À Marck, la fonction publique face au poison managérial – avec Stéphanie Way, agent territorial

« Il faudra que je me pende devant la mairie pour qu’on réagisse ? »
C’est Stéphanie Way, secrétaire CGT des territoriaux de Marck, qui s’exprime ainsi, d’un ton ferme et sans fard. Depuis des mois, elle dénonce un mal-être qui gangrène les services municipaux. Ce n’est pas une histoire isolée, mais une réalité vécue par de nombreux agents, épuisés par un management autoritaire, des pressions constantes et un climat de peur. Pour elle, l’heure est venue de dire stop.

Agent au complexe sportif municipal Hubert Seban, elle est en première ligne dans une municipalité où la fonction publique territoriale qui met en oeuvre les compétences acquises par les collectivités (aménagement du territoire, action sociale, culturelle, logement, gestion d’infrastructur…) suite à plusieurs vagues de décentralisation, se transforme aujourd’hui en terrain de gestion comptable froide et calculée. « Nous travaillons comme dans une entreprise. Mais ce n’est pas une entreprise, c’est un service public ! » s’indigne Stéphanie. La logique de rentabilité avec toujours moins de moyens, l’externalisation massive et la précarisation des emplois fragilisent chaque jour un peu plus les bases de ce qui faisait la force du service public : la solidarité et le service aux habitant·es.

Un directeur qui incarne le problème, un système qui vacille

Depuis l’arrivée d’un nouveau directeur des services techniques (DST) il y a plus de trois ans, les alertes se multiplient. Propos humiliants, convocations à charge, menaces, isolement… L’ambiance devient insoutenable. Stéphanie évoque une collègue traitée de « pire agent de la commune », d’autres poussés au burn-out, et certains qui se voient offrir un suivi psychologique pour soigner les conséquences de ce qui relève avant tout d’un système malade. Ils sont d’après nos sources une quinzaine à se plaindre des méthodes du directeur en place.

Cet encadrant, au cœur des accusations de plusieurs agents, symbolise un management dégradé où la violence psychologique est omniprésente. « Un bon directeur, c’est celui qui est présent, qui prend ses responsabilités », insiste Stéphanie. Mais ce n’est d’après elle pas le cas ici. Ce DST, préfère, selon elle, ignorer les souffrances de ses équipes et semer la division plutôt que de donner l’exemple. « Quand il y a un problème de management, ça ne vient pas du bas, ça vient toujours du haut », explique-t-elle, en précisant que la hiérarchie elle-même ferme les yeux sur ces dérives.

L’inaction de la maire et du DGS : une indifférence systémique

CCe qui choque Stéphanie, ce n’est pas seulement l’attitude du DST, mais l’inaction persistante des responsables municipaux face à ces problèmes. Depuis des mois, la situation est connue de la maire et du Directeur Général des Services (DGS) mais aucune action concrète n’a été menée pour y remédier. 

Lors d’une manifestation à Marck datant du 19 mars 2024, Stéphanie alertait déjà des conditions de travail subies pas les agent territoriaux de La Ville de Marck

Sollicitée par Calais la Sociale dans le cadre de cet article, la maire, Corinne Noël, répond dans des termes mesurés :

« La municipalité attache une attention constante à la qualité des conditions de travail de ses agents et au bon fonctionnement de ses services. Il est cependant essentiel de rappeler que, par respect pour la confidentialité des échanges, il ne nous est pas possible de commenter des situations individuelles. […] Sachez que toute situation est étudiée, par la direction, avec beaucoup de sérieux pour que chaque agent exerce ses missions dans un climat serein en mairie de Marck.»

Aucun élément concret n’est avancé sur les cas évoqués ici. L’argument de la “confidentialité” est mis en avant pour justifier l’absence de réponse sur les faits rapportés. Corinne Noël poursuit :

«Depuis 2014, de nombreuses mesures ont été mises en place pour accompagner les agents, valoriser leur engagement et améliorer leur qualité de vie au travail. »

2014 marque justement l’arrivée au pouvoir de son prédécesseur et mentor politique, Pierre-Henri Dumont, député LR et ancien maire de Marck. Corinne Noël, qui lui a succédé, s’inscrit dans la continuité de sa gestion et affirme en mentionnant cette date que tout va bien. 
Mais d’après la syndicaliste, la réalite est toute autre : au lieu de répondre aux préoccupations légitimes des fonctionnaires, les mails sans réponse se suivent, et la collectivité préfère se borner à des solutions pansements, comme la proposition de soutien psychologique. Mais pour la secrétaire CGT, ces réponses ne règlent en rien le problème fondamental : un management toxique et une hiérarchie absente. « Si rien ne change, il faut se battre pour que ces situations ne se répètent pas », insiste-t-elle.

Un service public déshumanisé

La situation à Marck est emblématique d’une tendance plus large qui touche de nombreuses communes. La logique de rentabilité et l’externalisation des services publics contribuent à détruire la solidarité entre les agents. « La fonction publique est morte. » Ce constat brutal que Stéphanie dresse en conclusion de notre entretien n’est pas fait seulement pour elle-même, mais pour tous les travailleurs du secteur public qui se battent pour maintenir une qualité de service. L’internalisation des compétences, autrefois pilier de la fonction publique, est progressivement remplacée par des contrats précaires et des solutions externalisées qui minent la cohésion des équipes.

Au fond, ce que la syndicaliste réclame, c’est de pouvoir travailler dans des conditions dignes, avec respect et sans craindre pour sa santé mentale. Mais l’inaction des responsables municipaux a créé un environnement où chaque agent se retrouve face à un système qui l’oppresse. Pour Stéphanie, c’est tout un modèle de gestion qui doit changer, et si cela signifie se battre publiquement pour que les choses bougent, elle le fera. « Je fais partie du petit peuple, et j’en suis fière », affirme-t-elle, fière de représenter ces agents trop souvent invisibilisés. Elle veut que leur souffrance soit entendue, que leurs voix soient prises en compte, et surtout, que le service public redevienne ce qu’il a toujours dû être : un lieu de solidarité et de dignité.

Averti qu’elle irait voir la presse, le DGS se rappelle de sa boîte mail et lui promet qu’une enquête administrative sera réalisée en interne, par lui-même. Mais Stéphanie, lucide, promet que si rien n’est fait, elle sera là, sur la place de la mairie, « avec la corde qu’on a voulu voir autour de mon cou. » Elle fait ici référence à une plaisanterie sombre du DST qu’elle n’a jamais digérée et qui résume l’ambiance toxique au travail. Affaire à suivre.

Pierre Muys