m’inquiète pas, elle se remettra vite une fois qu’on aura disparu – On l’a vu tout à l’heure, l’écoanxiété c’est pas rien. Le nombre de couples qui ont 30 ans aujourd’hui qui me disent : “Nous, on ne veut pas d’enfants parce qu’on ne sait pas comment il va vivre plus tard”… Je trouve ça dramatique ! Que des couples jeunes se disent qu’ils auraient bien aimé avoir des enfants mais ne le font pas parce qu’ils ne savent pas dans quel environnement ils vont vivre… La responsabilité des élus, là-dessus, à un moment donné, elle est énorme ! Il n’y a pas de raison de ne pas passer à ça, si ce n’est pour protéger les nantis, ces 10 % qui polluent l’équivalent de 40 % des autres. C(est seulement pour ça.
Alors pour remettre en cause le système dans lequel on est aujourd’hui il y a le droit de vote. On a encore ça chez nous et il faut en abuser. Il y a plein de pays qui aimeraient bien l’avoir. Il faut en abuser et peut-être localement aussi faire la pression : Il y a des associations qui s’engagent par exemple sur l’accueil des exilés sur les territoires, eh bien, il faut qu’elles grossissent.
Il faut qu’on entende plus les citoyennes et les citoyens, pas forcément les militants. Parce que sinon, on dit : “oui, mais vous êtes des militants, ce n’est pas pareil.” Mais quand c’est des citoyens lambda entre guillemets, qui s’expriment et qui disent à leurs élus : “hé! Nous vos politiques là, on n’en veut pas, on veut être accueillants« .
CONTRE UNE POLITIQUE LOCALE
DE MARKETING TERRITORIALE
Moi, c’est ce que je dis partout : à Calais, il y a 30 ans, on disait Calais = Cité de la dentelle. Aujourd’hui Calais = migrant. Bonjour l’image en terme de ce qu’on appelle du marketing territorial!
Parce que c’est aussi ça qui est derrière. Pourquoi les élus ne disent pas à des industriels qui vont s’installer qu’il y a un risque de submersion ? Pourquoi Ils n’en parlent pas aux gens qui veulent construire ? Parce qu’ils font du marketing territorial ! Si vous dites à votre population qu’il y a un risque de submersion tout le va vouloir se barrer ou tout le monde va leur dire : “Mais qu’est-ce qu’on fait pour nous? Parce que ma maison, je l’ai payé 400 000 € moi et comment je vais faire si c’est plus vendable demain ?” Donc ils veulent surtout pas avoir ça à gérer derrière. Et donc c’est un manque de courage politique des élus qui devraient se liguer aussi contre les instances étatiques en France et européennes parce qu’il y a des responsabilités.
IL N’Y A PAS PLUS INTELLIGENT QU’UN HABITANT
Même si les pays développés, c’est un peu large. On a vu c’est 24 % plus 20 % des 40 % des pays asiatiques à qui on confie nos modes de production. Là dessus, il y a des responsabilités qu’il faut mettre en œuvre et à un moment, il faudra saisir la justice comme moi j’ai fait quand j’ai porté plainte contre l’Etat. On m’avait dit : “T’es complétement fou, après ils vont te sucrer tes subventions pour la ville, etc… ”. Mais à un moment faut bien qu’on le fasse ! c’est comme quand j’ai décidé d’accueillir et de faire un camp à Grande-Synthe. La presse qui me disait : “Mais Monsieur, vous vous rendez compte que c’est un suicide politique ?” Je leur dit : “ Mais pourquoi c’est un suicide politique ? J’ai des convictions et je vais au bout de mes convictions.” Après, on explique aux gens et ça passe. Pareil sur le changement climatique, il n’y a pas plus intelligent qu’un habitant. Vous lui expliquez les choses, il comprend tout le temps, sur tous les sujets, si vous lui donnez les bonnes informations… Et donc ils seront d’accord pour y aller dans ce sens-là, si vous travaillez bien avec la population. Et pas si vous liguez une population contre une autre sur votre territoire. Mais il y aura des vraies responsabilités, donc le droit de vote. Et puis à un moment, pression aussi sur les élus locaux parce qu’ils sont trop inactifs aujourd’hui, que ça soit dans l’accueil des exilés comme dans la lutte contre le changement climatique. »