Tempête, inondations et conditions de survie : 12 associations alertent sur la situation des personnes exilées dans une lettre ouverte

Malgré le fait que le Pas-de-Calais soit classé en vigilance rouge depuis quatre jours, que 250 communes soient touchées par les inondations selon le bilan de la Préfecture et que la trêve hivernale ait commencé depuis onze jours, une partie des habitants et habitantes du département n’ont reçu aucune consigne de sécurité hormis pendant deux nuits à l’occasion de la tempête CIARAN où un dispositif d’hébergement a été ouvert pour accueillir près de 687 personnes.

Dans ce contexte particulièrement difficile où survivent au moins 1500 personnes exilées, les expulsions quotidiennes sur les lieux de vie ainsi que la destruction des affaires personnelles (tentes, vêtements, chaussures etc.) opèrent toujours.

Pour alerter sur cette situation, les associations œuvrant auprès de ces personnes à la rue, sont allées le 8 novembre devant la sous-préfecture avec une quarantaine de familles, dont plusieurs femmes enceintes et une vingtaine d’enfants qui pour beaucoup avaient moins de 10 ans. Aucun dispositif de mise à l’abri n’a cependant été déclenché par le Préfet, Monsieur Jacques Billant ou Madame la Sous-préfète Véronique Deprez-Boudier.

Ci-dessous, la lettre ouverte des associations

Objet : Lettre ouverte concernant la situation catastrophique des personnes exilées à Calais.

A Madame Véronique Deprez-Boudier, Sous-Préfète

Copie adressée à : Monsieur Jacques Billant, Préfet du Pas de Calais Madame Nathalie Chomette, Directrice départementale DDETS

Le 10 novembre 2023

Madame la sous-préfète,

Nous souhaitons vous alerter de nouveau de la situation catastrophique de plusieurs centaines de personnes exilées n’accédant ni à l’hébergement ni aux services essentiels (accès à l’eau, aux douches, aux distributions alimentaires) à Calais. Nous sommes convaincus que le respect durable des droits fondamentaux des personnes exilées dans l’intérêt de tous consiste en l’arrêt des expulsions de campements, en l’ouverture de lieux d’hébergement et d’accompagnement à Calais ainsi qu’en la recherche de solution de régularisation en France ou d’accès sécurisé au territoire britannique. Pour autant, il y a actuellement urgence et nous vous demandons, de manière subsidiaire, de trouver des solutions pour que la sécurité physique, la dignité et les droits fondamentaux des personnes exilées soient respectés.

Compte tenu de la période de trêve hivernale qui a démarré le 1er novembre dernier mais également des alertes météorologiques répétées, nous souhaitons vous alerter prioritairement sur les dispositifs d’hébergement et de mise à l’abri. Nos associations ont constaté que le 115 avait refusé à plusieurs reprises ces derniers jours des familles primo-arrivantes à Calais. En outre, nous continuons d’observer des remises à la rue après un à 3 jours d’hébergement au 115 de personnes présentant des vulnérabilités particulières (femmes enceintes, sortant d’hôpital, etc.). Le 8 novembre, nos associations se sont retrouvées avec 50 membres de familles parmi lesquels près de 20 enfants à la rue. Malgré nos nombreuses sollicitations (sous-préfecture, DDETS, 17), aucune solution ne leur a été proposée. Le 9 novembre, cette même situation s’est répétée avec près de 60 membres de familles, dont 10 enfants , 3 femmes enceintes et quelques personnes avec des problèmes de santé. Aucune solution étatique n’a été proposée. Le droit à “avoir un toit” reconnu par la Convention internationale des droits de l’Enfant est une nouvelle fois bafoué en toute impunité.

Concernant les CAES, nous observons que les dispositifs sont saturés de manière constante depuis plus d’un mois maintenant. A titre d’exemple, nos associations ont observé que depuis jeudi 2 novembre dernier, plusieurs dizaines d’hommes se sont retrouvés chaque jour dans l’impossibilité de partir en CAES.

La mise à l’abri de 687 personnes à l’occasion de la tempête Ciaran était une bonne décision. Cependant, au minimum 1500 personnes (sur)vivent sur les campements à Calais. C’est donc deux fois plus de places qu’il n’aurait fallu.

Il est urgent, voire vital, que des solutions d’hébergement puissent être trouvées pour ces personnes. Cela passe par l’élargissement du nombre de places d’hébergement d’urgence accessibles via le 115, par l’élargissement du nombre de places de l’APU (accueil provisoire d’urgence) de FTDA à Saint-Omer pour mineurs non accompagnés, par l’élargissement du nombre de places en CAES et la mise en place de départs le week end ainsi que la réactivation en urgence du dispositif de mise à l’abri situé rue des Huttes à Calais.

En parallèle, il est insupportable que les expulsions de lieux de vie aboutissant à la confiscation de matériel de couchage (tentes, couvertures, etc.) se poursuivent comme ce fut le cas par exemple dimanche 5 et mardi 7 novembre. Ces expulsions doivent immédiatement être suspendues.

