Marc Botenga, député européen pour le PTB (Parti du Travail de Belgique), était à Manifiesta, le grand rendez-vous annuel des mouvements sociaux et syndicaux à Ostende. C’est la dernière d’une série de quatre conversations belges que nous avons réalisées ce week-end-là. Et dans le vacarme joyeux du festival, son discours fait du bien : calme, précis, sans détour. Chez lui, pas de fascination pour le Parlement européen comme temple du compromis, mais la conviction qu’on peut encore y porter la voix des travailleurs.
« Mon mandat de député, c’est pour mettre ça à la table, pour parler des gens, des travailleurs face à madame Van der Leyen, face aux commissaires européens. »
Marc Botenga s’exprime comme un militant qui a pris place dans une institution sans oublier d’où il vient. Quand il parle du Parlement, il ne parle pas du “jeu européen”, mais de l’obligation d’y faire entrer la rue. « Chacun avec sa petite note, ça ne marche pas. Il faut écouter les gens… Les gens en colère parce qu’ils n’arrivent pas à la fin du mois. « Mon rôle, c’est de mettre cette colère sur la table. »
Pour lui, le fossé entre les discours et les réalités n’a jamais été aussi grand. « Pendant des années, on nous a dit : on va fermer des hôpitaux, il n’y a pas d’argent pour vos bureaux de poste, pour les chemins de fer… Et là, d’un coup, on trouve 800 milliards d’euros pour la militarisation. »
Un “réarmement” qu’il qualifie de « surarmement », où les budgets explosent pendant que les services publics s’effondrent. Derrière le jargon de “sécurité” ou de “défense”, Botenga décrit une offensive idéologique : celle d’une Europe qui prépare la guerre plutôt que la justice sociale.
Mais il y a plus grave encore :
quelque chose d’incroyable qui est en train de se passer, c’est que les pays européens, via l’union sponsorisent aujourd’hui un génocide, un nettoyage ethnique. On est en train de tuer, de chasser un peuple palestinien de ses terres avec l’argent et des armes européennes…
Toute la rhétorique : “ l’Europe c’est les droits humain, le droit international…” On voit que c’est du pipeau.
À l’intérieur du Parlement, il explique que sa stratégie repose sur deux jambes : le travail d’enquête — révéler les financements, les circuits d’armes, les entreprises impliquées — et le relais des mobilisations populaires. « Ce qui change les choses, c’est la pression de la rue.
J’ai dit cette semaine à madame Van der Leyen qu’elle avait peur. Quand elle a vu les 120 000 personnes à Bruxelles, la mobilisation en Espagne et ailleurs, elle a reculé. Ce n’est pas une illumination morale : c’est la peur de la colère populaire. »
À la question posée depuis Calais — comment lutter contre l’extrême droite dans un contexte de désindustrialisation —, il répond sans détours :
« L’extrême droite profite de la désindustrialisation parce que les forces traditionnelles ont abandonné les classes travailleuses. Elles ont menti aux gens. Alors l’extrême droite vient dire : “nous défendons les petites gens”, mais en réalité elle divise. Elle ne dira jamais que le problème, ce sont les surprofits, les actionnaires. Elle dira que c’est ton collègue, l’immigré, celui qui a encore plus de difficultés que toi. »
Là encore, il relie le social et le politique : la colère, dit-il, doit être comprise, pas méprisée. Les institutions européennes, explique-t-il, transpirent le mépris de classe. « On nous dit : les gens n’ont pas compris. Mais si, les gens comprennent très bien. Ils savent ce que c’est que de ne pas pouvoir payer un logement, de ne pas avoir de CDI, de craindre de mourir avant la retraite. »
Sa réponse, c’est la rupture sociale :
« Nous devons remettre le public à l’agenda. Mettre fin à la concurrence du privé. Dire qu’il y a une alternative de société, pas dans cette société-ci mais à côté. Ce n’est pas de la science-fiction. On peut coopérer, avoir un secteur public de l’énergie, des prix plus bas. »
Face à la fuite en avant militaire, il souligne aussi l’absurdité économique d’une “industrie de guerre” présentée comme une solution au chômage :
« Quand vous achetez une voiture, vous savez que quelques années après, il faudra acheter une nouvelle voiture. Mais un char… Normalement, un char, on ne l’utilise pas. On ne va pas à l’école en char, on ne va pas au boulot en char. Et donc la seule façon d’utiliser un char, c’est d’aller faire la guerre. »
L’entretien se conclut sur cette certitude : la colère populaire, en Europe, va continuer à croître. Et la seule manière de lui donner une issue, c’est de la politiser — pas de la détourner. « Ce qui va diriger notre société, ce n’est pas les profits, c’est nos droits, nos besoins. »
REBONDS
Retrouvez l’ensemble de nos entretiens réalisés lors du festival Manifiesta :
