L’ensemble des syndicats ferroviaires : CGT-Cheminots, l’Unsa-Ferroviaire, Sud-Rail et la CFDT-Cheminots appellent à la grève le jeudi 21 novembre pour dénoncer le démantèlement de Fret SNCF et la mise en concurrence du transport de voyageurs.
En effet, la France aurait subventionné illégalement Fret SNCF selon les autorités de la concurrence européennes. En réponse à cette situation, le 28 octobre dernier, le ministre des Transports a choisit d’obéir à la commission européenne et a confirmé la liquidation de Fret SNCF. Une décision qui marque un tournant dans l’histoire du ferroviaire en France.
S’ensuit la création de deux nouvelles entités privées : Hexafret et Technis. Cette scission soulève de nombreuses inquiétudes parmi les salariés et les syndicats, qui y voient une étape supplémentaire dans le processus de privatisation de l’entier secteur ferroviaire, un changement de paradigme économique qui aliénera toujours plus les salariés·es et privilégiera toujours plus la rentabilité financière. Alors que la crise climatique impose de développer le ferroviaire, quoi qu’il en coûte, les politiques nationales et européennes poursuivent leurs appétits financiers.
Un carnage social n’arrivant jamais seul, alors que l’Angleterre décide de nationaliser son réseau ferroviaire, c’est le 15 décembre, qu’une filiale privée remplacera la SNCF à Amiens, annonçant ainsi la privatisation du transport de voyageurs à l’échelle nationale. Pour les cheminots, cela représente une dégradation de leurs conditions de travail et de la qualité du service public.
Un mouvement de grève qui vise également à alerter l’opinion publique sur les dangers de cette déréglementation, qui pourrait mettre en péril tout un secteur stratégique pour le pays.
Le cheminot-bashing véhiculé par certains médias et partis politiques favorable aux intérêts libéraux contribuent à déstabiliser une profession déjà en souffrance et une et à pousser dans ces retranchements une lutte de principe du travail contre le capital. Pour la CGT, la réduction des coûts et l’obsession de la rentabilité financière entraîneront des sacrifices importants pour les salarié·es et les usagers·es. La grève du 21 novembre est donc une étape importante dans une lutte plus large pour défendre un service public ferroviaire de qualité, accessible à tou·te·s et soucieux de l’environnement.
Au-delà du prêt-à-tout privatiser libéral, nous avons échangé avec Jérôme Mignien de la Cgt Cheminots Calais des différents mécanismes de prédations à l’intérieur de la SNCF.
Les cheminots de Calais se rassembleront demain devant la gare à 9h30, tout renfort est bienvenu !
L’ENTRETIEN
JEROME MIGNIEN
On fait une énième grève, comme nous disent les politiques, simplement parce que l’élément déclencheur, c’est le fret, c’est l’annonce du démantèlement du fret au 1ᵉʳ janvier 2025. Donc au final, l’aspect “période de Noël”, ce n’est pas nous qui décidons, c’est la Commission européenne. Cette fois, ce n’est pas la CGT, c’est l’annonce de la privatisation du fret, c’est l’annonce de l’ouverture à la concurrence. Et puis ça vient s’ajouter aussi à tous les petits soucis qu’on a. On a tendance toujours à dire que la SNCF râle. On est en grève… La CGT… Mais c’est pour le bien public, c’est pour le bien commun. Quand on parle du démantèlement du fret, c’est écologique, ça sert à l’aménagement du territoire, ça peut développer le Calaisis. On n’est pas sur des petites guerres qui n’intéressent que notre petite personne. Effectivement, il y a nos négociations salariales, bien sûr, mais c’est la vie d’une entreprise comme toutes les autres.
CALAIS LA SOCIALE
C’est quoi le fret ?
