Mercredi 25 juin, la CGT Services Publics du Pas-de-Calais était de sortie. Dès 7h30, près de quatre-vingt syndicalistes occupaient quatre carrefours stratégiques à Boulogne-sur-Mer, dans le cadre de leur “caravane d’été 2025”. Une journée d’action symbolique, tournée vers l’échange avec la population, pour rappeler ce que signifie encore, concrètement, le mot “service public”.
“Ce qui est fou, c’est qu’on nous applaudissait il y a cinq ans…”



Sur le rond-point de Nausicaá, les drapeaux rouges claquent au vent. Didier, salarié communal à Marck que nous avions rencontré l’année dernière en manif, nous présente David, trésorier de la coordination départementale. Pour lui, cette caravane est d’abord un acte de pédagogie. “Les services publics, c’est trois versants : l’État, les territoriaux, et l’hospitalier. Or c’est nous qui tenons les écoles, les bibliothèques, les espaces verts, les maisons de quartier. Et ça tient à un fil.”
Les chiffres parlent : dans une commune, environ 58 % du budget part dans les dépenses de personnel territorial. Ce budget repose sur l’impôt foncier et les dotations de l’État. Mais les dotations diminuent, les besoins explosent, et la reconnaissance s’effrite.


Stéphanie, agent territorial à Marck, interviewée en avril dernier, ajoute :
“Ce qui est fou, c’est qu’on nous a applaudis pendant le Covid. Et maintenant ? On perd 200 euros sur notre paie en cas d’arrêt maladie, avec un salaire à 1500 euros. Parce qu’un 49.3 super démocratique est passé par là…”
À l’hôpital : des naissances en plus, des postes en moins
Romain, agent des Finances Publiques à Boulogne, a un pied dans chaque monde : il est syndiqué, et sa compagne est soignante. Il revient sur la fermeture du service maternité du Centre Médical Chirurgical Obstétrical privé de la Côte d’Opale. Résultat : 500 naissances en plu à venir pour l’hôpital public de Boulogne, sans aucun qu’aucun renfort ne soit prévu.
La seule solution envisagée ? Le recours aux vacations ponctuelles, autrement dit un contrat interim supplémentaire pour le soignant. Des temps de travail supplémentaire (jusqu’à douze heures) très bien payées, tellement qu’elles ont été plafonnées depuis par la loi Véran (jusqu’à 1 800 euros par vacation pour un médecin), désindexé du contrat de travail. Un pis-aller qui aggrave la précarité du système, et contourne le droit du travail : “Avec les vacations, on fait sauter les 11 heures de repos entre deux postes.”
Quant à la prime Ségur, versée depuis le Covid pour compenser les bas salaires ? Romain est amer :
“Ce n’est pas l’État qui la finance, mais les hôpitaux qui n’ont aucune comprensation. Autrement dit : on creuse nous-mêmes notre déficit.”

“Tu crois pas à la dépression,
jusqu’à ce que t’y sois…”
Didier, lui, revient de loin. Longtemps en arrêt, il a traversé un burn-out sévère. Sur le rond-point, il raconte avec pudeur :
“Au début, tu crois que c’est rien. Tu te moques un peu de celles et ceux qui sont dedans. Que c’est dans la tête. Puis quand ça t’arrives… T’y crois pas, tu rames tu rames puis tu lâches. Tu sais plus ce que t’es ce que tu deviens, t’as peur… tu sais plus pourquoi tu bosses. Et le plus dur, c’est de reprendre le boulot et de continuer à faire semblant.”
Derrière les tracts, les banderoles et les appels à se mobiliser, la caravane d’été donne aussi une place à ces récits-là. Ceux des survivants du service public, abîmés mais debout. Ceux qui refusent que le silence soit la norme.


Des tracts, des échanges, et “une réception super bonne”
La CGT territoriaux 62 a imprimé des milliers de tracts. Le recto dénonce la perte de sens au travail. Le verso interpelle directement les automobilistes et passants à qui il est distribué : “Qui videra les poubelles ? Qui accueillera vos enfants ? Qui nettoiera vos rues ?”
Selon Stéphanie, la réception est très positive. “Il y en a toujours un sur cent pour râler, mais globalement, les gens sont d’accord. Le pouvoir d’achat, la précarité, c’est des trucs qui touchent tout le monde.”
“Macron veut garder le régalien. Le reste, on le paiera avec nos cartes bleues”
À la salle communale, l’ensemble des militant·es se retrouve en fin de matinée. Nadège Poly, secrétaire générale de la CSD, évoque l’enjeu de la journée : visibilité, échange, solidarité. Pour elle, la stratégie du gouvernement est claire :
“Macron veut supprimer les services publics. Il ne gardera que le régalien : l’état civil, le nucléaire, l’armée. Pour le reste, il voudrait qu’on donne nos cartes bleues au lieu de nos cartes vitales.”
Ce basculement, elle le date du quinquennat Sarkozy, avec l’application d’une règle: “Un seul remplacement pour trois départs”


Faire le lien entre privé et public
Christophe Hagneré et Elodie Lemaire de l’Union locale de Boulogne résument leur stratégie : viser les travailleurs du privé, les alerter sur la fragilité du service public. “Si le public s’effondre, le privé s’écroule. Tout tient ensemble.”
Pour Christophe, il faut occuper le terrain :
“Pas seulement dans les manifs, mais partout : à la sortie du taf, sur les parkings, aux ronds-points. Les gens sont très résignés et les les médias ont une grande part de responsabilité. Ils minimisent les injustices invisibilisent les contestation. Ils transforment la réalité À nous de prendre la parole.”
Prochaine étape la semaine prochaine, à Béthune, puis Arras. Avec toujours la même idée : remettre le syndicalisme à hauteur d’humain. Et rappeler que le service public n’est pas une affaire nostalgique mais un combat à mener ici, dès aujourd’hui.


Texte : Pierre Muys
Photos : Delphine Lefebvre
