Archives des féminisme - Calais La Sociale https://calaislasociale.fr/etiquette/feminisme/ Reportages d’actions solidaires et sociales Thu, 02 Jan 2025 17:12:05 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 https://calaislasociale.fr/wp-content/uploads/sites/24/2022/10/Logo-Calais-La-Sociale-site-web-200x200-1-150x150.png Archives des féminisme - Calais La Sociale https://calaislasociale.fr/etiquette/feminisme/ 32 32 Sophie Agneray, La Voix des licenciés désignée personnalité calaisienne de l’année. https://calaislasociale.fr/2025/01/02/sophie-agneray-la-voix-des-licencies-designee-personnalite-calaisienne-de-lannee/ Thu, 02 Jan 2025 17:12:05 +0000 https://calaislasociale.fr/?p=5215 Depuis ses débuts, Calais la Sociale s’est attaché à se faire caisse de résonance des luttes ouvrières et des résistances populaires locales. Parmi elles : la fermeture de l’usine Prysmian-Draka, dont le plan social brutal a laissé des dizaines de familles dans la tourmente. Elle a été l’une des batailles emblématiques de ce nouvel épisode […]

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Depuis ses débuts, Calais la Sociale s’est attaché à se faire caisse de résonance des luttes ouvrières et des résistances populaires locales. Parmi elles : la fermeture de l’usine Prysmian-Draka, dont le plan social brutal a laissé des dizaines de familles dans la tourmente. Elle a été l’une des batailles emblématiques de ce nouvel épisode de désindustrialisation qui aura privé 300 000 personnes de travail depuis septembre 2023, en France, selon une étude de la CGT. Cette histoire, nous l’avons documentée, racontée, portée. Avec le film « Nos Hommes », avec des articles, des reportages, des rencontres. Non pas pour « produire de l’info », mais pour soutenir, visibiliser, et surtout contribuer à construire une mémoire ouvrière capable de dépasser les petites publications d’un média sans salarié, ni patron, ni mécène (faites  un don!)

L’entretien ci-dessous avec Sophie Agneray et son mari Gregory, figures centrales de cette mobilisation, est une plongée dans les fractures invisibles que laisse un plan social : la désintégration des vies, des familles, et des territoires. Sophie – que les lecteurs et lectrices du Nord Littoral ont eu l’excellente idée d’auréoler du titre de « personnalité calaisienne de l’année » – insiste sur la nécessité de penser les licenciements autrement, avec des mesures concrètes pour protéger ceux qui se trouvent en périphérie immédiate du salarié touché : « Il faut garantir la base : une cellule psychologique pour les femmes pendant et après le plan social, une garantie de mutuelle pour les gamins. » Elle va jusqu’à proposer la création d’un « congé pour licenciement au sein de la famille« , une indemnité qui permettrait aux conjointes de ne pas s’effondrer sous la charge mentale. Car, comme elle le rappelle avec force, « Si la conjointe va bien, le salarié licencié ira bien ».

« Calais a encore un poumon ouvrier » expliquera Sophie. « Il faut le soigner, en prendre soin, il faut l’aider à respirer. » Dans l’attente, ce document, est une bouffée d’air salutaire pour quiconque aurait la fantaisie de comprendre et le courage d’agir près de chez lui pour cette nouvelle année qui vient de s’ouvrir.


L’ENTRETIEN

Pierre (Calais la Sociale) 

Qu’est-ce que tu as envie de faire maintenant que le plan social des Prysmian arrive à son terme et que t’es devenue personnalité calaisienne de l’année ?

Sophie Agneray

On veut être reçue au Sénat, à l’Assemblée Nationale, ou pourquoi pas au parlement européen.Ces trois instances peuvent être un tremplin pour entourer les femmes et les enfants qui sont des personnes totalement occultées des plans sociaux. Cette injustice là, on doit la raconter le plus loin possible. 

Pierre

C’est qui “on” ?

Sophie

C’est notre collectif de femme ! Je n’arrive pas à me dissocier d’elles. C’est un peu bête de dire ça comme ça, mais on ne fait qu’un. C’est écrit “La personnalité Calaisienne de l’année” sur le journal mais en fait ça devrait être un pluriel. Les femmes Prysmian sont les personnalités Calaisiennes de l’année.

Pierre

Vous faites corps autour d’un objectif commun.

Sophie

Oui. C’est pas par modestie, c’est juste que c’est pas possible.
A un moment donné, lorsqu’on accompagnait nos maris lors des négociations à l’ancien terminal portuaire, ça devait être la veille de la  venue de Ruffin, c’était tellement violent moralement, tellement stressant, que je suis parti m’effondrer aux toilettes. Ce jour-là, je voulais tout arrêter. J’en pouvais plus. C’était pas glorieux… Je pleurais comme une madeleine, seule, dans les toilettes…un craquage. La fatigue, la bronchite, la trouille de ne pas y arriver et puis l’ascenseur émotionnel… Et à ce moment là, je reçois un texto de Graziella [une femme du collectif, soutien à distance car gravement malade] et c’était exactement les mots qu’il me fallait. C’était comme une connexion, une sorte de symbiose. Ca m’a reboosté et c’était reparti.
Le collectif c’est vraiment ça, on porte, on s’effondre, mais tout le monde participe à sa manière au fait que ça tienne. 

Pierre

Je voudrais qu’on parle du sens de cette distinction de “Personnalité calaisienne de l’année”, de ce que ça peut représenter… En fait, il y a mille raisons d’être content que ça tombe sur toi. Du moins quand on n’est pas bourgeois, miso ou patron. D’abord parce que ça met une sorte de fin positive à l’année qu’on vient de passer, c’est pas rien. Mais aussi parce que c’est votre lutte pour la voix des familles et une forme de dignité ouvrière que les lecteurs et lectrices du Nord Littoral ont désigné comme événement majeur de leur année écoulée. 

Il s’est donc passé quelque chose. Et le fait que ce ne soit pas nous ou vous qui le disions fait quand même franchement du bien… Que ça vienne d’un organe de presse institutionnel qui affirme qu’il s’est véritablement passé un truc vis à vis de cette fermeture d’usine rend tout un tas de choses d’un coup beaucoup plus légitimes. Vous incarnez de manière officielle l’Histoire locale que l’on souhaitera encore raconter.

Sophie

Oui, mais on ne peut pas non plus se réjouir complètement. Être calaisienne de l’année avec 300 000 personnes licenciées en France depuis septembre 2023, représenter ça… En toute humilité, ben c’est aussi du lourd niveau responsabilité, niveau conscience.  Ca aurait été plus chouette pour une action de bénévolat ou quelque chose dans le genre, mais pas pour quelque chose d’aussi dramatique… Chez les prysmian, il y eu des gens, des hommes comme des femmes, qui ont vraiment voulu en finir avec la vie, qui ont eu des pensées très très sombres. 

 Aujourd’hui, je suis la Calaisienne de l’année, c’est cool, mon mari est fier, ma mère est fière et moi je suis contente de voir les gens fiers. Nos hommes et le collectif des femmes sont heureux de cette “distinction” qui représente cette année de dur labeur. Avec cette élection, ils sont heureux qu’on reconnaisse enfin qu’ils existent tous. Et moi, je suis fier d’eux en fait.

Mais bon comme je vous dis, ça représente aussi 300 000 licenciés sur toute la France. Je voudrais qu’on parle de l’impact de ces plans sociaux sur le tissu économique du territoire. Comment la fermeture d’une usine impacte le commerce, la santé… Un PSE c’est le territoire qui en pâtit entièrement. 

Il faut parler des Régions qui donnent de l’argent aux directions des entreprises sans aucune contrepartie. Sans compter sur la politique d’Emmanuel Macron qui fait tout pour faire venir des investisseurs étrangers en France. Et tout ça pour quoi ? Pour du pillage ! Ils restent quelques années en France, Ils s’installent, prennent ce qui est à prendre, autrement dit : les richesses de notre territoire, notre savoir faire, l’argent public pour l’installation et ils se cassent.

Mais cela dit, c’est pas nouveau… On peut remonter à l’histoire de la dentelle de Calais… Elle est où maintenant la dentelle de Calais ? Elle est au musée mais sinon ? Elle est parti en Chine, au Maghreb, en Turquie… Ça ne date pas d’aujourd’hui que les travailleurs sont balayés comme des salissures. [Sophie fait ici référence à un de ces discours prononcé au terminal portuaire : “Tant que les plus démunis d’audience ne seront pas entendus, ils seront balayés comme des salissures”] 

Infographie éditée par la CGT

Pierre

C’est marrant que tu évoques ce mot de salissures. J’y pensais en arrivant chez toi en réfléchissant à l’émotion des gens par rapport à ta désignation par Nord Littoral. C’est une espèce de gratification collective, quelque chose qui venge ce qui peut en nous être salie lorsqu’on subit ce genre de violence. Quelque part, il y a l’idée que votre victoire nettoie, elle rend justice.

