À quoi sert une Union départementale de la CGT ? Comment fonctionne-t-elle, que défend-elle, et que permet-elle ? Pour le savoir, on a discuté avec Christelle Somers, nouvelle secrétaire générale de l’Union départementale CGT du Pas-de-Calais. Une militante issue du service public territorial, forgée par les luttes, et déterminée à faire du collectif plus qu’un mot creux.
Entretien réalisé le 25 avril, en complément d’une série d’interview avec des syndicalistes de fonction publique du Pas-de-Calais.
Fédérer, former, lutter
Quand on demande à Christelle ce qu’est une UD, elle commence par le concret : « Le rôle de l’Union départementale, c’est d’apporter de l’aide aux syndicats, de travailler avec eux sur les luttes, les dossiers, et surtout de former. » Dans le Pas-de-Calais, quatorze animateurs de formation interviennent sur l’ensemble du territoire, répartie par union locale : « Ça peut être sur les prud’hommes, contre les violences sexistes et sexuelles, sur la rédaction de tracts… Former, ça veut dire outiller, transmettre, créer du lien. »
Mais l’UD ne se contente pas de répondre aux urgences ou de gérer la logistique militante. Elle est aussi un espace politique en soi, un lieu de coordination entre syndicats de différentes branches. Et c’est ce qui est passionnant : faire se rencontrer un cheminot et un ouvrier de la verrerie, quelqu’un de la Poste et une travailleuse sociale. Voir que malgré des métiers différents, il y a des points communs, des souffrances, des fiertés, des colères qui peuvent s’agréger.
Christelle insiste sur cette fierté. Celle du travail bien fait, celle de l’outil de travail. « 99% des salariés que je rencontre sont fiers de leur métier. Et c’est parce qu’ils aiment leur travail que ce qui les détruit, c’est qu’on ne leur donne pas les moyens de bien le faire. » Dans une usine de fabrication de bouteilles où elle a pu faire une visite, elle découvre des salariés contraints de monter à califourchon sur les lignes de production, au-dessus du verre en fusion. « quand on voit ça on se dit que c’est pas possible, et qu’il doit y avoir une manière de pouvoir changer ça. »
Renouer les liens
Le mandat de Christelle s’inscrit dans une volonté claire : retisser les liens entre structures. Trop souvent, les syndicats locaux agissent en silo, loin des ressources et des solidarités possibles. « Parfois, on apprend ce qui se passe dans une boîte sur Facebook ou dans la presse. Il faut inverser ça. » Elle parle de visites d’usines, de rencontres en dehors des locaux syndicaux, de repas partagés après les engueulades. « On peut ne pas être d’accord. L’essentiel, c’est de se respecter et d’agir ensemble. »
Cette ligne, elle la porte avec une équipe renouvelée et plus féminisée. Elle s’en réjouit. « On a les employé·es des postes, des camarades de la Macif, des ports et docks, des territoriaux, des cheminots, du logement social… Il faut créer un axe commun, même s’il n’est pas évident tout de suite. »
Une pratique du syndicalisme ancrée, incarnée
Chez Christelle, le syndicalisme n’est pas théorique. Il prend racine dans une histoire familiale — fille, petite-fille et nièce de dockers — et dans un déclic personnel : un accident évité de peu pendant sa grossesse, faute d’avoir été protégée sur son lieu de travail. « J’ai dit : plus jamais ça. Ni pour moi, ni pour d’autres femmes. »
Depuis, elle n’a jamais lâché. Même quand les victoires sont rares. « Sur 40 dossiers, on en perd 39. Mais celui qu’on gagne, il te relance. Et puis on perd avec panache. » Ce mot revient souvent. Avec d’autres : fidélité, transmission, dignité. « J’ai aidé un ancien mineur à récupérer sa pension. Il m’a remerciée avec une tablette de chocolat noir. Rien que ça, ça te rebooste. »
Son engagement, elle le transmet aussi à ses enfants, ses petites-filles. À la maison, on parle politique, féminisme, lutte sociale. « Ce que je veux, c’est qu’ils sachent qu’ils ont le droit de d’exprimer ce qu’ils pensent. Qu’ils ne doivent pas se taire. »
Trois ans pour ouvrir, élargir, inventer
Le mandat de Christelle s’étend sur trois ans. Trois ans pour ouvrir des portes, faire dialoguer des univers, penser les luttes dans toute leur complexité. Elle veut que l’UD devienne un lieu ressource vivant, incarné, et pas une structure lointaine. « Il y a des savoirs immenses dans nos syndicats, dans nos usines. Il faut les faire circuler. »
Au fond, sa vision du syndilisme, c’est peut-être ça : refuser la résignation, maintenir le lien, et porter une parole de justice quand tout autour pousse au silence. On ne peut pas tout, mais on peut quelque chose. Et rien que pour ça, ça vaut le coup qu’on s’y mette.
Pierre Muys