Laurent Prum, photographe et auteur engagé, explore avec sensibilité les thématiques de l’exil, de la résistance et des luttes sociales.
À travers ses séries comme « Résister », il documente sur son blog Immemory et son site Printemps sauvages la vie des exilés et des militants, capturant la solidarité et les combats invisibles menés aux marges de la société.
Ses œuvres, mêlant images et textes, réhabilitent. Elles donnent une voix à celles et ceux que l’histoire tend à effacer, elles rendent à chacune et chacun l’honneur de sa lumière intérieure, des joies qui malgré tout jaillissent. De son voyage, Laurent raconte que l’espoir est partout, en chacun de nous, qu’il bat. Comme une pulsion de vie formidablement irréductible. Nous sommes imprenables.
Nous publions ici un texte et quelques photos qu’il nous a envoyé à propos de la Grande Marche de samedi dernier :
« La Grande Marche. Calais. Samedi 10 janvier 2025.
Sait-on quand on le vit, qu’il y a ici, dans ce littoral frontière, quelque chose de rare.
Rare : une situation aussi abrasive, abrasive pour les corps et pour les âmes et pour tous les gens qui s’en mêlent : le sentiment de semer souvent des gouttes d’eau dans un désert aride.
Rare ce qui peut ne pas être : la traversée, le lieu d’hébergement, la chaleur d’un lieu, d’un geste, le lien, le courage, une manifestation prévue de longue date et que la mairie va tenter la veille d’interdire.
Dans une zone de non droit, tout est rare et rude. Tout est fragile, tout est hors norme.
Et on l’oublie, ça.
Ce qui souvent dépasse et l’entendement et parfois les forces vives.
Car on s’habitue à ce qui est, pour bien d’autres gens en France, une réalité d’une rare extrémité.
C’est un peu Versailles ici, mais inversé.
Les dorures sont invisibles car probablement, planquées au dedans.
C’est bien ça qu’il m’a été donné de toucher du regard, ce samedi après midi.
Plus d’une vingtaine d’association qui se réunisse pour marcher, chanter, pleurer ensemble.
De l’or.
Des associations et des exilés, des défunts, des naufragés, des survivants.
De l’or.
Des photos d’enfants morts, des pancartes pour hurler la colère, un cercueil et des témoignages qui disent pêle-mêle : « je n’en peux plus, je suis usé, je ne me sens pas seul, je suis reconnaissant, nous sommes solidaires, nous ne renoncerons pas…»
De l’or, de l’or, de l’or.
De l’or dans les sourires, de l’or dans les empoignades des gens qui se retrouvent pour l’occasion, de l’or dans cet accordéon, de l’or dans les yeux de ces vieux militants, résister à la barbarie, pour eux ça date pas d’hier.
J’ai vu tout ça, l’acier trempé de l’Etat, sa défiance, son racisme médiocre face aux fils d’or sur les cagoules, aux lacets multicolores que l’on ressert, et les voix gelées qui ne vacillent pas.
J’ai vu ça et bien d’autres choses encore : des mains de feu et les yeux des morts qui jamais ne s’éteindront…pour les coeurs en or.