“CALAIS A ENCORE UN POUMON OUVRIER”

Sophie

Oui, elle remet peut-être les choses dans un certain cadre, dans une certaine perception de ce qui est en train de se passer chez nous. C’est vrai que c’était violent tout ça…J’ai une phrase qui me vient en tête depuis deux ou trois jours, c’est que Calais a encore un poumon ouvrier. Il faut le soigner, en prendre soin, il faut l’aider à respirer. Il a besoin d’oxygène, il faut lui donner tout ce qu’il faut pour qu’il continue de gonfler, prendre un nouvel essor. Il faut que l’industrie revienne, qu’on relocalise. 

Il y a des solutions pour ça, des choses à faire. Si on laisse faire, on consent à la situation.  Il y a des enfants qui arrivent derrière. Il y a un avenir à Calais.  Je suis profondément attachée à ma région, à ma ville. Je veux rester positive. L’espoir est mon moteur et c’est ce qui fait avancer et je refuse de croire un seul instant qu’il n’y en a plus. 

Calais ne se résume ni à la migration, ni au dragon. Calais, c’est aussi des travailleurs, des courageux, des gens qui se lèvent à 4 heures du matin, qui sont dans l’action, l’engagement, le mouvement. C’est une ville peuplée de gens biens qui veulent du boulot mais qui n’en n’ont pas.

Valentin De Poorter (Calais La Sociale)

Tu parles de l’industrie mais aujourd’hui, à Calais le travail ne désigne plus seulement celui ou celle qui bosse dans une usine, mais toutes celles et ceux qui bossent dans la logistique, le tertiaire et même les auxiliaires de vie, toutes et tous sont liés à ces classes ouvrières.

Sophie

J’ai été auxiliaire de vie il y a longtemps, puis aide soignante, puis aide médico psychologique. J’ai passé plusieurs diplômes qui n’avaient rien à voir avec les études que j’avais faites. Depuis, je travaille dans le handicap. Je peux vous dire qu’elles sont bien oubliées les auxiliaires de vie, le corps médical, les soignants, le médico-social… ces gens-là on les appelle « les petites mains ». Je déteste ce terme. C’est tellement inapproprié puisque c’est eux et elles qui font fonctionner le pays. Et ici, c’est pareil à Calais, elles courent du matin au soir pour un salaire de misère. Si le mari est au chômage, qu’il perd son emploi, c’est pas elle avec son pécule qui va pouvoir rétablir la donne. L’impact est partout, sur tout.

Pierre

Je voulais revenir sur le terme “petites mains”… Dans la mesure où on pourrait se considérer toutes et tous comme des petites mains au sein d’une même grande machine, occupés à la faire fonctionner. Mais le problème avec les petites mains c’est que ça sous-entend  qu’il y en aurait des grandes. Et qui sont ces grandes mains ? Les patrons qui possèdent l’outil de travail, qui n’y mettent paradoxalement pas les mains et, visiblement, celles et ceux qui nous foutent dehors.

Mais pour revenir à ce titre décerné par les lecteurs du journal, ce qui est chouette, je trouve, c’est qu’habituellement, la presse ou les entrepreneurs du spectacle médiatique couronnent des entrepreneurs, des sportifs… Des gens gravitant autour de notions de réussite ou prouesse individuelle. Votre victoire rassemble en revanche des ouvriers de l’industrie, mais en fait, plus largement toute personne dont l’économie domestique dépend d’un rapport de subordination pour obtenir un salaire. Ce genre de concours si on l’avait fait à Calais la Sociale aurait eu moins de retentissement je trouve. Ça serait même plutôt attendu comme résultat de la part d’un média tel que le nôtre. Mais le fait que ta figure arrive en tête d’un classement à la place d’un gardien de but ou d’un patron de friterie indique quand même qu’il se passe quelque chose dans l’inconscient collectif. On n’est peut-être pas si dupes malgré la profusion d’écrans de fumée. On a quand même la conscience commune qu’à Calais on maltraite les gens qui bossent.

« une victoire du travail face au fantastique, à la vitrine, au paraître ».

Sophie 

C’est une réalité de terrain. C’est à dire que c’est le travail qui est mis à l’honneur à Calais. Et c’est pas mon travail, c’est les travailleurs, pas des VIP, pas des footballeurs ou des youtubeurs. Cette année, c’est le travail. C’est un message, qu’on est en train de faire passer. 

Valentin

On dit que c’est une victoire du travail contre le capital ?

Sophie

Je dirais que c’est plutôt une victoire du travail face au fantastique, à la vitrine, au paraître.

Grégory Agneray

Ce que ça démontre surtout, c’est qu’aujourd’hui ce qui intéresse les gens, c’est le travail. C’est pas Lucas Chevalier qui va en équipe de France, c’est pas le friteur qui devient riche en faisant ses frites, c’est les gens qui ont perdu leur emploi. C’est triste mais c’est comme ça. Et quand t’écoutes les actualités, c’est pas fini.

Sophie

En fait, c’est aussi le désir de travail qui est mis à l’honneur. Pendant des années, on a incombé la faute aux Français de ne pas vouloir travailler. 

Dans certaines presses, pas toutes, on leur a incombé cette responsabilité-là. On a souvent entendu que c’était de la paresse, qu’on ne voulait pas se lever à 4 h du matin pour aller bosser. C’est faux Aujourd’hui, on veut du boulot à n’importe quelle heure, on veut du taf à Calais ou ailleurs. On veut progresser. Et c’est ça qu’il nous faut. Cette distinction est celle de tous les licenciés de Calais, c’est aussi celle des cheminots qui font grève et qu’on malmène. On pense qu’ils gagnent des fortunes alors que c’est des mecs qui ont trimé toute leur vie. Cette distinction, c’est les dockers, c’est la santé, c’est les hospitaliers, c’est l’éducation nationale, c’est tous ces gens là. C’est eux qui contribuent à tenir le pays debout. 

Pierre

La réussite, ne se fait pour une fois pas sur le prisme d’une carrière mais d’une capacité à se révolter.

Sophie

J’ai du mal avec le mot “révolte”. J’ai toujours eu du mal, même si j’ai toujours été “la révoltée” dans ma famille.

Pierre

Révolter, c’est “se retourner” étymologiquement, faire face.

Sophie

Je préfère “résilience”.

Pierre 

Oui, mais je ne sais pas si c’est juste. Ça désigne une capacité à continuer en absorbant les coups. Là, je crois qu’on célèbre aussi votre capacité à en avoir rendu quelques-uns !

« On a réussi à absorber la mysoginie »

Sophie

Oui, j’espère. J’en ai rendu quelques-uns. Et j’ai pas fini d’en rendre.

Pierre

C’est si tu préfères montrer un visage plus combatif du salarié que celui qu’on récompense pour sa subordination et sa capacité à opérer des tâches, à performer là-dedans. On récompense une prise de conscience politique.

Sophie

Oui, là, complètement d’accord et en même temps je voudrais mettre l’accent sur notre passivité. C’est aussi ça qui nous distingue. 
Face à la misogynie par exemple, on a réussi à l’absorber, à y faire face parce que nos hommes se sont bien tenus. Ils n’ont jamais brûlé de palettes, ni cramé l’usine.

Pierre

Vos homme se sont bien tenus vis-à-vis de vous aussi !

Sophie

Ah oui ! Nos hommes, oui, ils se sont très bien tenus vis-à-vis de nous. Ils avaient plutôt intéret ! (rires) Ils nous ont respectés, nous ont entourés dans notre collectif. C’est hyper important de le dire. Ils nous ont protégés aussi. 
Greg m’a beaucoup préservé, et encore là, il n’y a pas longtemps… Je m’expose, mais lui me protège. Tu vois, c’est vraiment encore une fois une forme d’harmonie.
On a été vraiment confronté dans le collectif à la misogynie. J’ai été calomnié quand même, les femmes du collectif aussi.  Des trucs vraiment dégueulasses ont été dit. Mais à côté de ça, on a soulevé quelque chose de différent. Je n’irais pas jusqu’à dire innovant, mais c’est pour ça que j’ai du mal avec la révolte, parce qu’elle est souvent associée à la destruction, à la Révolution française, à une barricade, à des choses comme ça un peu violentes. 
Nous, on a utilisé nos maux à travers nos mots. On était dans les discours, on a dénoncé, on a argumenté, on a crié. Le collectif n’a fait que ça, il n’a jamais été violent. Toute cette injustice nous a servi. On a transformé notre désespoir en colère …mais sans jamais briser quoi que ce soit. C’est ce que la direction attendait.

Valentin

Il y a eu en tout cas une inversion du cours des choses où des gens qui étaient censés obéir à l’ordre et s’y soumettre ont dit stop et se sont mis à parler.

Sophie

On ne peut plus se soumettre, c’est fini.

“LE PREMIER COLLECTIF DE FEMMES EN FRANCE, CRÉÉ EN SOUTIEN À LEURS ÉPOUX LICENCIÉS… C’EST NOUS. PERSONNE NE POURRA NOUS L’ENLEVER.”

Greg

Ça fait 27 ans que je bosse et que je connais ça, c’était déjà le cas pour nos parents avant nous : dans une entreprise, quand on parle de baisser les coûts, systématiquement, la première chose qui vient c’est quoi ? C’est les salaires gelés, changer les horaires pour réduire les coûts. Jamais on ne parle de baisser les dividendes, suspendre les dividendes, etc… Non, on baisse les salaires, c’est systématique. 
Donc les gens dans leur tête, ça fait 40, 50 ans qu’on leur dit : “pour que ton patron soit content, faut qu’on baisse ton salaire”. C’est devenu une culture maintenant.

