Depuis 2007, une logique marchande pervertit silencieusement le soin. Son nom : T2A, pour Tarification à l’Activité. À l’hôpital, on ne soigne plus en fonction des besoins des patient·es, mais en fonction de la rentabilité des actes. Une révolution managériale imposée sous couvert de modernisation, que dénoncent aujourd’hui les syndicalistes CGT Frédéric Bourgois et Pascal Fauvet, tous deux soignants dans le Pas-de-Calais.
« Faut faire de l’activité » : quand la santé devient une course à la performance
À entendre les injonctions des directions hospitalières, on se croirait dans une entreprise privée. « Faut faire de l’activité, faut faire de l’activité… » répète Pascal. « On parle de soins, on parle de patients ! » L’absurde est devenu norme : on devrait se réjouir qu’il y ait moins de malades. Mais dans le système T2A, soigner moins, c’est gagner moins. Alors on pousse les patients à la porte au plus vite, quitte à ce qu’ils reviennent une semaine plus tard, aggravés.
La conséquence est double : les hôpitaux se vident de leurs effectifs, et les services publics s’effondrent. « On nous demande d’en faire plus avec moins », martèlent les deux syndicalistes. À Béthune, des lits sont fermés faute de médecins. À Boulogne-sur-Mer, l’hôpital est dans le rouge avec 17 millions d’euros de déficit. Et partout, les soignant·es partent ou s’effondrent.
Le privé prospère sur les ruines du public
Pendant que l’hôpital public étouffe, le secteur privé s’enrichit. C’est la mécanique bien huilée d’un système à deux vitesses. « Dans les cliniques privées, les médecins peuvent être payés trois fois plus », rappelle Frédéric. Et pour cause : ces établissements, libres de leurs tarifs et peu contraints sur les conditions d’embauche, aspirent les professionnel·les de santé. Pendant ce temps, les hôpitaux publics, eux, externalisent à tout va — nettoyage, blanchisserie, technique — bradant ce qui faisait leur solidité.
Cette bascule massive vers la sous-traitance, Frédéric la date clairement : « Depuis la T2A en 2007. » À partir de là, les établissements ont été incités à tailler dans les services dits « non rentables ». Nettoyage, lingerie, restauration : tout ce qui ne rapporte pas est privatisé. Plus de contrats stables, plus de garanties, des boîtes privées qui remplacent le service public par des marchés jetables. Et au final, c’est toujours la même logique : précariser pour économiser.
Une proposition claire : abolir le privé en santé
Face à cette spirale, les deux syndicalistes avancent une position sans ambiguïté : la santé ne doit plus dépendre du marché. « Tout ce qui est santé doit être dans le public », affirme Frédéric Bourgois. « On ne devrait pas calculer. Qu’il n’y ait pas de déficit ! » Pour eux, soigner ne doit pas être un acte comptable. Il s’agit d’un droit, et donc d’un devoir collectif. Or, ce droit fondamental est aujourd’hui sacrifié sur l’autel de la rentabilité.
La revendication peut sembler radicale dans un pays où le secteur privé a pris tant de place dans les soins. Mais elle a le mérite de la clarté : pas de santé sans service public fort. Et pas de service public fort sans rupture avec la logique entrepreneuriale.