Migration, société d’accueil et nature : la nécessité de repenser politique et coexistence

Un article de Mahvash Shafiei,
Photos : Julia Druelle

La migration au XXIᵉ siècle n’est pas seulement un déplacement humain ; c’est un phénomène qui implique simultanément trois dimensions essentielles : les relations humaines entre migrants et communautés d’accueil, la capacité de la nature en tant que premier refuge, et les politiques qui façonnent ces interactions. Alors que les médias se concentrent souvent sur les images des camps ou des frontières, la profondeur de la question migratoire réside dans notre manière d’affronter « l’autre » ainsi que dans notre responsabilité envers la terre et la nature, qui portent silencieusement le poids de ces déplacements.

Les communautés d’accueil et les migrants : entre peur et coexistence

À leur arrivée dans un nouveau pays, les migrants ne rencontrent pas d’abord les politiques ou les lois, mais les habitants ordinaires. La réaction de ces derniers peut être double :

• Peur, méfiance et regard hiérarchisant, qui mènent à l’exclusion sociale et aggravent les blessures psychologiques des migrants.
• Empathie, écoute et acceptation, qui ouvrent la voie à l’intégration et à une vie commune.

Des études ont montré que les attitudes positives des populations d’accueil ont un impact direct sur la santé mentale et le sentiment d’appartenance des migrants (De Jesus et al., 2023). L’exemple de la ville de Calais, en France, illustre cependant comment la pression exercée par la présence de milliers de migrants met à l’épreuve la solidarité locale et révèle de fortes contradictions (Pursch et al., 2020). Chaque société se trouve ainsi face à un choix : construire des murs ou bâtir des ponts.

La psychologie des migrants et la dimension humaine de la migration

Les personnes en exil ne voyagent pas seulement avec une valise de vêtements et de papiers ; ils portent aussi le lourd fardeau des expériences de guerre, de pauvreté et d’insécurité. Leur parcours est souvent marqué par l’anxiété, le désespoir et le sentiment de déracinement. Si, dans le pays d’accueil, ils se heurtent à la méfiance ou au rejet, leurs blessures psychiques s’approfondissent (Alegría et al., 2017).

À l’inverse, un simple échange, une attitude respectueuse ou un geste d’empathie peuvent redonner espoir et humanité. La responsabilité des sociétés d’accueil n’est donc pas seulement matérielle (nourriture, logement), mais aussi psychosociale : créer un espace où les migrants se sentent entendus et reconnus.

La nature : l’hôte oublié

Dans le débat sur la migration, la nature est rarement évoquée. Pourtant, elle est le premier hôte des migrants. Les forêts autour de Calais, les plages méditerranéennes et les passages montagneux frontaliers sont les lieux où les migrants vivent, parfois pendant des semaines ou des mois. La nature offre refuge en silence, mais elle subit de graves pressions :

• accumulation de déchets et de plastiques
• destruction des habitats naturels
• pollution des sols et des eaux

Ces atteintes ne menacent pas seulement l’écosystème local, mais aggravent également les conditions sanitaires des migrants et des habitants (Calais Report, 2015). Si nous voulons bâtir un avenir durable, nous devons relier la question migratoire à la justice environnementale.

Les politiques : cadre ou obstacle à la coexistence ?

Les politiques nationales et européennes sur la migration privilégient généralement le « contrôle des frontières » et la « réduction des arrivées » plutôt que la coexistence humaine. Cela enferme les migrants dans des conditions précaires et temporaires, souvent dépourvues de sécurité et d’infrastructures sanitaires.

De plus, ces politiques influencent directement la perception des citoyens. Quand gouvernements et médias présentent les migrants comme une menace, les habitants développent peur et méfiance. À l’inverse, des politiques axées sur l’intégration, l’éducation et le respect de la diversité culturelle peuvent favoriser l’acceptation et la solidarité au sein des communautés locales.

Cependant, il serait réducteur de limiter la responsabilité du vivre-ensemble aux seuls décideurs politiques. Les décideurs ne représentent qu’une partie des conditions nécessaires, mais nous-mêmes pouvons également influencer la situation. Nous pouvons y entrer de manière autonome, agir pour améliorer la réalité et informer correctement à ce sujet. Nous ne pouvons pas rester passifs dans l’attente de leur action. Notre rôle est essentiel, et la manière dont nous transmettons l’information aux populations est déterminante. À notre échelle, nous devons assumer notre propre responsabilité et contribuer à la construction d’une coexistence véritable.

Repenser le récit migratoire

Pour mieux faire face aux défis migratoires, nous devons transformer notre récit :

• quitter une vision uniquement « de crise » et insister sur les dimensions humaines et culturelles,
• inclure la nature dans ce récit, non pas comme un simple lieu de passage, mais comme un bien commun à protéger,
• redéfinir les politiques non comme des instruments d’exclusion, mais comme des mécanismes de justice sociale et environnementale.

Conclusion

Loin d’être un enjeu unidimensionnel, le phénomène migratoire constitue une réalité à trois facettes : migrants, communautés d’accueil et nature.
Les politiques et les lois déterminent la manière dont ces trois acteurs interagissent : dans un rapport de confrontation et d’usure ou bien dans une dynamique de coexistence et de reconstruction.

Pour bâtir un avenir humain et durable, les populations d’accueil devront écouter et comprendre ; les décideurs politiques créeront les lois permettant les conditions d’une véritable coexistence. Et chacun composera avec la nature, cet hôte silencieux et irréductible, quoi qu’on lui fasse.

Sources et références

Alegría, M., Álvarez, K. DiMarzio, K. (2017)

Calais Report, University of Birmingham (2015)

De Jesus, M., Faria, R. Esteves, M. (2023)

Pursch, B., Boudou, R. Garry, S. (2020)