Sophie

Comme je disais, le collectif est sorti des sentiers battus. Il est sorti de quelque chose qui a été banalisé pendant des années.  Les licenciements, les plans sociaux étaient banalisés jusque là. Il y avait une sorte de fatalité. Pour nous, c’était même pas envisageable d’être fataliste.

Greg

Elles ont créées quelque chose qui n’existait pas.

Sophie

Le premier collectif de femmes en France, créé en soutien à leurs époux licenciés… C’est nous. Et ça, personne ne pourra nous l’enlever. C’est la première fois en France que des femmes inversent le cours des choses dans ce domaine. Il n’y aura plus de soumission, plus de salissure balayée comme les directions ont pu le faire. Je ne veux plus de ça et je ferai tout pour qu’il n’y en ait plus.

Greg 

Pour ça, faut réussir à monter très haut…

Sophie

C’est pour ça que je parlais du Sénat, de l’Assemblée Nationale, de parlement européen. Partout où on pourra être entendu sur une proposition de loi, on ira. 

Greg

Déjà changer les termes quoi… “Plan de Sauvegarde de l’Emploi”… C’est un plan de destruction, pas de sauvegarde.$

« Si la conjointe va bien,
le salarié licencié ira bien « 

Pierre

Concrètement, après un an de lutte et d’observation des dégâts infligés par un plan social sur l’intégrité morale des personnes, en tant que porte-parole de ce collectif, qu’est ce que tu en sors ? Si demain il y a un plan social, qu’est ce qu’il faut mettre en place pour les femmes, pour les familles ?

Sophie

Le plan social est là pour préserver le salarié licencié, il faut donc absolument préserver la conjointe/le conjoint du futur licencié. Si la conjointe va bien, le salarié licencié ira bien ou du moins ça serait pour lui un moindre mal. 

Et si la femme va bien, les enfants iront bien. C’est pas moi qui le dit, c’est comme ça, ça fonctionne comme ça. Pour toutes les familles, il faut donc garantir la base : la cellule psychologique pour les femmes pendant et après le plan social et une garantie de mutuelle pour les gamins.

Je voudrais aussi que les soins soient pris en charge à 100 % pour les femmes des salariés licenciés, c’est-à-dire les soins gynécologiques, médicaux, la dépression et tout ce que ça implique en problématique santé.…  Il faudrait qu’elles aient droit à des jours de convenance d’arrêt maladie si elle ne sont pas bien. C’est normal d’avoir ça. Tu sais, on a été sept à subir de grosses perturbations hormonales en même temps, pendant le PSE… c’est pas normal ça. 

« Il faut qu’il y ait une proposition de loi qui oblige des actionnaires, les marchés financiers, les directeurs, les grandes boîtes à prendre en charge la réparation des effets d’un plan social sur les familles des salariés ».

J’ai lu des études sur la santé mentale, sur le choc et le stress des femmes. Il y a un impact énorme sur leur santé. 300 000 familles licenciées depuis septembre 2023… Vous imaginez un peu ?

Il faut un lieu d’accueil, une sorte d’abris, il faut qu’on aille chercher la femme du salarié licencié, il ne faut pas attendre qu’elle vienne, elle ne viendra pas. Elle est active, elle a une charge mentale énorme. Quand elle apprend que son mari est licencié, elle est submergée, elle écope comme elle peut, avec les bras qu’elle a pour pas que la barque familliale coule tout à fait. Elle se bat tous les jours, elle fait les comptes, pense à l’avenir, aux enfants, aux soins et elle se néglige.
Alors Il faut aller la chercher, Il faut qu’il y ait une proposition de loi qui oblige des actionnaires, les marchés financiers, les directeurs, les grandes boîtes à prendre en charge la réparation des effets d’un plan social sur les familles des salariés. Il faut cette obligation, ce devoir.  C’est le minimum quand on sait qu’un travailleur va donner 20 ou 30 ans de sa vie et sacrifier une partie de sa vie familiale pour l’entreprise.  C’est le minimum qu’on doit lui donner, qu’on doit lui offrir quand on le vire comme un malpropre du jour au lendemain. C’est le minimum, parce qu’on s’est fait des bénéfices sur son dos, sur celui de sa femme, sur celui de ses gosses.

Pierre

Ça se concrétise comment ? Le patron paiera les jours de congé à l’employeur de la conjointe ?

Sophie

Oui, une forme d’indemnité financière pour des jours de congé si elle en a besoin. Parce qu’elle a des enfants à gérer, parce qu’elle a une santé à préserver pour elle.  Elle n’aura pas à annuler ses rendez-vous médicaux comme nous on a dû le faire pendant des mois.

“UN LICENCIÉ, EN MOYENNE, C’EST TROIS PERSONNES PRISES DANS LES DOMMAGES COLLATÉRAUX, AUTOUR DE LUI : ÉPOUSE, ENFANTS, PARENTS VIEILLISSANTS…”

Pierre

On peut parler de la création d’un “congé pour licenciement au sein de la famille” à la charge de l’entreprise qui ferme ?

Sophie

Oui je crois que tu trouves le bon terme. Mais attention, avec des limites quand même, c’est pas open bar non plus ! Il faut que ce soit cadré.  Mais il faut cette indemnité. Il faut aussi des soins, une garantie de soins si elle est en dépression. Pourquoi elle aurait deux ou trois jours de carence sur son salaire pour un arrêt maladie pour dépression cette femme ? C’est pas de sa faute, c’est pas de son fait, c’est la faute du patron de son conjoint si elle est dans cet état là, c’est à lui de payer la garantie de ses soins. C’est lui qui doit passer à la caisse, c’est sa responsabilité ! Si elle déclare un cancer pendant le PSE, un post-trauma, qu’elle a des soins psy… C’est elle qui va devoir les payer de sa poche ? Tout ça il faut que ce soit acté dans un PSE.

Greg

Il faudrait déjà qu’un PSE soit difficile à faire. C’est devenu très simple maintenant. En deux mois, si personne ne se défend, la direction ferme une usine.

Sophie

La démocratie, elle est pour les puissants. Elle n’est pas pour les ouvriers, elle n’est pas pour les travailleurs.  Il faut que ça s’arrête cette politique de faire venir des investisseurs étrangers. Je le disais tout à l’heure, il faut relocaliser l’industrie française.

Pourquoi aller chercher ailleurs de l’argent ? Il y a de l’argent en France, il y a du savoir-faire en France. Il faut relocaliser tout ça. Il faut arrêter d’aller serrer la pince à Tombouctou. Ce qui en ressort , c’est des types qui viennent pomper tout ce qu’il y a à pomper en France, à Calais et puis partir cinq, dix, vingt ans après, en laissant la débâcle et le chaos derrière. A force de délocalisation, la France perd son prestige, sa puissance. 

Greg

C’est une politique qui existe depuis belle lurette. Par exemple, ils ont fermé la teinturerie de Coquelles [teintureries Bellier, fermées en 2009]. C’était pareil. Ils ont continué de faire de la teinture, mais là-bas, dans les pays où ils ont le droit d’utiliser des produits de merde et où ça dérange personne que les gens en crèvent.

Sophie

La cause, c’est l’enrichissement des puissants. 
On a écrit une lettre au président, on a écrit des dizaines de mails. J’ai eu un mail entre les mains du Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal. Il prenait des nouvelles de Prysmian à distance.  Donc ils ont été au courant de cette situation et ils ne sont pas venus.  Ils n’ont pas répondu à leurs responsabilités, ils ne sont pas allés au bout de leur job. 
Alors quand je vois les messages des “puissants” sur les réseaux, comme “Joyeux Noël”, “passez de bonnes fêtes”…  Nous dire ça à nous les familles des 300 000 licenciés de France ?… Comment veux-tu passer de bonnes fêtes ? 
Un licencié, en moyenne, c’est trois personnes prises dans les dommages collatéraux, autour de lui : Épouse, enfants, parents vieillissants…  Faites le calcul : 300 000 multiplié par trois.

“LE SENS DU TRAVAIL EN FRANCE EST À REVOIR” 

Greg 

Quand tu prends mon usine, on dit c’est 80 personnes licenciées, mais en réalité c’etait pas 80 personnes, mais environ 130 ! Tout les mecs qui gravitaient autour des salariés de Prysmian, les sous traitants de chez Kuehne Nagel, Cap Energie, Eiffage.

Sophie

Et Milee dont on ne parle pas beaucoup [Société spécialisée dans la distribution de publicité, a fermé ses portes en septembre dernier]  ça passe à la trappe mais c’est 10 000 personnes que la direction a jeté dehors.

Greg

Après, tu as des gens qui s’étonnent: “c’est bizarre, on a quand même moins de prospectus qu’avant, comment ça se fait ?

Valentin

Tu sais, là-dessus moi je peux bien entendre qu’il y a une évolution. Par exemple, Catensys, t’as plus de moteur thermique, c’est ok, on ne va pas produire des moteurs thermiques pendant 150 ans. A un moment donné, il y a des évolutions technologiques pour répondre à la nécessité de se passer des énergies fossiles.
Le problème c’est que rien n’est proposé aux gens. Juste on les vire.
Si t’as un patron qui est présent à Calais, qui n’est pas à Tataouine les Bains en train de gérer à distance 50 usines en même temps, qu’est-ce qui se passe ? Le mec prendrait acte de l’arrêt de la production et chercherait chaque jour le moyen de produire autre chose avec les salariés dont il est responsable au quotidien. Cette question-là n’est pas posée..

