Retour(s) sur la Marche calaisienne du 23 septembre


Le samedi 23 septembre a eu lieu près de 120 manifestations dans toute la France, suite à un appel national cosigné par 198 organisations, dont des partis politiques (EELV, NPA,LFI…) syndicales (CGT, Solidaires, FSU…) et collectifs (Vérité et justice pour Adama, Justice pour Nahel, Stop Violences Policières à Saint-Denis…).

A Calais, le rendez-vous a été donné Place d’Armes à 14h30, où près de 100 personnes se sont réunies pour dénoncer le racisme systémique, les violences policières et pour marcher en faveur de la justice sociale et des libertés publiques.

Dans un communiqué de presse et plusieurs fois le long de la marche, a été rappelé la symbolique de répondre à cet appel à Calais.

Calais est une ville modeste où la plupart des habitant·es de plus de 15 ans sont employé·es ou ouvriers. D’après l’INSEE, la proportionnalité des personnes disposant d’un diplôme d’enseignement supérieur est plus faible que celles et ceux qui ne disposent d’aucun diplôme.

C’est donc une ville touchée de pleins fouet par l’aggravation de toutes les inégalités dans un contexte économique d’inflation, de hausse des loyers et des prix de l’énergie.

La première prise de parole sur la Place d’Armes rappelle les répressions qui ont eu lieu lors du mouvement des Gilets jaunes et lors des mobilisations contre la réforme des retraites (notamment lors de l’occupation pacifique de l’A16).

« L’EXPRESSION ULTIME DE LA SOUVERAINETÉ RÉSIDE DANS LE POUVOIR SOCIAL ET POLITIQUE DE DÉCIDER QUI POURRA VIVRE ET QUI DOIT MOURIR ».

La deuxième symbolique dans la réponse à cet appel national fut au parc Richelieu, lieu de commémoration où se réunissent à 18h30 les habitants, habitantes et associations de soutien aux personnes exilées, au lendemain d’une annonce d’un décès dans la presse.

Ce lieu est devenu le symbole des politiques mortifères instaurées à la frontière franco-britannique, avec au moins 378 personnes exilées mortes depuis 1999. Il est aussi dénoncé les politiques de harcèlements, avec 1 700 expulsions qui ont été orchestrées en 2022 selon le rapport de l’association Human Right Observers.

Selon l’anthropologue Marta Lotto, la moitié des personnes exilées interrogées survivant à Calais auraient été victimes de violences physiques ou verbales par les forces de l’ordre en 2021. C’est donc des violences et du racisme systémique qui se perpétuent à la frontière depuis près de 30 ans.

“Je viens d’apprendre un nouveau mot hier en écoutant la radio. C’est la première fois que je l’entendais. Ce mot, s’adresse à l’Europe. C’est nécropolitique. Voilà, c’est tout ce que j’ai à vous dire, ce mot parle de lui-même. On pratiquerait en Europe une nécropolitique*. Moi ça me fait peur.”

Prise de parole de Daniel Chevrot poète et citoyen calaisien.

*De son étymologie, necros signifiant mort et polis signifiant cité en grec. Nécropolitique est un mot créé par le politologue et historien Achille Mbembe, signifiant que “l’expression ultime de la souveraineté réside dans le pouvoir social et politique de décider qui pourra vivre et qui doit mourir.”

Une autre citoyenne prit la parole pour rappeler qu’une manifestation fasciste, organisée par le groupe local “Sauvons Calais” s’était déroulée le 7 septembre 2014 sur le parvis de la mairie de Calais, en toute impunité:

“Ils ont pu dire tout ce qu’ils voulaient, j’étais présente. Il y a des gens dont je ne me souviens pas du nom qui ont appelé à faire une chaine téléphonique, pour signaler tous migrants sur la voie publique et appeler à venir les tabasser, pour débarrasser Calais des migrants. Et là, madame Bouchart n’a pas fait mettre des rochers pour empêcher cette manifestation. C’est un scandale qui devrait être rappelé tous les ans, car je ne comprends pas qu’une élue est pu laisser une manifestation fasciste se dérouler sur le parvis de l’hôtel de ville. Je voudrais que tous s’en souviennent. On doit avoir la mémoire de tout ça.”

La troisième prise de parole s’est réalisée rue Paul Bert, où furent déposés, le long de la berge près de 45 000 euros de rochers par la mairie de Calais afin d’empêcher les personnes exilées de s’installer. Ces mêmes rochers ont aussi été déposés quelques mois plus tôt, devant les forteresses de Vauban, nous protégeant au 15ème siècle des invasions anglaises. Aujourd’hui, cette forteresse est elle-même assiégée par des rochers, empêchant les touristes de stationner. “Tout cela à cause de la répression et du racisme” s’exclame Greg (militant LFI-NUPES et Gilets Jaunes).

Dans sa prise de parole sont dénoncés les conditions de vie des étudiant·es (1 sur 2 vit avec moins de 100 euros par mois), les 8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, l’inflation, l’islamophobie, les ultra-riches, le capitalisme, la libération de la parole fasciste sans que celle-ci ne soit condamnée et la responsabilité du gouvernement dans toutes ces inégalités et injustices.

La marche s’est terminée à Nation avec la lecture d’un communiqué des grévistes d’Emmaus Grande-Synthe, où 23 femmes et hommes travailleurs et travailleuses ont entamé une grève depuis le 21 août dernier pour protester contre les traitements discriminants et dégradants qui leur sont infligés par leur direction. Une caisse de solidarité a été mise en place pour les soutenir par la CGT dunkerque.

UN CONTINUM ENTRE LES QUARTIERS POPULAIRE ET LES PERSONNES EXILEES

La marche aurait dû se terminer à Beau-Marais, mais cette dernière s’est terminée à Nation, faute de monde. Évidemment le choix initial de marcher jusqu’au quartier populaire le plus dense de Calais, est symbolique ; la mort du jeune Nahel a suscité dans toute la France beaucoup de colère, des manifestations ont eu lieu dans bon nombre de quartiers populaires avant d’être éteintes par la répression. Au Beau-Marais des protestations ont également eu lieu le 30 juin dernier. Des habitantes et habitants déploraient la réponse policière disproportionnée compte tenu des “pétards des jeunes”, d’après un article de la Voix du Nord. C’’est ce même sentiment d’abandon qu’est déploré quand on laisse le micro aux personnes concernées. Un sentiment d’impuissance et d’injustice.

L’enjeu national de cette marche était de mobiliser les quartiers populaires. Une semaine avant la manifestation, différents tractages ont été réalisé à la FAC, devant les lycées mais aussi au marché du Beau-Marais pour diffuser l’information et en discuter. Plusieurs personnes y ont apporté leurs soutien, regrettant de ne pouvoir se déplacer. Bon nombre de personnes étant “assignées à résidence” du fait de problèmes de santé, familles nombreuses, ou ayant un proche en situation de handicap dont il faut s’occuper.

C’est aussi cela dont il est question, quand on parle de justice sociale. Nous sommes dans un pays où des personnes sont plus sujettes aux vulnérabilités que d’autres, des personnes n’ayant pas forcément les moyens de faire garder leur enfants, des personnes à qui la santé est fragilisée du fait de conditions de vie ou de travail difficile.

Des personnes isolées, qu’on a mis là quelque part en périphérie de Calais et pour qui la liberté de circulation a aussi un sens.

Article : Jade Lamalchi
Reportage vidéo : Pierre Muys
Photos: Arthur Vleirick