JEROME MIGNIEN
Le fret, c’est le transport de marchandises ferroviaire. Cette casse du fret, elle date depuis quasiment 20 ans, en vérité. Moi les premiers trains fret, les premiers trains ouverts au privé, je les ai connus, j’étais jeune cheminot. Ça datait de 2003, 2004, peut-être un peu plus, mais ça date d’il y a 20 ans. Ça fait des années et des années que la SNCF ou l’État mettent des milliards d’euros dans cette entreprise, dans le fret SNCF, mais pas pour investir, pas pour le développer, mais pour la casser. En fait, ils ont mis des réorganisations pour supprimer du personnel, pour supprimer des gares de fret, pour démanteler cette entreprise plutôt que de la développer.
Le fret ferroviaire, c’est quelque chose qui devrait nous amener de l’aménagement du territoire. C’est un moyen simple et écologique de transporter de la marchandise plutôt que des camions sur les autoroutes. Et plutôt que de faire ça, la SNCF a décidé d’ouvrir au privé avec l’État, bien sûr, main dans la main.
CALAIS LA SOCIALE
Là, ils vont diviser le fret en deux entités différentes : t’as Hexafret, Technis… et du coup, je crois qu’il y a une perte d’emploi…
JEROME MIGNIEN
Ils annoncent 500 emplois, mais ils annoncent aussi des objectifs… alors je ne les ai pas en tête, mais ils annoncent de la productivité… Le truc, c’est de privatiser vraiment l’entreprise. C’est leur but ultime.
Mais l’élément déclencheur de tout ça, c’est aussi 2018. 2018, la loi Pacte ferroviaire qu’on a combattu aussi pendant longtemps. On nous sortait à l’époque, comme aujourd’hui les mêmes vieilles ficelles : “Les cheminots, ils se battent pour leurs salaires…”. À l’époque, on disait “Les cheminots se battent pour leur statut…” En vérité dedans, il y avait déjà la différenciation et l’ouverture de l’entreprise en plusieurs SA. La SA Fret, c’était ça.
Nous, on disait qu’en mettant l’entreprise Fret SNCF en société anonyme, c’était la privatiser et l’ouvrir à la privatisation et au démantèlement. C’est ce qui se passe maintenant, six ans après. Donc là maintenant, c’est un objectif de rentabilité. Faut pas se cacher. Ce qui est embêtant là-dedans, ce qui est rageant, c’est que le premier concurrent de la SNCF… c’est la SNCF. La première filiale qui concurrence la SNCF, c’est une filiale SNCF.
Donc c’est une horreur, c’est juste une gabegie. On joue sur l’écologie, on joue avec l’argent de l’État juste pour se faire du pognon.
CALAIS LA SOCIALE
Dans l’imaginaire commun, on se dit que la concurrence, c’est entre structures privées. Mais la SNCF, c’est public ?
JEROME MIGNIEN
Oui et non… En fait, ça ne l’est plus vraiment. Maintenant, c’est différentes sociétés anonymes, comme je l’ai dit, et c’est un groupe surtout. C’est un groupe qui a créé de multiples filiales dans tous les pays et surtout en France, et qui se concurrencent à la fois en ferroviaire mais aussi en routier. Il fait ça dès qu’il y a un marché à prendre, il va mettre une filiale plutôt que l’entreprise historique. Mais comme on l’a vu ailleurs chez Orange, France Télécom, dans toutes les entreprises publiques qui ont fonctionné à un moment donné, c’est ce qu’on a fait : on a réduit les moyens de l’entreprise mère et on a créé des filiales pour venir la concurrencer.
C’est pas du détournement d’argent public, mais on a détourné les services publics vers une captation au privé. Et c’est maintenant le privé qui gère tout ça avec toutes les aberrations qu’on peut connaître : sous-traitance, perte de conditions de travail, détérioration de la qualité, parfois le prix qui augmente aussi, ou alors quand il baisse, c’est aussi une détérioration de la qualité parce qu’un prix bas, c’est pas forcément une garantie d’avoir une qualité de service non plus énorme. Tout va avec, on le voit bien.