Greg

Nous, on l’a posé cette question là pendant le PSE…

Sophie

Non, mais on les croit bien éduqués ces gens-là, géniaux même. On pense qu’ils ont des valeurs. Tout le monde dans les médias le répète et à force on y croit. Ils ont la bonne instruction, c’est des orateurs, ils savent persuader. Mais au final c’est quoi le moteur de ces mecs ? C’est l’enrichissement. 
S’il y avait à la base une réflexion pour essayer de comprendre comment relocaliser l’industrie ce serait déjà pas mal.  Pourquoi ne pas trouver quelque chose qui n’est pas encore fabriqué ailleurs ? C’est possible. 

Greg

Ça ne les intéresse pas…

Valentin

C’est la reconversion qu’ils n’envisagent pas. Parce qu’ils n’ont aucun intérêt financier à le faire. Pourquoi ? Parce que l’entreprise n’est pas pensée comme un service public ou une société mise au service d’un territoire. 

Greg

On n’écoute plus aujourd’hui les salariés. Ça fait des années que tous les ans on a le droit à un mois ou deux mois dans l’année de chômage partiel. Qui paie le chômage partiel ? c’est quand même l’Etat, toi, ton pognon. 

Mais quand tu donnes ton avis à la DREETS [Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités], quand tu expliques qu’on fait faire du chômage partiel en France alors que les câbles français sont produits à l’étranger, qu’il y a des solutions de relocalisation pour que cela coûte moins cher à l’Etat. C’est à croire qu’elle n’écoute pas, qu’elle s’en fout. 

 » Depuis « Me TOO » La structure de la société n’a pas tellement changé, elle se fait juste davantage de fric sur notre dos « .

Sophie

Quand j’apprends que Catensys est au plus mal, que la direction licencie mais que derrière on embauche des intérimaires… Il faut que ça s’arrête. 
Pourquoi on met dehors une personne qui a 20, 30 ans d’ancienneté à trois, quatre ans de la retraite si c’est pour embaucher derrière un jeune intérimaire pendant 18 mois seulement. Elle est où la cohérence là-dedans ? 
Le sens du travail en France est à revoir. Tout est à revoir. 

La précarité de l’emploi, le gel des salaires, les petites mains dont on parlait tout à l’heure, les auxiliaires de vie…  Et puis la femme ! Je suis obligé de parler de la femme. C’est terrible, mais là, avec l’essor de “Me Too” on est entrain de mettre en avant la femme dans la presse de plein de manière différentes… Mais on ne va pas se mentir, c’est aussi faire choux gras pour certains médias.  C’est du spectacle pour eux, faut pas oublier ça. Ca fait des années qu’il y a des drames de ce genre, des années que la femme est malmenée dans un silence de mort. La structure de la société n’a pas changé, juste elle se fait davantage de fric sur notre dos.

Et ça, je tiens à le dire : pour moi la révélation de l’année, ça a été ces femmes qu’on a pu croiser. Des femmes qui ont des hautes fonctions : Christelle Domain [responsable à l’Union Départementale CGT], Natacha Bouchart [maire de droite Calais], Caroline Matrat [élue départementale PS], Faustine Maliar [conseillère régionale de droite], Cathy Apourceau Poly [sénatrice PCF du Pas-de-Calais] Laure Decazes [attachée parlementaire de Roland Lescure]… Et je pourrais vous en citer d’autres encore…J’ai eu des conversations de femme à femme avec elles, le collectif aussi. Qu’est-ce qu’elles doivent en baver quand même pour évoluer dans un monde d’hommes ! Avec le collectif on dissocie ces femmes de leurs propres politiques ou engagements. Ça ne changera en rien nos votes ou ce en quoi on croit. Mais franchement, toute idéologie mise à part… Qu’est-ce qu’elles doivent encaisser… Tous les jours, elles sont face à des hommes bien misogynes qui les écrasent.

Pourquoi je parle de ça ? Pour dire que nous, on marche à l’émotionnel. Pas toujours, heureusement, mais on marche généralement à l’émotionnel.  C’est difficile de pouvoir accéder à une marche, de pouvoir se faire une petite place, de passer entre les mailles, entre les hommes qui nous font barrage pour pouvoir propulser une voix, pour pouvoir nous faire entendre. Parce que, comme je l’ai dit à Paris, si on crie trop fort, on est des hystériques et si on parle tout bas, on est des dociles. Il n’y a pas de juste milieu avec la femme, c’est un jugement permanent.

« Elle est où notre place à nous les femmes ? Que ce soit dans la vie quotidienne comme dans un PSE on n’en a pas ! « 

Quand je pense à toutes ces femmes croisées, je ne peux pas m’empêcher de voir un lien entre elles et nous toutes.  Mais je pense aussi à Gisèle Pélicot, forcément, mais aussi à toutes ces stars comme Adèle Haenel ou Judith Godrèche qui ont été mises en avant sans la volonté de l’être.  Je pense à toutes ces anonymes en France aussi, ces femmes malmenées de tous les jours, tous les féminicides qu’on voit, toutes ces dames transparentes qui vont bosser à l’hôpital le matin, qui se tapent des quarts, toute cette majorité de femmes qui triment pour une broutille. 
Les AESH par exemple, elles sont 130 000 en France, à travailler pour un salaire de misère, même pas 1000 euros par mois. Elles ont aussi une charge mentale à assurer à la maison, des factures à payer, des enfants à élever. 

Nous les femmes, dès l’enfance notre corps change violemment. Les seins poussent et on a nos règles pendant des dizaines d’années. Sans compter les accouchements avec un seuil énorme de douleur.  On grossit, on maigrit toute notre vie… Les vergetures, les problèmes gynéco. On en prend plein la tronche !On doit rester jeune, belle, propre sous tous les angles. Épilée, parfumée mais pas entêtante. Maquillée mais pas trop sinon t’es moche. On a la ménopause, nos enfants, nos petits enfants à élever, et la charge mentale qu’on traîne toute notre vie. On a les réflexions désobligeantes sur la place de la femme à la cuisine, sur ses fesses, sur sa consommation d’alcool qui semble exagéré, et tout ça avec les “non mais je rigole hin…”. 
On est malmené dans la rue, dans le métro. Je ne veux vraiment pas victimiser la femme et faire du cliché, mais si t’es habillée trop court, t’es une salope, si t’es habillé comme un mec, t’es une lesbienne.  Si t’as une bonne place au bureau, tu couches forcément avec ton boss.  Mais au bureau, tu prépares le café mieux que personne parce que personne ne le fait ! Mais te plains pas mémère, c’est déjà ça ! Faut t’estimer heureuse… Et l’allaitement.. Tu peux même pas nourrir ton bébé sur un banc public sans qu’on dise de toi que tu provoques les hommes. T’es jugée tout le temps. Elle est où notre place à nous les femmes ? Que ce soit dans la vie quotidienne comme dans un PSE on n’en a pas !

Valentin

Tu parles de la capacité des femmes à se faire entendre dans un milieu d’hommes.  Qu’il s’agisse d’un environnement politique ou professionnel.  Dans les milieux politiques et syndicaux locaux, vous avez eu des réactions épidermiques vis-à-vis de l’existence de votre collectif.  Mais je ne pense pas que c’était intrinsèquement lié au fait que vous soyez des femmes – bien que je n’exclue pas du tout qu’il y ait de la misogynie au sein des milieux militants – mais que cela vienne du fait que pour leur logiciel, votre collectif apparaît comme gazeux.

Sophie

En quoi c’est gazeux ?

Valentin

Parce que pour les partis, les syndicats, votre collectif n’est pas institutionnel. Ils ont besoin d’une structure avec une colonne vertébrale où chacun est à sa place. 

Mais en fait, je pense que le centre de votre collectif, de votre féminisme qui s’exprime dans votre action, ne se trouve pas tant dans votre statut de conjointe qui demande réparation à l’employeur de son mari pour les préjudices subi que d’affirmer votre souhait de prendre part concrètement aux négociations en tant que voix des familles, de mettre les mains dans le moteur.

Sophie

Tu sais, j’ai fait moi même la vidange de la voiture pendant vingt ans ! (Rires)

Greg

Il y a 50 ans en arrière, dans un foyer, qui gérait les comptes ? C’était l’homme. La femme elle avait pas accès aux comptes bancaire, ou très peu. Aujourd’hui, je peux dire que dans l’usine, 80 % des mecs ne vont jamais voir le compte bancaire, j’en fais partie. J’ai accès à tout, mais c’est elle qui gère.

