La Poste : L’Égalité privatisée

Frédéric Granssart, délégué syndical départemental CGT FAPT et postier à Lens Liévin, nous livre son analyse dans le cadre du quatrième volet d’une série d’entretiens consacrés à l’état des services publics dans le Pas-de-Calais. Après avoir exploré les défis rencontrés par les finances publiques, l’éducation et la santé, cet entretien se concentre sur La Poste, un service public qui s’éloigne de plus en plus de ses valeurs républicaines, sous l’effet d’une privatisation progressive.

Entre Valeurs Républicaines et économique

La Poste a longtemps été le pilier du service public en France, garantissant l’égalité de traitement pour chaque citoyen. « La Poste est historiquement un service public, une entreprise qui est attachée à l’État, aux valeurs de la République et aux territoires« , rappelle le délégué CGT départemental. L’égalité était au cœur de son fonctionnement : « Pour une lettre qu’on envoie, chacun paye la même somme, que ce soit une lettre qui va aller à Marseille ou qui va aller à Lille pour couvrir un territoire ou un village isolé. » Mais aujourd’hui, cette vision se fissure. Fred dénonce la contradiction entre les discours officiels et la réalité financière de l’entreprise : « Malgré les discours officiels sur les difficultés financières de La Poste, l’entreprise enregistre des bénéfices impressionnants. » En 2024, « un milliard quatre cent millions d’euros de bénéfices, trois fois plus qu’en 2023« , souligne-t-il. Ces bénéfices ne proviennent pourtant pas de la distribution du courrier, mais de secteurs comme la téléphonie et les assurances.

Le service public n’est plus ici

La privatisation progressive de La Poste a des conséquences dramatiques sur la proximité des services, notamment dans les zones rurales. « Les fermetures deviennent quotidiennes, et c’est souvent les plus vulnérables qui en pâtissent« , alerte le postier. Les populations âgées, à mobilité réduite ou vivant dans des communes éloignées sont les premières victimes. Selon lui, ces fermetures posent un problème fondamental : « Même les boîtes aux lettres jaunes qui constituent le ramassage, ça se fait que dans ces boîtes ou directement au bureau de poste. » En supprimant des points de service de proximité, La Poste compromet l’accès aux services essentiels. « La proximité est complètement bafouée« , déplore-t-il.

Au-delà de la distribution du courrier, La Poste a également joué un rôle crucial en matière d’accessibilité bancaire. Là où les banques privées ferment leurs portes aux plus démunis, La Poste permettait à chacun d’avoir un compte, même avec peu de revenus. Fred, le syndicaliste, insiste sur ce rôle essentiel : « La Poste accepte tout le monde, et forcément ça rapporte pas d’argent les petits comptes. » Mais cet aspect social est de plus en plus menacé par la logique de rentabilité. « Quand on parle de privatisation, on ne parle pas seulement d’une question économique, mais aussi sociale », précise Fred, mettant en lumière l’impact de la privatisation sur l’inclusion financière des plus vulnérables.

Vers Un Retour aux Sources ?

Face à cette dérive, Frédéric Granssart plaide pour un retour aux racines de La Poste. Selon lui, cette décision permettrait de « respecter le principe d’égalité entre citoyens« . En nationalisant La Poste, on préserverait la pérennité des bureaux dans les petites communes et garantirait des services accessibles à tous. Cela permettrait aussi de redonner un sens à la mission des postiers, aujourd’hui dévalorisée. Il rappelle que, dans le passé, les postiers étaient perçus comme des acteurs du lien social, un rôle désormais menacé.

Le malaise est palpable parmi les postiers. Fred, le délégué CGT, observe que le travail des postiers est de moins en moins valorisé : « Nous, les salaires, ils sont au ras des pâquerettes. À moins d’avoir un petit peu d’ancienneté, sinon vous restez pas loin du SMIC. » Au lieu de remplir leur mission initiale, qui consistait à garantir la distribution du courrier et à maintenir un lien social, les postiers se retrouvent souvent à distribuer des prospectus ou à effectuer des tâches sans rapport avec leur rôle de service public. « Le facteur passe juste pour voir si la personne va bien, en gros si elle est vivante« , explique Fred, soulignant le décalage entre la mission originelle et la réalité du terrain.