CALAIS LA SOCIALE
Quand tu parles des filiales en France, c’est en train d’arriver chez SNCF voyageurs et on parle aussi de plus en plus de polyvalence des métiers.
JEROME MIGNIEN
C’est le serpent de mer de la SNCF. On a le fameux poste de Relation Client Voyageur. C’est un rêve de la SNCF depuis des années, c’est-à-dire de prendre les agents du guichet, de l’escale et les contrôleurs et en faire un seul métier.
C’est-à-dire que l’agent pourrait vendre des billets, renseigner les usagers sur le quai et ensuite prendre le train et contrôler à l’intérieur. Nous, on estime que c’est trois métiers bien différents, bien distincts et avec leurs spécificités bien différentes. Mais c’est le même thème, ça revient toujours : on enlève les moyens, on dit que ça ne fonctionne pas et comme ça ne fonctionne pas, on va faire autre chose et on va encore supprimer du personnel. C’est toujours le triptyque. On enlève les moyens, ça se détériore et comme ça se détériore avec l’usager mécontent, on va réorganiser derrière. C’est toujours le même schéma, son cursus jusqu’à l’atelier. C’est pas possible.
CALAIS LA SOCIALE
C’est un service public mais en fait c’est comme si qu’il n’y a pas de commission des usagers, des utilisateurs, comme pour l’Education
nationale, la Santé. Tout se dégrade, Et il n’y a personne pour mettre un garde-fou là-dedans, pour dire : ”ça, c’est pas possible, on ne donne pas de nos impôts pour ça.”
JEROME MIGNIEN
Les garde-fous existent, mais ils ne fonctionnent pas.
Les garde-fous, ça pourrait être le Conseil Régional qui lui donne l’argent. Il donne des millions d’euros tous les ans par des conventions et il est quand même le garant de l’État parce que c’est lui, dans le millefeuille administratif, qui donne l’argent, c’est lui qui est délégataire, qui est autorité, autorité organisatrice. Le conseil régional doit normalement dire : moi j’ai payé, je veux savoir ce qui se passe avec mon argent et je veux que ça serve pour un véritable service public.
Sauf que le conseil régional est de droite. Peu importe les étiquettes politiques, moi je m’en fous, mais dans leur idée, dans leur idéologie, le service public doit disparaître et ça doit être au profit du privé.
Donc pour eux, il est logique que ces entreprises comme la SNCF partent, soient captées par du profit par les entreprises privées.
Le service public pour eux n’existe plus en soi comme on l’a connu.
Donc ils donnent de l’argent et débrouillez-vous. “Si vous faites des bénéfices records, c’est très bien. Moi je demande juste que le train arrive à cette date-ci, à cette heure-ci, surtout sur tel lieu, point barre”.
Donc il ne regarde rien. Voir même parfois il est complice.
Sur le dossier des guichets, je pense qu’ils ont travaillé main dans la main pour supprimer des postes parce que chacun se renvoie la balle et on a beau les concerter, des deux côtés on a bizarrement les mêmes réponses et les mêmes façons de répondre donc on n’est pas bête.
On a de l’idéologie en face de nous, on a aussi des politiques d’opposition qui font leur taf, qui râlent, mais qui ne sont pas en majorité et qui ne sont pas en position de pouvoir prétendre à quoi que ce soit. C’est dommage.
La Région Hauts-de-France, c’est une des dernières régions avec un contrôleur sur chaque train.
CALAIS LA SOCIALE
Qu’en est-il avec l’arrivée de la concurrence du coup ?
JEROME MIGNIEN
C’est vrai dans la région. Ça l’est moins du côté d’Amiens parce que sur Amiens, dans la région d’Amiens, il y avait beaucoup de trains à agent seul.
Et pour l’instant, ils n’ont pas l’air de vouloir y revenir.
