Philippe Catez : le militantisme en entretien permanent

Il n’y a pas de livre pour raconter comment, à Calais, les gens se sont battus au fil des ans. il y a en revanche, ici et là pour chacune de nos époques des femmes et des hommes qui rassemblent méticuleusement les fragments épars de cette histoire, les portent et les transmettent avec une constance silencieuse.

L’été dernier, on a croisé Philippe à la Bourse du Travail. Dans le local des syndicalistes retraités, Phiphi fouillait dans ses archives, une grosse pile de documents sous le bras. Il nous parlait depuis des jours d’une exposition qu’il préparait « comme il pouvait » sur la sucrerie de Bois-en-Ardres, Béghin-Say. Fermée en 2004, cette usine avait été le théâtre d’une grande partie de sa carrière, comme de celle de son père avant lui. « Je voulais faire quelque chose pour les vingt ans [de la fermeture]… Parce que pour les trente, peut-être qu’il n’y aura plus d’usine, parce que peut-être que je ne serai plus là. »

L’exposition, pourtant, n’aura duré qu’une journée. La mairie hôte n’a pas su, ou voulu, tolérer davantage cette mémoire ouvrière dans ses murs. Le temps nous a manqué pour faire le film de ce travail de mémoire, mais voici, alors que l’ancien silo de l’ancienne sucrerie est en train d’être détruit le portrait d’une vie militante aussi discrète que permanente.

Réparer, maintenir, résister

Tout au long de sa carrière Philippe aura tenu un métier discret : la maintenance. Réparer ce qui est cassé, entretenir ce qui existe pour le rendre durable, prévenir les pannes invisibles aux yeux des autres — c’est un travail souvent ingrat, mais essentiel. Son engagement syndical et politique repose sur le même principe : maintenir le tissu social en état, réparer les injustices, veiller à ce que rien ni personne ne soit laissé à l’abandon. 

Philippe trouve dans le syndicalisme un lieu où rester connecté aux réalités sociales locales. Les réunions de l’Union Locale sont des bouillons de discussions où chacun·e apporte sa pierre, où l’on apprend le fonctionnement social et économique d’une ville. On se lie aux autres. C’est une façon de ne pas sombrer avec les ans dans l’inertie, de tenir ensemble la dragée dans cette lutte contre l’isolement et le découragement.

« Un jour, je croise un vieux camarade qui me dit : “Si tu te mets dans ton fauteuil le matin et que tu regardes Les Feux de l’amour, c’est fini, plus rien n’avance”. » C’est devenu pour lui comme une vérité fondamentale. L’engagement est un mouvement permanent. Se replier sur soi, c’est abandonner.

Militant politique dans l’ombre

Son engagement politique, prend une forme à peu près similaire. Au sein du Parti Communiste Français, il n’a jamais été en première ligne mais s’est impliqué activement, notamment lors des échéances municipales. Philippe n’a pas conduit de liste électorale, mais en a constitué un rouage essentiel, celui qui huile les engrenages et permet à la machine de tourner sans trop gripper. Pour lui, la politique n’est pas une carrière mais une manière d’incarner des idées, d’être utile à une gauche qu’il considère comme la « vraie », celle qui ne trahit pas ses valeurs dans des compromis. 

Bien que les deux soient rouges, il nous dit «On ne peut pas se permettre de mélanger les casquettes» Philippe a toujours veillé à maintenir une ligne claire entre ses engagements à la CGT et au PCF. Il sait que les idées se recoupent, que les luttes se rejoignent, mais il refuse la confusion. « Les gens doivent pouvoir nous faire confiance sans se demander si on défend leur travail ou si on fait campagne ».

Place aux jeunes

Aujourd’hui, Philippe se souvient avec un sourire des campagnes municipales et des batailles syndicales qu’il a portées. Même si son équipe n’a pas réussi à reprendre la mairie, même si Béghin Say est fermé depuis longtemps et que son exposition n’a tenu qu’une journée, il refuse d’y voir des échecs définitifs. « Place aux jeunes », lance-t-il désormais avec une conviction teintée de nostalgie. 

Comme dans son métier, il sait que l’essentiel est souvent invisible, loin de la lumière et des honneurs. Si nos actions, nos gestes, nos combats passent inaperçus pour beaucoup, ils laissent pourtant une empreinte durable. Le militantisme, à l’image de la maintenance, est une œuvre silencieuse et fondamentale : une veille attentive à ce que rien ne s’effondre, que rien ne puisse resté brisé trop longtemps.

Pierre MUYS