 Pierre

Je fais une petite digression. Quand t’as une organisation du travail qui est gérée comme ça par le patronat, que celui-ci estime qu’un travailleur peut faire  43 annuités durant deux matins, deux après midis, deux nuits et quatre repos… Forcément ça imprime un rythme domestique. On peut lutter contre ça mais on peut aussi très logiquement adapter sa vie en fonction de l’épuisement causé par ce rythme. Et comme c’est souvent ces emplois et cycles là qu’on destine aux homme ce sont les femmes qui récupèrent la charge de la gestion des économies du couple. Ce modèle de vie là est à la fois très patriarcal, mais il est aussi très ancré dans une organisation du travail très libérale. Si l’usine happe le corps de l’homme, elle s’accapare aussi une très grande partie de sa disponibilité mentale.

Sophie

Oui et puis c’était pas numérisé, ça se gérait pas sur un smartphone ou l’ordinateur de la maison. Fallait sortir en ville, se rendre à la banque, c’était pas une tâche domestique. Et le patron payait le gars à la semaine, parfois en liquide. Ca a changé pas mal de choses l’air de rien ça.

C’est pas en essayant de tirer la couverture qu’on n’y arrivera. Il faut vraiment un ensemble, Il faut vraiment une cohésion, il faut fédérer, faire corps et ne pas chercher pour soi à tirer son épingle du jeu. 

Pierre

Et pour poursuivre sur le fait que la parole des femmes a du mal à se faire entendre au sein des structures traditionnelles, qu’elles soient associatives, syndicales ou politiques; Il y a quand même quelque chose qui arrive avec les nouvelles générations de manière significative depuis une petite dizaine d’année : c’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité des luttes. C’est un phénomène qui est dans les petites villes assez compliqué à choper. Il s’agit d’accepter le fait, quand on est ancien communiste ou cégétiste, que les luttes des camarades féminines puissent ne pas s’imbriquer dans le moule qu’on leur a assigné. C’est un grand principe d’inclusion ce truc d’accepter l’altérité, de dialoguer avec l’autre pour créer un espace commun.

Sophie

Ça montre encore qu’il y a un manque de complémentarité. C’est à dire que quand tu parles de s’imbriquer dans le moule qu’on leur a assigné, ce n’est pas qu’une affaire d’hommes qui sont comme ci ou comme ça. C’est une affaire de structure mais surtout de désir ou non d’harmonie. Bon, ça c’est mon côté émotionnel qui s’exprime, forcément (rires) Mais il faut que tout le monde soit dans l’harmonie. Si la femme arrive dans un syndicat et dit : ”Moi j’ai des idées. J’ai pas de structure dans mon mouvement, mais j’ai envie d’être à vos côtés et de lutter et de mener un combat.” En face le syndicat doit pouvoir dire : ”Je t’entends, je t’écoute et je te vois. Et puis on verra comment faire pour composer ensemble.”  

C’est pas en essayant de tirer la couverture qu’on n’y arrivera. Il faut vraiment un ensemble, Il faut vraiment une cohésion, il faut fédérer, faire corps et ne pas chercher pour soi à tirer son épingle du jeu. 

Valentin

Pour reprendre un terme employé précédemment : de quelle manière votre collectif peut-il parvenir à peser sur une structure telle que le sénat ou l’Assemblée Nationale qui organise la vie en société pour faire passer ses idées ? 

Sophie

C’est difficile de répondre à ça. On a été confronté, nous, au pire. On a vu le meilleur de l’homme pendant toute cette aventure comme le pire de l’être humain et c’est ce qui fait qu’on on a été cimenté par cette humanité. 

On s’est rapproché, on s’est solidifié. Le ciment a pris, voire même à nos dépens, dans la violence, dans la fracture, et c’est comme ça qu’on arrive à avancer. En mode “collectif”.

Pierre

Pour reprendre un peu la question que posait Valentin à savoir comment obtenir de manière concrète la mise en place d’un congé pour les familles touchées par un Plan Social, je pense que sans savoir forcément comment faire, sans avoir de plan tactique établie, vous êtes peut-être en chemin vers cette réussite. 

Ce que je veux dire, c’est que vous auriez voulu que l’une d’entre vous devienne la personnalité de l’année que vous ne vous y seriez certainement pas aussi bien pris. Vous avez enchaîné les supers rencontres, vous avez un film sur votre histoire, des historiens qui s’intéressent maintenant aux familles des salariés… Je crois que pour toute personne en lutte à l’écoute il y a quelque chose qui se passe. C’est un mouvement de fond qui nous emporte mais qu’on épouse aussi parce qu’on s’y sent à sa place. Ce qui fait que votre collectif perdure malgré que le plan social se termine, c’est parce que ce combat que Prysmian a ouvert en vous devient une raison à la fois de vivre mais aussi une passion pour la  compréhension d’une forme de société qu’on désire faire advenir. J’ai l’impression quand je parle avec les femmes du collectif, que d’un coup, quelque chose est compris unanimement par vous toutes, que c’est cette lecture commune de ce que vous avez vécu qui vous anime. Vous voyez toutes clairement ce que vous ne voulez plus voir exister. 

Avant d’être mis en crise, on ne sait pas ce qu’on veut vraiment. On doit réussir une belle carrière, une belle famille etc. Ou autrement dit, pour aller plus vite : on sait qu’on veut du fric pour se loger et bien bouffer, on sait ça très vite. Mais à un moment donné, quelque chose peut arriver et nous bouleverser politiquement. Un moment qui nous ouvre clairement vers ce pour quoi on veut se battre. 

Tout ça ne répond pas non plus de manière concrète au “comment ?” posé précédemment. Mais au fond, à Calais, avec tous ces combats qui durent depuis des années, je crois qu’on ne cherche pas à s’organiser dans différents collectifs pour leurs capacités à remporter des victoires à plus ou moins courtes échéances, mais pour qu’ils nous permettent d’enrichir et d’approfondir nos vies. On apportera peut-être pas la pierre décisive qui améliorera la société grâce à une loi, mais nos auto-organisations améliorent bien mieux notre vie quotidienne que les institutions qui les canalisent.

Sophie

Je suis convaincue que le collectif a un léger avantage …c’est l’instinct. On fonctionne à l’instinct, à la spontanéité lorsqu’on est touché viscéralement.  Mais toujours avec réflexion. Celle qui torture l’esprit, qui fait des nœuds au cerveau quand tu ne trouves pas le sommeil. 
Alors, c’est vrai, le collectif ne pouvait pas imaginer faire autant d’écho, mouvoir la pensée ou même émouvoir certains qui semblaient jusqu’alors hermétiques. 
On est toutes ensemble, on est puissantes et c’est comme ça qu’on peut peser sur les grosses institutions.
Parce qu’au final, qui connait réellement ce qu’engendre un PSE chez une femme et ses enfants ? Ben nous ! Et seulement nous. Pas le sénateur, pas le député, pas le parlementaire… On sait de quoi on parle, on connaît le sujet par cœur,  du sol au plafond et on peut repeindre les murs avec. 

Je me souviens de la cérémonie des Jeux Olympiques, c’était vraiment beau, rien à dire. C’était encore une fois du fantastique, c’était très joli. Ça arrête le temps un instant et ça laisse place à la rêverie…
Mais ce qui m’a choqué le plus, à un moment, c’est les statues.
Les statues des femmes, dont Simone Veil, Louise Michel et Gisèle Halimi que j’ai particulièrement admiré pour son élégance et sa capacité à absorber les coups.  Ces femmes ont été célébrées lors de cette cérémonie à titre posthume, elles sont toutes mortes.  Même si elles sont figées aujourd’hui, elles sont mortes. 
Mais nous, le collectif, il est vivant. On ne veut pas de statut dans 50 ans. On veut des actions maintenant, et pas seulement des paroles. On se donnera les moyens pour que ce soit la parole soit gravée dans le marbre, et pas nos visages quand on sera mortes. 

Propos recueillis le 27 décembre 2024.

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Camille Claudel, D’une mémoire féministe occultée https://calaislasociale.fr/2024/11/17/camille-claudel-dune-memoire-feministe-occultee/ Sun, 17 Nov 2024 15:27:17 +0000 https://calaislasociale.fr/?p=5075 Le dimanche 24 novembre, le Musée des Beaux-Arts de Calais accueille une enquête théâtralisée qui plonge dans l’histoire de Camille Claudel, sculptrice de génie dont la vie fut marquée par l’injustice et l’effacement. À travers les lettres écrites par l’artiste en 1905, drôles, lucides et bouleversantes, la pièce révèle une Camille Claudel méconnue, plus complexe […]

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Le dimanche 24 novembre, le Musée des Beaux-Arts de Calais accueille une enquête théâtralisée qui plonge dans l’histoire de Camille Claudel, sculptrice de génie dont la vie fut marquée par l’injustice et l’effacement.

À travers les lettres écrites par l’artiste en 1905, drôles, lucides et bouleversantes, la pièce révèle une Camille Claudel méconnue, plus complexe que l’image tragique qui lui est souvent associée. Marina Buyse, le personnage principal de la pièce et co-auteure du spectacle questionne la place des femmes dans l’histoire de l’art et la manière dont notre mémoire collective les traite. Ce récit, porté par de multiples voix, éclaire sous un angle nouveau l’œuvre et la vie d’une femme visionnaire et trop souvent reléguée à l’ombre de ses contemporains.

Camille Claudel, élève et collaboratrice d’Auguste Rodin, a repoussé les limites de la sculpture avec une audace et une sensibilité qui continuent d’inspirer. Pourtant, elle fut internée à 49 ans, abandonnée par sa famille et condamnée à l’oubli, symbole criant des discriminations qui frappent encore les femmes créatrices.