Après, il ne faut pas se leurrer, je pense qu’à vouloir faire de l’argent, des économies, on arrive à l’agent seul dans le train, j’en discutais d’ailleurs avec certains collègues…
Quand on nous dit que l’agent malade dans l’urgence on ne peut pas le remplacer, que tu devrais, toi, conducteur pouvoir quand même partir, plutôt que de laisser des usagers sur le quai, prends le train puis vas-y… Sauf qu’une fois que tu l’as fait, tu l’as fait une fois, tu l’as fait deux fois, tu l’as fait trois fois… Puis, après l’exemple même du contrôleur qui est malade, en fait, si t’as mal géré son organisation, sa commande.
Si t’as pas un effectif qui va bien, si t’as pas un agent en réserve sur le côté, eh bien effectivement, à chaque fois qu’il y aura un agent malade, tu partiras seul. Ça sera organisé.
Les collègues le comprennent, mais j’ai peur qu’avec les jeunes embauchés, ça passe moins bien parce qu’ils n’ont pas encore cette culture-là.
Ils sont jeunes dans l’entreprise, ils n’ont pas ce rapport encore avec la direction, ils ne connaissent pas. C’est pas de leur faute. Ils débutent, ils ont envie de bien faire, ils se disent : “Plutôt que de laisser 100 ou 150 personnes sur le quai, je vais prendre le train, je vais y aller tout seul« . Mais c’est très dangereux en fait. Il y a une histoire de sécurité aussi derrière.
Un agent de conduite, il ne fait pas juste conduire. Il est responsable quand même de centaines de personnes. Et le contrôleur aussi d’ailleurs.
CALAIS LA SOCIALE
Liquider un service public parce qu’il est déficitaire, c’est pas du tout obligatoire ?
JEROME MIGNIEN
Ah non, non, on peut faire autrement. Et puis quand bien même.
On prend l’exemple des transports routiers. Les entreprises de transport routier, il y en a plusieurs : XPO etc…
Je ne vais pas tous les nommer. Est-ce qu’on leur demande dans leurs bénéfices de prendre une part de 50 %, 75 % pour financer les autoroutes ?
A aucun moment on leur demande de prendre sur leur budget propre.
A la SNCF, on leur demande de prendre sur leurs bénéfices et de réinvestir sur le réseau.
Pour un transport qui est soi-disant écologique, qui va faire de l’aménagement de territoire, qui pour nous est du service public, là pour le coup la concurrence est déloyale.
Le camion, lui, à part ses impôts, il ne paye rien.
Le ferroviaire on paye un impôt sur la société due à la SNCF.
Par contre, on paye aussi nous pour notre réseau, on finance notre réseau nous-mêmes.
C’est quand même disproportionné.
Et encore une fois, ça n’arrive qu’en France parce que dans les autres pays européens, je ne pense pas qu’on ait les mêmes conditions drastiques.
En Allemagne, je pense que c’est encore les Lander qui décident et l’Union européenne peut dire ce qu’elle veut, c’est quand même l’Allemagne qui décide à la fin.
CALAIS LA SOCIALE
C’est une histoire de souveraineté ?
JEROME MIGNIEN
Exactement. Et puis surtout, encore une fois, c’est du service public.
C’est le sens de l’histoire d’aller vers d’avantage de ferroviaire.
Après, il faut du camion, bien sûr, c’est normal, il faut aussi de l’avion quand on passe les océans. Tout ça, il n’y a pas de soucis. Encore que, des fois il y a le tunnel. Mais ça reste du ferroviaire. Mais bon, ça reste dans le sens de l’Histoire, écologiquement parlant.
Je ne suis pas anti-privé. Les boîtes privées, il y en a qui tournent bien, il y en a qui sont respectueuses, il n’y a pas de souci. Mais sur du transport de voyageurs ou de marchandises… L’exemple de l’Angleterre, ça a été : “Faire de l’argent”. Le but d’une boîte privée, c’est faire de l’argent. Faire de l’argent sur du transport ferroviaire, quand on transporte des voyageurs ou de la marchandise, ça ne marche pas. On ne fait pas beaucoup d’argent. Et qu’est-ce qu’on fait par contre ? On baisse la qualité, on baisse la sécurité, on baisse les conditions de travail, et souvent on en arrive à des drames.
