
Article est Photos : Laurent Prum
Samedi, place Godefroy-de-Bouillon. À quelques mètres de la mairie, les mariés du jour se préparent pour faire leur entrée en fanfare. Les klaxons, quelques rires, les robes qui claquent au vent, mais aussi la gêne voire un agacement face à ce qui se passe non loin de là. Un petit groupes de personnes brandissent des drapeaux palestiniens, entonnent des chants et des slogans. La colère est intacte, la vigueur reste franche. Le but : occuper le terrain, interpeller et dénoncer la violence de la guerre à Gaza.

Deux mondes qui cohabitant mais qui ne se rencontrent pas vraiment.
Eux, ils sont là et ça fait des mois et des années que ça dure, cet aprés-midi malgré le vent, malgré une certaine lassitude devant l’essoufflement du mouvement. « Boulogne sur mer, c’est pas l’Espagne » s’exclame une militante.
Une dizaine, pas plus — les visages familiers des luttes locales. Quelques militants du NPA, des membres de la LDH, des habitués de ces manifestations.

« On n’est pas nombreux, mais on est là », dit Christine, la voix ferme.
Depuis le décès de Marcel Guesquière, figure historique du soutien à la Palestine à Boulogne, le groupe a perdu de son élan. « Marcel, c’était un repère », raconte un ancien camarade. « Il connaissait tout le monde, relançait les initiatives, gardait le lien. Depuis sa mort, en mars dernier, on a perdu quelque chose. » . Depuis, Le groupe a continué à organiser quelques manifs — huit au total, entre le printemps et cet automne — mais sans élan collectif conséquent. « On a beau coller, appeler, discuter, on sent que les gens n’osent plus. »



Alors ils chantent. Pour tenir bon, pour tenir debout, ensemble. Des chants de lutte, repris à voix basse d’abord, puis plus fort. Les mots se mêlent aux sons de la fête voisine. Les mariés passent pas loin d’eux, un peu gênés, un peu curieux. La plupart détourne le regard.
Dans la ville de Boulogne sur mer, le sujet reste sensible. « Dès qu’on sort avec un keffieh ou un drapeau, on risque de se faire agresser », témoigne Mélanie. « Les gens ne veulent pas voir. Il y a du racisme, de l’ignorance, de la peur. »
Autour d’elle, plusieurs personnes acquiescent. « Beaucoup de personnes racisées, dit-elle, « se terrent ». Peu osent prendre la parole, encore moins descendre dans la rue.


Et pourtant, malgré tout, eux, ils continuent.
Par fidélité à ceux qui ne sont plus là. Par refus du silence. « Tout à l’heure, je suis remontée seule la rue Faidherbe, avec mon drapeau », raconte une militante. « Quinze personnes m’ont dit “c’est bien ce que vous faites”, mais personne n’est venu nous rejoindre alors que je les ai invité. »
Et pourtant, malgré tout, ils reviennent. Semaine après semaine, même s’ils ne sont qu’une poignée. Cet aprés-midi, le vent entraine les drapeaux rouges, verts, noirs et blancs. Entre deux chants, on entend encore l’animation autour de l’arrivée des mariées. Deux mondes côte à côte : l’un célèbre, l’autre résiste.


Et dans cette coexistence curieuse, quelque chose persiste — une forme de vigueur indéfectible pour des militants résistants qui porte en eux une idée simple : « défendre la Palestine, c’est défendre la justice partout, défendre le droit des opprimés. »