Cette pièce, écrite par Charlotte Bals et Marina Buyse, nous invite à une réflexion féministe essentielle : comment honorer la mémoire des femmes et leur rendre la place qu’elles méritent ?

📍 Auditorium du Musée des Beaux-Arts
🕒 Dimanche 24 novembre, 15h
⏳ Durée : 1h15, dès 11 ans
🎟 Entrée libre, réservation conseillée au 03 21 46 48 40

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Déferlante d’idées contre les extrêmes droites ! https://calaislasociale.fr/2024/10/06/deferlante-didees-contre-les-extremes-droites/ Sun, 06 Oct 2024 09:06:03 +0000 https://calaislasociale.fr/?p=4740 Ce mardi 1er octobre, la Librairie du Channel accueillait Marion Pillas, co-rédactrice en chef de La Déferlante, et Kaoutar Harchi, écrivaine et sociologue, pour une soirée d'échanges autour des résistances féministes face à l'extrême droite et des luttes calaisiennes. Devant un public dense et attentif, les deux invitées ont évoqué l'instrumentalisation du féminisme par les […]

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Ce mardi 1er octobre, la Librairie du Channel accueillait Marion Pillas, co-rédactrice en chef de La Déferlante, et Kaoutar Harchi, écrivaine et sociologue, pour une soirée d'échanges autour des résistances féministes face à l'extrême droite et des luttes calaisiennes. Devant un public dense et attentif, les deux invitées ont évoqué l'instrumentalisation du féminisme par les discours racistes, ainsi que la violence des oppressions à Calais. Retour sur une soirée percutante sur les luttes sociales, féministes et antiracistes.

Mardi 1er octobre, 19h15 : des piles d’exemplaires de la Déferlante et du dernier livre de Kaoutar Harchi trônent sur une table haute près du bar, des verres tintent, les dernier·es arrivant·es déplient des chaises d’appoint et s’installent où c’est encore possible. Le brouhaha des quelque 130 personnes présentes dans le Bistrot du Channel se dissipe rapidement lorsque Clara Liparelli salue le public au micro. 

Elle présente ses deux invitées de la soirée : Marion Pillas, co-rédactrice en chef de la Déferlante, une parution trimestrielle indépendante, sans publicité, qui se définit comme “la revue des révolutions féministes”. Tous les numéros depuis le premier publié en mars 2021 traitent de sujets de société au prisme du féminisme. Sa deuxième invitée est Kaoutar Harchi, écrivaine et sociologue. Elle signe un papier dans le dernier numéro de la Déferlante intitulé “Fémonationalisme : le racisme au nom des femmes”. Elle présente et évoque également son dernier livre, Ainsi l’Animal et Nous, un essai qui traite du spécisme, de l’animalisation, des dominations. 

Extrêmes droites : résister en féministes 

Paru le 30 août 2024 dans une France sans gouvernement, le dernier numéro de la Déferlante est bouclé dans un certain chaos politique, le choix de la thématique ayant été fait bien en amont des aventures législatives du début de l’été. L’origine du sujet de ce numéro remonte à l’année précédente, bien avant la dissolution de l’Assemblée Nationale. 

Si, comme le rapporte Marion Pillas, le meurtre du jeune Nahel Merzouk a été l’un des déclencheurs de ce numéro, à cette époque, les cofondatrices percevaient aussi “la normalisation sans précédent de cette idéologie destructrice [des extrêmes droites], ainsi que la façon dont les féministes, menacées physiquement ou victimes de cyberharcèlement, en ressentaient les effets, sans imaginer cet épisode électoral et les mobilisations qui ont suivi”. Voilà pour le côté extrême droite. Enfin, cela faisait longtemps que la corédactrice en chef, qui venait en voisine de Lille qu’elle habite depuis 5 ans, voulait écrire sur Calais, poussée par un pressentiment, l’idée qu’il se passait quelque chose de particulier dans cette ville.

Les luttes à Calais 

Je n’habite pas ici, je suis à Lille. Quand on n’est pas sur place on déshumanise l’information”. Marion Pillas revient sur la violence de la frontière dont elle a été témoin sur le terrain en mai 2024, en accompagnant notamment les équipes du Refugee Women’s Center : les évacuations des lieux de vie tous les deux jours, la forte présence policière, les récit d’exils, les naufrages, les mort·es, la violence des discours politiques contre les exilé·es et les aidant·es, entre autres. Elle parle d’une “réalité intense” et précise : “Calais n’est pas une ville que l’on quitte, il y a ici une microsociété militante de personnes très politisées qui sont dans une situation de combat quotidien, je n’ai jamais vu cela ailleurs”. A propos des différentes luttes qui ont lieu sur le territoire, sociales, antiracistes, LGBT+, féministes, Marion parle de “labo de convergence des luttes”. Mais on peut aussi se demander : n’est-ce pas plutôt qu’il y a tant de combats à mener ici, et que les calaisien·nes d’adoption, de naissance, ou de passage subissent une convergence des oppressions qu’ils et elles combattent dans une solidarité vitale ?

Fémonationalisme : le racisme au nom des femmes 

Kaoutar Harchi assure la transition : la convergence des luttes est une alliance positive, mais la elle peut aussi donner lieu, parfois, à une récupération, comme pour le fémonationalisme.

L’encart dédié à l’histoire du concept dans la Déferlante, page 73, précise qu’il s’agit de “l’instrumentalisation d’un discours féministe à des fins racistes, islamophobes et xénophobes. Ces discours qui stigmatisent notamment les hommes musulmans sont portés par des nationalistes, des néolibéraux, des islamophobes, et des fémocrates, définies comme les tenantes d’un féminisme institutionnel. Raccourci des mots “nationalisme féministe et fémocratique”, le fémonationalisme s’est notamment incarné en France dans la politique contre le port du voile.” 

Kaoutar Harchi pointe la responsabilité de Marlène Schiappa, qui, en juillet 2020, dans un entretien au JDD, alors ex-secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes et fraîchement nommée ministre déléguée chargée de la citoyenneté, déclare vouloir mener « des opérations de reconquête républicaine » et se félicite d’avoir « obtenu que soit actée l’expulsion des étrangers coupables de violences sexuelles et sexistes« . Cette manière de culturaliser les violences, c’est-à-dire de considérer qu’elles sont présentes au sein de certaines cultures et absentes d’autres est xénophobe. Le faire au nom des droits des femmes est abject et cela va aussi à l’encontre de ce que montrent les chiffres et les études sérieuses sur le sujet. Dans la Tribune Le discours fémonationaliste indigne de Marlène Schiappa, écrit en réaction à cet entretien, les 30 cosignataires écrivent notamment : “Questionnée sur la laïcité, Mme Schiappa répond aussitôt en évoquant les parcours de naturalisation, comme si les étrangers constituaient aujourd’hui la plus grande menace contre la laïcité en France. Comme si les réseaux qui s’organisent aujourd’hui contre le droit à l’avortement, les programmes antisexistes à l’école, le mariage pour tous et la PMA pour toutes, étaient les étrangers et non les identitaires et autres chantres des racines chrétiennes de la France.” Les signataires soulignent également, a contrario, son combat concernant le respect de la présomption d’innocence concernant son patron d’alors : Gérald Darmanin, accusé de viol et d’abus de faiblesse. Deux poids et deux mesures concernant les VSS. 

Alors que les chiffres montrent bien que les violences sexistes et sexuelles touchent tous les milieux et toutes les catégories socio-professionnelles, la sociologue évoque la récupération politique d’extrême droite des féminicides commis par des étrangers. Elle pointe notamment du doigt le traitement médiatique du meurtre de Philippine, commis par un étranger d’origine nord-africaine, et l’intérêt soudain des rédactions de droite et d’extrême droite pour la question de la protection des femmes. La droite refuse de lire ces crimes au prisme du genre, ce qui l’amènerait à remettre en question l’ordre patriarcal. Politiquement, il est bien plus avantageux pour elle de mentionner la nationalité et les origines des coupables, car cela renforce son discours raciste et xénophobe.

Kaoutar Harchi écrit à ce propos : “Dans le contexte actuel de la banalisation des idées d’extrême droite, il semble important de repréciser le sens à la fois théorique et politique d’une action publique d’Etat en faveur des femmes, qui cible certains hommes et en épargne d’autres”. 

L’animalisation des animaux, et des hommes racisés, des pauvres, des femmes, des exploité·es

Clara Liparelli reprend la parole et présente le dernier livre de Kaoutar Harchi : Ainsi l’Animal et Nous, paru aux éditions Actes Sud. L’écrivaine explique que de ses travaux sur les rapports sociaux de race, de genre et de classe, elle est naturellement arrivée à la question de l’animal. 

Elle évoque l’altérisation radicale, un processus qui consiste à distinguer radicalement et à hiérarchiser deux groupes d’individus, ici l’animal et l’être humain. Or, une fois cette distinction établie et intégrée, l’animalisation de l’être humain permet de justifier une domination sur certaines populations animalisées (les femmes, les populations racisées, les esclaves, etc). 