En Angleterre, il y a eu beaucoup de drames et maintenant ils reviennent, il renationalise. La qualité de service est détériorée. Le prix du billet est impossible. Pour prendre le train en Angleterre, faut avoir du fric. Et les drames qu’il y a eu, les déraillements, les accidents, il y en a eu des dizaines quand même, et mortels généralement. Ils reviennent en arrière. Mais encore une fois, qu’est-ce qu’ils vont faire derrière ? Parce que ça reste quand même des libéraux qui sont à la tête du pays, c’est qu’ils vont renationaliser, ils vont remettre de l’argent public pour remettre en service tout ce réseau, puis ils reprivatiseront derrière pour que les entreprises privées puissent refaire de l’argent avec. Et c’est un cercle toujours comme ça. C’est l’histoire des autoroutes, en France ça a été ça. C’était national, on a tout bien mis à zéro, les autoroutes étaient toutes propres, toutes belles… On a vendu au privé qui fait maintenant fortune avec ça. Et puis quand ça n’ira plus, on reprendra la main, on remettra en route et puis on reprivatisera. C’est idéologique. Leur idéologie, c’est que le service public n’existe plus, qu’il doit passer dans les mains du privé. Et le privé… Il ne fait pas d’aménagement du territoire. Le privé, il va là où c’est rentable.
CALAIS LA SOCIALE
Si on parle de l’aspect environnemental, de la pertinence du fret ferroviaire. Dans votre lutte, le 21 novembre, avez-vous des associations, des partis politiques qui vous emboîtent le pas dans cette lutte-là ?
JEROME MIGNIEN
Chose nouvelle, c’est la FNAUT, la Fédération Nationale des Usagers du Train, qui d’habitude est plutôt contre nous, il faut le dire, même si on n’est pas des opposants historiques, mais souvent elle s’oppose à nos revendications. Là, elle est d’accord avec nous. L’histoire du moratoire, l’histoire de se poser la question du devenir du train. Qu’est-ce qu’on doit y mettre et comment on doit l’utiliser ? Pour le coup, elle est plutôt d’accord. L’histoire du moratoire sur le fret, elle est d’accord avec nous. Puis après les partis politiques historiques qui défendent l’écologie : les partis de gauche, généralement souvent. Et tous ceux qui sont à droite, voire à l’extrême droite… À part des beaux discours chez certains, généralement, on n’est pas aidé quoi, au contraire !
CALAIS LA SOCIALE
Dans le Nord-Pas-de-Calais, il va y avoir un appel d’offres de mise en concurrence pour 2028. Donc on a l’exemple d’Amiens qui va devenir une filiale SNCF. On a l’exemple de la région PACA aussi qui passe par contre chez Transdev et on nous a parlé de “sac à dos social”… Je sais pas si tu peux dire un mot là-dessus ?
JEROME MIGNIEN
Vite fait parce que le sac à dos social, en fait, c’est même pas un sac banane, y’a pas grand-chose dessus. C’est un transfert obligatoire des salariés où certaines organisations syndicales et la direction promettent un sac à dos social, une garantie sociale en étant transféré dans ces entreprises-là. Moi, pour l’instant, le sac à dos, je ne l’ai pas encore vu. Je ne sais pas ce qu’il y a dedans. Je ne sais pas s’il y aura à manger et à boire… Et moi, j’ai quand même peur qu’il n’y ait pas grand-chose dedans. Il y a un salaire de référence qui devra être négocié avant. Pour l’instant, à Amiens, on ne sait même pas s’il est finalisé. On sait qu’il était en discussion, mais on ne sait même pas s’il a été finalisé et à la fin, au bout des quinze mois dans cette entreprise, il y a des négociations. Donc les négociations en entreprises seront primordiales par rapport au fameux sac à dos social. Donc on ne sait même pas en vérité à quelle sauce on va être mangé. Donc ça peut rassurer à priori les salariés qui seront transférés obligatoirement. Mais à terme, on ne sait pas du tout. Le statut, on l’a tellement appauvri qu’il est quand même réduit au strict minimum. On est en train de perdre notre caisse de prévoyance qui est en train de partir à petit feu parce qu’on n’y met plus les ressources. Donc au final, on n’a plus grand-chose dedans, même si on a encore quelque chose de conséquent. Mais par rapport à ce qu’il y avait il y a quelques années, c’est quand même plus grand-chose. Notre garantie de l’emploi. En fait, si t’es transféré obligatoirement et que tu refuses, t’es licencié. Si tu n’es pas dans les 50% de transferts obligatoires, si t’as moins de 50%, on peut t’obliger quand même à partir si tu refuses une fois. On te propose une offre. Si tu refuses l’offre, tu es quand même licencié.
