Le collectif féministe calaisien a renommé la veille au soir de la rentrée tous les établissements scolaires du secondaire de la ville. L’occasion de rendre visible l’absence mémorielle des femmes dans l’espace public, et l’occasion aussi de rappeler que cette absence dépend d’une volonté politique.
“Je rentre en 4ème B à Emma Goldman”
Une balayette trempée dans un seau en ressort pleine de colle, tartine le mur et plonge à nouveau dans la piscine poisseuse. Il est un peu plus de 23h dimanche soir quand les équipes se mettent en route, munies de capuches, d’une liste d’établissements et des collages préparés quelques jours auparavant. Il fait bon, les colleuses sont concentrées et organisées : l’une colle, l’autre dispose les feuilles A4 et la dernière guette. Pas tellement de stress, une pointe d’excitation et une touche de fierté. En une heure, la quinzaine de collages est terminée.
Les collégien·ne·s et lycéen·ne·s du calaisis ont donc fait leur rentrée lundi aux collèges Les Amazones, Flora Tristan, Isabelle Autissier, Les Wheeleuses ou encore Olympe de Gouges, et aux lycées Penn Sardin, Maryse Bastié, Virginie Despentes ou Artemisia Gentileschi. Elles sont aviatrices, peintresses, musiciennes, femmes de lettres, militantes, pionnières, libres et… absentes habituellement des frontons des écoles.
En France, environ 16% des établissements publics du secondaire portant un nom de personne sont nommés d’après une femme. Parmi vous, qui habite dans une rue portant un nom de femme ? Qui va acheter son pain place Marie Trintignant ? Qui fait du skate sur l’esplanade Monique Wittig ? Probablement pas beaucoup. Et pour cause : à Calais, 2,7% des rues portent un nom de femme – contre 62,4% pour les hommes. Le reste des voies porte des noms de villes, de pays, de végétaux ou encore d’événements historiques (chiffres : Collectif Féministe Calaisien).
Marie-Christine Le Serre, présidente de l’ONG féministe Soroptimist, déclarait en 2014 suite à une étude sur le sujet que seules 2% des voies étudiées portaient le nom d’une femme : “Cela revient, en quelque sorte, comme au Panthéon, à entériner poliment l’idée que les femmes accomplissant de grandes choses sont des exceptions”.
Des femmes oui, mais quelles femmes ?
“Loin de moi l’idée de critiquer Simone Veil ou Marie Curie, mais il est vrai que certains noms qui font consensus reviennent régulièrement dans les noms donnés et servent de prétexte à en rester là”, voilà ce que j’entends lors de cette session de collages. Comme si on érigeait certaines femmes en personnalités publiques acceptables – en lissant parfois leurs parcours – et on en éliminait d’autres qui seraient trop critiques des institutions ou du patriarcat, trop indépendantes, trop politiques, ou trop éloignées du rôle que la société réserve habituellement aux femmes. C’est encore en ce sens que m’ont répondu les membres du collectif féministe lorsque je les interroge sur la nécessité de rebaptiser le collège Jeanne d’Arc, puisqu’elle est une femme : “On pense qu’il est intéressant de mettre en valeur des femmes aux profils différents, aux parcours singuliers, on veut de la diversité, et des militantes aussi qui, accessoirement, ne sont pas des symboles instrumentalisés par les fachos. On a renommé le collège Jeanne d’Arc par une figure qui n’est pas simplement une femme, mais une véritable militante afro féministe : Nina Simone”.
Au printemps 2023, Valérie Pécresse débaptisait un lycée Angela Davis – militante antiraciste aux USA, autrice, professeure de philosophie – dont les positions ont été qualifiées de “contraires aux lois de la République” par la présidente de région Île-de-France. En ligne de mire, notamment, une tribune de 2021, signée par l’icône américaine des droits civiques dénonçant la “mentalité coloniale qui se manifeste dans les structures de gouvernance de la France”. Oser critiquer un racisme systémique, en France, issu du colonialisme : voilà donc le principal reproche adressé à Angela Davis.
Pas de débaptisation en vue en revanche pour les nombreux établissements portant les noms de Coubertin qui fût misogyne, fervent partisan de la colonisation et plutôt admiratif de Hitler selon certains historiens. Ni pour Picasso, connu pour ses comportements violents et destructeurs envers les femmes, et pas non plus, pour Gauguin, pédocriminel colonialiste notoire. Délicieux personnages. Aurions-nous donc un problème avec les noms de femmes ?
Le cas Sophie Berthelot
Nous aurions pu nous targuer d’avoir un lycée qui porte un nom de femme. En réalité, il rend hommage à une dame connue… pour être la femme de son mari. On ne sait pas grand-chose de Madame Berthelot si ce n’est que, le couple qu’elle forme avec son scientifique et homme politique de mari, est si proche qu’il souhaite reposer au même endroit. Or Marcellin est promis à entrer au Panthéon. Fort bien : madame suivra pour lui tenir compagnie. A l’époque, en 1910, peu de militantes féministes soulignent qu’il aurait pu être plus inspirant pour les lycéen·ne·s d’étudier dans un bahut qui porte le nom d’une femme reconnue pour son talent, son intelligence ou sa carrière, plutôt que dans un lycée qui porte le nom d’une dame décrite ainsi lors de son inhummation : “Mme Berthelot avait toutes les qualités rares qui permettent à une femme belle, gracieuse, douce, aimable et cultivée d’être associée aux préoccupations, aux rêves et aux travaux d’un homme de génie”. Merci Aristide, brillant. Nous ne saurons pas grand chose de plus de Sophie, l’histoire consignant bien plus volontiers les parcours et les aventures des hommes, laissant les femmes dans l’ombre.
Le changement sera lent
Pour parvenir à plus de représentation de femmes dans l’espace public, plusieurs pistes sont évoquées par les collectifs féministes : accoler aux établissements qui ne portent pas le nom d’une personnalité le nom d’une personnalité féminine – le collège de Guînes pourrait devenir “Collège Patti Smith – Les Quatre Vents” par exemple), débaptiser les établissements qui portent les noms de personnalités problématiques – le collectif pointe notamment du doigt le lycée Coubertin à Calais, et donner systématiquement aux nouvelles voies des noms de femmes jusqu’à arriver à une proportion plus satisfaisante. Toutes ces propositions, et toutes les évolutions en matière d’égalité en général, nécessitent toutefois une réelle volonté politique qui doit être municipale pour les noms des rues, et départementale et régionale pour les établissements scolaires.
Pauline S.