C’est pour Kaoutar Harchi une manière de revenir sur la frontière que nous avons à l’esprit entre animal et humain, qui est selon la sociologue une fausse frontière. La véritable limite se trouve selon elle entre ceux qui sont animalisés et réduits au néant, et ceux qui sont humanisés, qui ont accès à une forme de vie, de sécurité, de plaisir, de vie et de protection. Pour elle, il n’y a pas de racisme, de sexisme, ni d’exploitation de classe possible sans animalisation. 

L’animalisation c’est par exemple dire “ce sont des animaux” ou la comparaison constante à animaux des femmes dans la publicité – déguisées en autruches, nues dans des cages ou encore réduites à leur regard félin. Une fois animalisé, l’humain devient disponible à tous les usages de violence. 

Le revoilà le lien avec Calais. L’ouvrage La Battue de Louis Witter est notamment cité. “Battue”, ce terme de chasse qui sert de titre à cet essai traitant de la situation des personnes exilées sur le Littoral, est bien révélateur de l’animalisation par l’Etat des exilé·es. Ces hommes, ces femmes, ces enfants, qui sont évacués de leur tentes, laissés sans prise en charge sur le port, trempés, au retour des naufrages, quand ils ne meurent pas en mer dans l’indifférence des pouvoirs publics. Elles et eux ne sont pour l’Etat qu’un nombre déshumanisé des victimes à la frontière (450 selon le calcul de Maël Galisson du GISTI – Groupe d’information et de soutien des immigré·es). 

Et le rôle des médias, dans tout ça ?

Enfin, Kaoutar Harchi et Marion Pillas s’accordent pour affirmer que les médias ont un rôle particulièrement important. Si certains soutiennent de façon délibérée la montée des extrêmes droites, d’autres ont au contraire un rôle crucial dans la conscientisation du public. En somme : la pseudo-neutralité de la presse n’existe pas.

En avril 2024 par exemple, plusieurs responsables politiques et médias d’extrême droite diffusaient une information Europe 1 selon laquelle 77% des viols commis à Paris sur la voie publique était le fait d’étrangers, or comme l’explique clairement cette vidéo d’Arte, ces chiffres ne sont absolument pas extrapolables en raison du peu de cas recensés et analysés, par ailleurs, Europe 1 se garde bien de signaler que les viols commis dans la rue sont souvent le fait de sans-abris, parmi lesquels les étrangers et les demandeurs d’asile sont sur-représentés. Ces informations non contextualisées et ces chiffres non exploitables sont pourtant diffusés et largement relayés, participant à la montée de la xénophobie, et des extrêmes droites. 

Marion nous dit qu’à la Déferlante, les autrices choisissent de dire d’où elles parlent : c’est un postulat qui est plus honnête que de faire croire à la neutralité. Quand des médias comme Europe 1 ou CNews présentent des “informations” en allant à rebours des chiffres et des faits, et en stigmatisant au passage une partie de la population, on est bien loin de la neutralité invoquée.

La soirée prend fin après quelques échanges avec le public enthousiaste sur l’espoir et le pouvoir de la mobilisation populaire. Ma voisine me glisse : “c’est quand même fou de lancer toutes ces réflexions dans des anciens abattoirs, tu crois qu’elle sait Kaoutar Harchi ?” Bonne question. 

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La balade solidaire des Calaisiennes à Vélo https://calaislasociale.fr/2024/09/10/la-balade-solidaire-des-calaisiennes-a-velo/ Tue, 10 Sep 2024 12:29:24 +0000 https://calaislasociale.fr/?p=4619 Dimanche 15 septembre à 10 heures devant le théâtre de Calais, rejoignez Les Calaisiennes à vélo pour une balade inédite et accessible à toutes et tous ! Organisée par le collectif « Whitches on Wheels », cette randonnée conviviale de cinquante kilomètres est une invitation à pédaler ensemble dans une ambiance solidaire et bienveillante.Née de […]

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Dimanche 15 septembre à 10 heures devant le théâtre de Calais, rejoignez Les Calaisiennes à vélo pour une balade inédite et accessible à toutes et tous ! Organisée par le collectif « Whitches on Wheels », cette randonnée conviviale de cinquante kilomètres est une invitation à pédaler ensemble dans une ambiance solidaire et bienveillante.
Née de l’envie de faire perdurer l’esprit de la Fancy Woman Bike Ride, cette balade est ouverte à toutes les femmes et minorités de genre avec pour objectif de promouvoir l’autonomie à vélo et de rendre l’espace public plus inclusif.
Venez célébrer le plaisir de rouler ensemble, apprendre à mieux connaître le vélo et partager un moment de liberté. Pour participer, envoyez un mail à witchesonwheels.calais@gmail.com.

Entretien

avec Anne-Lise et Lucie, organisatrices et membres du collectif
réalisé le 8 septembre lors de la Fête du vélo, place d’Armes, à Calais.

CALAIS LA SOCIALE

Qu’est ce que c’est « Les Calaisiennes à vélo » ?

ANNE-LISE

On reprend le flambeau de la Fancy Women bike ride qui était un événement initié par une jeune femme turque. A Calais deux éditions ont eu lieu, organisé par Marlène Hagneré d’OVS. On avait envie de faire perdurer l’idée de ce rassemblement de femme calaisiennes qui se réunissent pour faire du vélo.
On a mis « Calaisiennes à vélo », mais c’est bien sûr ouvert à toutes les minorités de genre. L’idée c’est de se rassembler et de faire cinquante kilomètres ensemble. Une balade assez longue mais sur un parcours très tranquille et plat où il est possible de faire demi-tour ou de prendre le train si besoin. L’idée c’est de proposer une balade la plus accessible possible et de tenter d’apprendre à chacune et chacun de s’autonomiser sur la pratique du vélo.

CALAIS LA SOCIALE

Quelle est la nécessité de lier le vélo à l’émancipation des femmes et des minorités de genre ?

ANNE-LISE

Je dirais que c’est d’abord pour se sentir légitime à pédaler dans l’espace public, pour ne plus avoir peur de pas être assez entraînée ou assez douée. C’es un enjeu d’émancipation, des fois on a peur d’être toute seule, d’être un peu gauche… Le but de la balade est de se retrouver pour se rendre compte qu’on peut le faire et constater dans le cortège qu’une forme de solidarité féminine existe, qu’on peut apprendre ensemble. Apprendre à rouler, apprendre à réparer, apprendre à trouver des itinéraires sympas.
Je précise qu’on n’est pas non sur un événement en totale non-mixité. S’il y a des bambins, des mecs c’est ok !

CALAIS LA SOCIALE

Je vois que sur l’affiche vous décernez un brevet de cinquante kilomètres ?

LUCIE

Oui, il y a des clubs de cyclisme au féminin qui font des petits périples comme ça de cent kilomètres. On s’est dit que cent kilomètres, on n’est pas encore toutes forcément prêtes pour les faire ou les organiser parce qu’il faut prévoir du ravitaillement, réfléchir à un parcours etc… Chacun va à son rythme. Alors cinquante c’est déjà pas mal, quand tu te dis que t’es capable d’en faire autant en une journée tu te dis que tu peux aller taper la journée à Gravelines à vélo tu vois…Nous quand on part entre copines en voyage on fait 50-60 par jour et on peut aller comme ça jusqu’en Hollande.
Il y a l’idée et le goût de parcourir, de voir du paysage et comme le disait Anne-Lise de se sentir capable. On s’est dit qu’un petit brevet c’est sympa et rigolo, il s’agit quand même de se sentir fière de ce qu’on aura fait !

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Femmes et frontières https://calaislasociale.fr/2024/03/12/femmes-et-frontieres/ Tue, 12 Mar 2024 08:14:54 +0000 https://calaislasociale.fr/?p=3935 A l’occasion de la journée internationale de la lutte pour les droits des femmes et des minorités de genre, le Collectif Féministe Calais et le Refugee Women’s Centre ont organisé un rassemblement sur la place d’Armes pour parler de la situation des femmes en exil et des femmes victimes de la guerre à Gaza. Le […]

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A l’occasion de la journée internationale de la lutte pour les droits des femmes et des minorités de genre, le Collectif Féministe Calais et le Refugee Women’s Centre ont organisé un rassemblement sur la place d’Armes pour parler de la situation des femmes en exil et des femmes victimes de la guerre à Gaza.

Le Collectif Féministe de Calais a rejeté toute tentative d’opposer les femmes entre elles. Les prises de parole ont honoré toutes les femmes, celles en exil, celles du collectif de Prysmian-Draka, ou encore les femmes victimes de la guerre.

« La lutte féministe est la lutte contre les violences sociales, morales, physiques et politiques. »

Sandra, membre du Collectif Féministe de Calais

Le collectif a dénoncé toutes les formes de domination et d’exploitation, qui se perpétuent au travers d’un seul et même mécanisme, et qui sont le symptôme d’une société malade.