Donc à la fin, ton statut, ta garantie d’emploi se dispersent, il n’y a plus rien à la fin. Donc le sac à dos social, franchement, même le sac banane, je pense que c’est encore un peu gros. On va dans l’inconnu quand même, c’est vraiment l’inconnu. Et c’est comme ça que les salariés le voient, c’est une grande inconnue.
CALAIS LA SOCIALE
D’ailleurs, c’est comme ça que c’est ressenti aussi au niveau des embauches. La SNCF a beaucoup de mal à embaucher…
JEROME MIGNIEN
Oui, alors il y a de l’embauche… L’entreprise a du mal à embaucher… et en plus, dans les embauches, il y a aussi beaucoup de départs. Il y a des gens qui ne restent pas dans l’entreprise parce qu’on leur vend le jour de l’embauche ce qui n’est pas forcément ce qui est réellement acté. Il y a parfois un delta. On leur promet monts et merveilles, un “sac à dos social”, une garantie, un déroulement de carrière, une augmentation de salaire. Et puis à la fin, au bout des six premiers mois, on s’aperçoit que ce n’est pas forcément le cas. Et que ça va être très compliqué. Donc il y a des gens qui ne restent pas, qui partent ailleurs.
CALAIS LA SOCIALE
Il y a beaucoup de trains par moments qui sont supprimés, cause matériel, et on parle du flux tendu…
JEROME MIGNIEN
Sur le matériel, c’est un peu à l’image de tout ce qui se passe ailleurs. Il y a quelques années, on avait encore des rames qu’on appelait “rames réserves”, c’est-à-dire qu’on avait encore un stock de rames. Si on avait une panne, nous, dans les ateliers de maintenance (j’en fais partie, je suis à la maintenance), on avait des rames qui pouvaient permettre, en cas d’urgence, de prendre le relais.
Avec l’histoire d’économie, de productivité, ces rames réserves ont quasiment disparu. Je dis quasiment parce qu’il en reste encore quelques unes, mais pas assez au vu du nombre. C’est-à-dire que quand on a un problème sur un train, parce que c’est de la maintenance, parfois on est amené à faire de la maintenance préventive, donc on sait où on va, et de la maintenance curative où on part sur du dépannage. Et puis on trouve une panne, deux pannes et ce sont des pannes qui parfois mettent plusieurs heures à être réparées.
Donc avec le manque de pièces parfois, le manque d’effectif, ou le manque d’infrastructures, ça arrive, c’est la vie d’un atelier, comme sur une voiture. Le train ne peut pas partir à l’heure qui était escomptée. On n’a plus forcément le nombre de rames disponibles pour les faire sortir. Ou alors elles partent en retard. Et après, si c’est une heure de retard, le train est supprimé. Ça ne sert plus forcément à grand-chose.
Mais ça, on l’a déjà dénoncé maintes et maintes fois déjà quand ils ont enlevé ce type de rames réserves. On l’a dénoncé. Mais c’est une histoire d’économie. Les rames qui dorment en atelier, c’est de l’argent qui dort, donc on ne peut pas. Il faut que ça roule. Leur histoire de métro régional, c’est ça. Il faut que ça roule tout le temps. Mais le métro, c’est pas un train, un train, c’est autre chose, ça roule et c’est compliqué à faire rouler.