Outre l’accès à l’hébergement, l’accès aux services de base est également largement insuffisant. Comme vous le savez, entre 500 et 1000 personnes, hommes, femmes, enfants ainsi que des mineurs non accompagnés (sur)vivent sur le terrain, dit de la Turquerie, entre le chemin de Castres et la PASS, et ce malgré les expulsions régulières. Pour s’approvisionner en eau et en nourriture, les personnes vivant sur ce terrain n’ont d’autres choix que de se rendre à une distribution de « La Vie Active » située Rue de Judée. Cet unique point d’accès à l’eau dans les environs se situe à près de 3 kilomètres du lieu de vie des personnes, soit près de 35 minutes de marche. La distance à parcourir, la présence policière sur chacune des distributions ainsi que les horaires restreintes d’accessibilité à ce service, entravent grandement l’utilisation de ce point de distribution par les bénéficiaires. De plus, le 29 octobre, la « Vie Active » a quitté la rue de Judée sans terminer la distribution. C’est l’association Salam qui a dû essayer d’apaiser la faim de cette population. Le nombre de petits déjeuners distribués ce matin-là a explosé : 1725 ! Plus tard, l’association n’a pas pu assurer son habituelle distribution en Centre Ville : il ne restait ni pain, ni thé, ni café… Nous regrettons fortement ne pas être informés de l’évolution des services des associations que vous mandatez alors que nous sommes au quotidien aux côtés des personnes exilées. Cet événement aurait pu causer de graves problèmes de sécurité pour les personnes exilées mais également pour les équipes associatives sur place. Les associations non mandatées n’ont ni la capacité humaine, ni la capacité matérielle de pallier ces manquements étatiques. Ainsi, nous tenions à vous informer qu’à partir du 1er Décembre, la Vie Active sera le seul service de distribution alimentaire à proximité de la Turquie.

De même, environ 300 personnes ont été rencontrées par nos associations ces derniers jours dans le centre-ville de Calais et en particulier au niveau des quais qui séparent Calais Nord du reste de la ville. L’absence d’approvisionnement en eau dans cette partie de la ville est telle que des personnes ont témoigné utiliser l’eau du canal pour leurs besoins quotidiens. Nos demandes répétées de mise en place d’un point d’eau en centre ville reste pour le moment sans réponse. Nous vous rappelons que d’après un rapport publié par Solidarités International et la Coalition Eau en juillet 2022 : le manque d’eau disponible peut entraîner d’importants problèmes de santé publique et nuit gravement à la dignité humaine des personnes.

En matière d’accès à l’eau et à l’hygiène, le Conseil d’Etat, notamment, a déjà jugé le 31 juillet 2017 que « la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants qui se trouvent présents à Calais en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable demeure manifestement insuffisante et révèle une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou

dégradants ». Il a enjoint, dans cette décision, l’Etat à mettre en place un système d’accès à l’eau, aux latrines et aux douches suffisants et accessibles. La Commission nationale consultative des droits de l’homme dans un avis du 11 février 2021 tout comme le Défenseur des droits dans ses rapports de 2015 puis de 2017 ont corroboré cette analyse. Nous la poursuivons aujourd’hui en demandant une plus grande capacité et une véritable accessibilité des points d’eau, sanitaires, douches et distributions alimentaires.

Enfin, nous observons également des lacunes dans le protocole de prise en charge des personnes victimes de naufrages, ainsi que dans son application. Nous insistons sur la nécessité d’établir un protocole de prise en charge précis et de veiller à son application systématique pour toute personne qui tente la traversée de la Manche, qu’elle soit secourue ou interceptée par les forces de l’ordre. Il est nécessaire que ce protocole soit coordonné et harmonisé entre les départements du Pas- de-Calais et du Nord.

Nous constatons malheureusement trop fréquemment des insuffisances dans la manière dont ces personnes sont prises en charge. Souvent elles se voient refuser l’accès à une mise à l’abri, ne reçoivent que très rarement une assistance matérielle par la protection civile (ou autre organisme mandaté par l’Etat), et l’accès à des soins médicaux, même lorsqu’elles sont trempées et en état de choc.

La période actuelle constitue un sommet dans l’ignominie des conditions de survie des personnes exilées à Calais. Nous sommes convaincus qu’il est possible d’en sortir. Développer l’accès aux services fondamentaux tels que l’eau, les sanitaires, les douches, l’alimentation, l’hébergement à Calais et renforcer les dispositifs d’accès à l’information et à l’accompagnement permettrait, si ce n’est de régler durablement la solution, a minima d’être davantage conforme au respect simple de la dignité humaine.

Dans l’attente de votre retour et surtout d’une augmentation en quantité et en localisation des services essentiels. Nous nous tenons à votre disposition pour toute information complémentaire,

Veuillez recevoir, Madame, nos sincères salutations,

Signataire :

Le Secours Catholique délégation du Pas de Calais, Refugee Women’s Centre, Calais Food Collective, Human Rights Observers, Channel Info Project, L’Auberge des Migrants, Woodyard, Collective Aid, Médecins du Monde Nord Littoral, Project Play, Salam Nord/Pas-de-Calais, Utopia 56 – Calais