Une société malade qui réduit drastiquement le budget pour lutter contre les Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) tout en investissant deux milliards d’euros dans le développement de l’intelligence artificielle de l’armée, comme l’a souligné une citoyenne lors de la prise de parole libre :

« Le budget pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) a été réduit de sept millions d’euros. Beaucoup d’associations réclament deux milliards d’euros pour la prévention, l’éducation et la lutte contre ces violences. Nous attendons ces deux milliards. En attendant, le gouvernement prévoit deux milliards pour la création d’une agence visant le développement de l’intelligence artificielle dans l’armée. »

Le corps des femmes

Bien que le droit à l’IVG soit aujourd’hui inscrit dans la Constitution, la lutte pour le droit des femmes à disposer de leur corps est loin d’être acquise. Le gouvernement macroniste a annoncé la nécessité de réarmer le pays par la natalité, à l’exception de Mayotte, où la stérilisation a été proposée aux jeunes femmes mahoraises, pauvres et non-blanches, nous renvoyant aux années 70 et aux milliers d’avortements et de stérilisations forcées sur les femmes réunionnaises.

Le corps des femmes est aussi une arme de guerre. Le viol est devenu un outil systémique d’humiliation et d’intimidation depuis le XXème siècle.

Le droit de vivre

Quatorze femmes sont mortes à la frontière franco-britannique depuis 2007, dont récemment la petite Roula, qui avait seulement sept ans. Voici leurs noms :

  • Louan Beyene, 7 juillet 2007
  • Glara, 25 février 2009
  • Une vietnamienne anonyme, 12 août 2012
  • Sara, 20 octobre 2014
  • Lebiba, 29 juin 2015
  • Ganet, 24 juillet 2015
  • Nawall, 15 octobre 2015
  • Samraurt, 12 juillet 2016
  • Mawda Shawri, 17 mai 2018
  • Aleksandra, septembre 2020
  • Khazal Ahmed Khidir et ses filles Hadya et Hasti, 21 octobre 2021
  • Wudase, 26 septembre 2023
  • Mulu, 22 novembre 2023
  • Roula, 3 mars 2024

70 % des victimes du génocide à Gaza sont des femmes et leurs enfants, représentant, soixante-trois femmes tuées chaque jour.

La résistance des femmes vise à préserver la terre, les corps, et la vie. Lutter pour le droit des femmes, c’est affronter le patriarcat et le racisme coloniale.

Un vide dressing solidaire a également été organisé par la Fabrique Coopérative Calaisienne à La Timbale. Les fonds récoltés ont été donnés à l’association Refugee Women Centre, soutenant les femmes et les familles exilées de Dunkerque et de Calais.

Article et vidéo : Jade Lamalchi
Montage : Pierre Muys

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À Calais, la rentrée sera féministe ! https://calaislasociale.fr/2023/09/05/la-rentree-sera-feministe/ Tue, 05 Sep 2023 07:52:23 +0000 https://calaislasociale.fr/?p=2427 Le collectif féministe calaisien a renommé la veille au soir de la rentrée tous les établissements scolaires du secondaire de la ville. L’occasion de rendre visible l’absence mémorielle des femmes dans l’espace public, et l’occasion aussi de rappeler que cette absence dépend d’une volonté politique. 

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Le collectif féministe calaisien a renommé la veille au soir de la rentrée tous les établissements scolaires du secondaire de la ville. L’occasion de rendre visible l’absence mémorielle des femmes dans l’espace public, et l’occasion aussi de rappeler que cette absence dépend d’une volonté politique. 

“Je rentre en 4ème B à Emma Goldman”

Une balayette trempée dans un seau en ressort pleine de colle, tartine le mur et plonge à nouveau dans la piscine poisseuse. Il est un peu plus de 23h dimanche soir quand les équipes se mettent en route, munies de capuches, d’une liste d’établissements et des collages préparés quelques jours auparavant. Il fait bon, les colleuses sont concentrées et organisées : l’une colle, l’autre dispose les feuilles A4 et la dernière guette. Pas tellement de stress, une pointe d’excitation et une touche de fierté. En une heure, la quinzaine de collages est terminée. 

Les collégien·ne·s et lycéen·ne·s du calaisis ont donc fait leur rentrée lundi aux collèges Les Amazones, Flora Tristan, Isabelle Autissier, Les Wheeleuses ou encore Olympe de Gouges, et aux lycées Penn Sardin, Maryse Bastié, Virginie Despentes ou Artemisia Gentileschi. Elles sont aviatrices, peintresses, musiciennes, femmes de lettres, militantes, pionnières, libres et… absentes habituellement des frontons des écoles. 

En France, environ 16% des établissements publics du secondaire portant un nom de personne sont nommés d’après une femme. Parmi vous, qui habite dans une rue portant un nom de femme ? Qui va acheter son pain place Marie Trintignant ? Qui fait du skate sur l’esplanade Monique Wittig ? Probablement pas beaucoup. Et pour cause : à Calais, 2,7% des rues portent un nom de femme – contre 62,4% pour les hommes. Le reste des voies porte des noms de villes, de pays, de végétaux ou encore d’événements historiques (chiffres : Collectif Féministe Calaisien). 

Marie-Christine Le Serre, présidente de l’ONG féministe Soroptimist, déclarait en 2014 suite à une étude sur le sujet que seules 2% des voies étudiées portaient le nom d’une femme : “Cela revient, en quelque sorte, comme au Panthéon, à entériner poliment l’idée que les femmes accomplissant de grandes choses sont des exceptions”. 

Des femmes oui, mais quelles femmes ? 

Loin de moi l’idée de critiquer Simone Veil ou Marie Curie, mais il est vrai que certains noms qui font consensus reviennent régulièrement dans les noms donnés et servent de prétexte à en rester là”, voilà ce que j’entends lors de cette session de collages. Comme si on érigeait certaines femmes en personnalités publiques acceptables – en lissant parfois leurs parcours – et on en éliminait d’autres qui seraient trop critiques des institutions ou du patriarcat, trop indépendantes, trop politiques, ou trop éloignées du rôle que la société réserve habituellement aux femmes. C’est encore en ce sens que m’ont répondu les membres du collectif féministe lorsque je les interroge sur la nécessité de rebaptiser le collège Jeanne d’Arc, puisqu’elle est une femme : “On pense qu’il est intéressant de mettre en valeur des femmes aux profils différents, aux parcours singuliers, on veut de la diversité, et des militantes aussi qui, accessoirement, ne sont pas des symboles instrumentalisés par les fachos. On a renommé le collège Jeanne d’Arc par une figure qui n’est pas simplement une femme, mais une véritable militante afro féministe : Nina Simone”. 

Au printemps 2023, Valérie Pécresse débaptisait un lycée Angela Davis – militante antiraciste aux USA, autrice, professeure de philosophie – dont les positions ont été qualifiées de “contraires aux lois de la République” par la présidente de région Île-de-France. En ligne de mire, notamment, une tribune de 2021, signée par l’icône américaine des droits civiques dénonçant la “mentalité coloniale qui se manifeste dans les structures de gouvernance de la France”. Oser critiquer un racisme systémique, en France, issu du colonialisme : voilà donc le principal reproche adressé à Angela Davis. 

Pas de débaptisation en vue en revanche pour les nombreux établissements portant les noms de Coubertin qui fût misogyne, fervent partisan de la colonisation et plutôt admiratif de Hitler selon certains historiens. Ni pour Picasso, connu pour ses comportements violents et destructeurs envers les femmes, et pas non plus, pour Gauguin, pédocriminel colonialiste notoire. Délicieux personnages. Aurions-nous donc un problème avec les noms de femmes ? 

Le cas Sophie Berthelot

Nous aurions pu nous targuer d’avoir un lycée qui porte un nom de femme. En réalité, il rend hommage à une dame connue… pour être la femme de son mari. On ne sait pas grand-chose de Madame Berthelot si ce n’est que, le couple qu’elle forme avec son scientifique et homme politique de mari, est si proche qu’il souhaite reposer au même endroit. Or Marcellin est promis à entrer au Panthéon. Fort bien : madame suivra pour lui tenir compagnie. A l’époque, en 1910, peu de militantes féministes soulignent qu’il aurait pu être plus inspirant pour les lycéen·ne·s d’étudier dans un bahut qui porte le nom d’une femme reconnue pour son talent, son intelligence ou sa carrière, plutôt que dans un lycée qui porte le nom d’une dame décrite ainsi lors de son inhummation : “Mme Berthelot avait toutes les qualités rares qui permettent à une femme belle, gracieuse, douce, aimable et cultivée d’être associée aux préoccupations, aux rêves et aux travaux d’un homme de génie”. Merci Aristide, brillant. Nous ne saurons pas grand chose de plus de Sophie, l’histoire consignant bien plus volontiers les parcours et les aventures des hommes, laissant les femmes dans l’ombre. 

Le changement sera lent 

Pour parvenir à plus de représentation de femmes dans l’espace public, plusieurs pistes sont évoquées par les collectifs féministes : accoler aux établissements qui ne portent pas le nom d’une personnalité le nom d’une personnalité féminine – le collège de Guînes pourrait devenir “Collège Patti Smith – Les Quatre Vents” par exemple), débaptiser les établissements qui portent les noms de personnalités problématiques – le collectif pointe notamment du doigt le lycée Coubertin à Calais, et donner systématiquement aux nouvelles voies des noms de femmes jusqu’à arriver à une proportion plus satisfaisante. Toutes ces propositions, et toutes les évolutions en matière d’égalité en général, nécessitent toutefois une réelle volonté politique qui doit être municipale pour les noms des rues, et départementale et régionale pour les établissements scolaires.

Pauline S.

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