Donc c’est tout un maillage, « c’est de la dentelle« , comme dirait notre directeur. Mais de la dentelle, ça ne se fait pas comme ça. Ce n’est pas si facile. Voilà, c’est juste ça. Mais c’est toujours une histoire d’argent. À la fin, c’est toujours une histoire d’argent. On se bat pour des effectifs en atelier, ce qu’on a en face, c’est un budget. C’est pas une organisation. Ce n’est pas un nombre de trains. Ce n’est pas un nombre d’opérations de maintenance. C’est un budget. C’est toujours une histoire d’économie.
CALAIS LA SOCIALE
Pour revenir sur les raison de la grève. Il y avait le Fret SNCF, la filialisation du TER et intercités… et il y avait une troisième qui consistait en une mise en place d’une vraie politique d’entretien du réseau.
JEROME MIGNIEN
En fait, c’est ce que j’expliquais tout à l’heure. L’Etat se désengage de tout. Et à la SNCF, par exemple, elle se désengage du réseau. Elle ne met plus l’argent, ou quand elle le met, en fait, c’est sur les deniers propres de l’entreprise. Et quand l’entreprise décide de mettre l’argent ailleurs, c’est-à-dire d’investir dans des boîtes privées, dans des filiales ou alors de récompenser ses actionnaires, notamment l’État, et ben, ce n’est plus ce qu’elle mettait dans le réseau. Et le réseau… c’est du train. Encore une fois, c’est toujours un peu compliqué, ça se dégrade assez rapidement quand même. C’est du contact acier acier, le réseau de train… et ça coûte des millions d’euros. Un réseau, ça s’entretient…
L’État se désengage tellement que, par exemple, on voit arriver des entreprises de bâtiments travaux publics plutôt que des cheminots qui viennent travailler là-dessus. C’est moins cher. Et il y a des niveaux de sous-traitance qui sont… Il y a quelques années, sur un sujet bien précis, on avait noté neuf niveaux de sous-traitance… c’est-à-dire que l’entreprise avait programmé une sous-traitance qui avait sous-traité, qui avait sous-traité… On avait neuf niveaux ! À la fin, je vous dis pas, le dumping social avait fait que c’étaient des gens venus de l’étranger qui étaient ici, sans papiers, enfin sans papiers je dis une bêtise, mais qui étaient payés à coups de fronde pour faire le travail parce que ça coûtait pas cher.
Encore une fois, c’est tout pour l’argent. Et le réseau, si on l’entretient pas, si on s’en désengage, c’est comme pour la maintenance des trains, on court droit à la catastrophe. On n’y est pas encore, mais on va y arriver.
L’image de l’Angleterre, il faut la prendre comme un exemple concret de ce qui risque d’arriver en France si on ne fait pas les efforts. Pour l’instant on y va tout droit. J’espère qu’on n’y arrivera pas jusqu’au bout parce que ça voudra dire qu’on aura des morts un jour ou l’autre.
On est cheminots, on tient à notre entreprise, on est sur un autre salaire, on tient notre statut. On tient aussi à l’aménagement du territoire, au service public. C’est ce qui nous importe le plus. Quand on défend les guichets, c’est ça. Quand on défend le fret SNCF, c’est ça. Quand on est contre l’ouverture à la concurrence du TER, c’est ça aussi. Il faut juste que les gens comprennent, et je pense que la majorité le comprend. On a aussi des politiques qui font fi de… et qui nous expliquent tout l’inverse à la télé et qui votent aussi tout l’inverse à l’Assemblée nationale. Ça, c’est de leur fait et ils devront s’en expliquer un jour ou l’autre. Mais pour le coup, nous, on est très clairs, droits dans nos bottes, et on sait ce qu’on dit, on sait ce qu’on fait.