La scène se déroule devant l’usine Prysmian-Draka de Calais. En silence, une trentaine de femmes enduisent des panneaux de colle et y placardent plusieurs dizaines d’affiches d’un papier jaune fluo. Sur les affiches, ce sont des visages – les leurs – tournés vers l’usine. On y lit trois mots : « On existe aussi ! ».
Elles s’appellent Ludivine, Frédérique, Sylvie, Anne, Laetitia… Elles sont aide à domicile, agent technique en crèche, agent administratif, coiffeuse à domicile, employée de comptabilité… Ce ne sont pas elles qui travaillent à l’usine, mais leurs conjoints. En novembre, le groupe Prysmian leur annonce la fermeture du site et le licenciement de tous les salariés, en très grande majorité des hommes. Une annonce surprise et brutale à laquelle n’ont pas été préparées les familles. Spontanément, les femmes des salariés discutent, se rencontrent et décident de monter un collectif, d’abord conçu comme un espace de parole.
Une fermeture malgré des bénéfices
Samedi, le collectif s’est fait plus offensif, le ton est monté à l’égard du groupe Prysmian. « Nos conjoints, nos maris ont rempli les poches de Prysmian à hauteur de 5,4 millions d’euros » a dénoncé Sophie Agneray, porte-parole du collectif. 5,4 millions d’euros, c’est le chiffre d’affaires de l’usine calaisienne en 2023, en hausse de 400% par rapport à l’année précédente (900 000 euros en 2022). Des résultats qui n’y changeront rien, le groupe Prysmian fermera quand même le site de Calais dans un mois. La raison ? Une baisse attendue des bénéfices en 2024/2025.
Le combat est clairement déséquilibré. Face à elles, les femmes du collectif ont une multinationale qui emploie 30 000 personnes dans 108 usines et 50 pays. Le tout pour un chiffre d’affaires de 16 milliards d’euros (2022). « La servitude est terminée ! » attaque Sophie Agneray. « Nous continuerons de dénoncer les profits, les malveillances, les combines et la politique abusive et totalitaire de Prysmian » continue-t-elle.
Où est l’État ?
Pour l’instant, les salariés et leurs familles ne peuvent pas non plus compter sur le soutien de l’État. En décembre, le collectif adressait une lettre au Président de la République, Emmanuel Macron. Une lettre laissée sans réponse, si ce n’est un accusé de réception. De leur côté, les ministres de l’Industrie et de l’Économie sont aux abonnés absents, trop occupés du côté de Dunkerque.
Que diraient-ils, ces ministres, des aides publiques accordées par l’État au groupe Prysmian ? En 2023, pendant que le groupe italien préparait secrètement la fermeture du site calaisien, l’État lui accordait une aide exceptionnelle de 6 millions d’euros pour développer l’activité du site de Gron (Yonne). Quelques mois plus tard, le groupe annonçait froidement le licenciement des 82 salariés de Calais.
« De l’emploi pour nos époux ! »
« On est totalement impuissants, on se sent pris au piège de choses qu’on ne maîtrise pas » exaspère Sylvie, membre du collectif. « Pour la direction, c’est un licenciement. Mais il n’y a aucune considération pour tout ce qu’il y a derrière » complète Frédérique. « Tous les projets 2024 sont tombés à l’eau » explique Laetitia. Frédérique reprend : « Quand tu veux te construire, quand tu veux te projeter dans la vie, acheter une maison, te marier… Qu’est-ce qu’il faut ? Il faut un travail ! », résume-t-elle. C’est la revendication première du collectif : « Trouver de l’emploi pour nos époux », demande Sophie Agneray.
Il reste que l’industrie calaisienne se porte mal. En une année, au moins 459 licenciements ont été annoncés dans l’industrie à Calais. « Notre mari ne pourra peut-être pas repartir dans l’industrie, il va devoir retrouver une branche différente avec des collègues différents » s’inquiète Laetitia.
Une grande manifestation le 10 février
Pour dénoncer cette désindustrialisation de Calais, une manifestation est organisée le samedi 10 février à Calais (14 heures, place d’Armes). Elle devrait rassembler tous les licenciés de l’année écoulée (Synthexim, Meccano, Prysmian-Draka, Desseilles et Catensys) et bien sûr le collectif des femmes de Prysmian-Draka. « Nous ne resterons pas dans l’ombre, et surtout pas dans la cuisine à attendre » prévient Sophie Agneray, entourée d’une trentaine de femmes bien décidées à réclamer le projet d’un avenir industriel pour Calais.
Images : Pierre Muys et Valentin De Poorter
Montage et texte : Valentin De Poorter