Du 29 mars au 6 avril, à Calais, l’Alhambra ouvre ses portes à la troisième édition du Festival Autrement, un événement où cinéma, débats, rencontres et engagement citoyen se mêlent pour questionner notre rapport au monde et à l’écologie.
Dans un contexte où la crise climatique est de plus en plus palpable, où les sécheresses ne sont plus de simples alertes lointaines mais une réalité concrète, ce festival a une ambition claire : provoquer une prise de conscience, non plus seulement par les mots, mais par l’émotion et l’action.
Au programme, une sélection de films et documentaires avec des voix engagées, celles de réalisateurs et réalisatrices, d’associations locales, d’acteurs du changement, viendront prolonger la réflexion à travers des rencontres et des débats. Une librairie éphémère, portée par Le Channel, permettra d’emporter un peu du festival avec soi. Et cette année, dans un geste symbolique, le hall d’entrée de l’Alhambra sera végétalisé, rappelant que l’écologie n’est pas qu’une question de grands discours, mais aussi de gestes concrets.

Nous rencontrons Yannick Lemaire qui est responsable du club cinéphile de l’Alhambra depuis bientôt trois ans. Il a également pris en charge le Festival Autrement dès sa création, contribuant à en faire un rendez-vous cinématographique engagé et ouvert à la discussion. Et Tristan Ragon, un étudiant à l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO) à Calais en DUT Technicien de la mer et du littoral. Passionné par le milieu marin, il s’investit avec Marine Life Channel, où il participe à des actions de sensibilisation et de protection des espaces maritimes, comme les ramassages de déchets sur la plage de Blériot. Il contribue aussi à des travaux de recherche en lien avec d’autres étudiants de l’ULCO.
« Aujourd’hui, on ne manque pas d’informations sur l’écologie. Ce qu’il manque, c’est l’émotion et la volonté d’agir. »
Yannick Lemaire
C’est ce que défend l’organisateur du festival. Depuis des décennies, les scientifiques alertent, les rapports s’accumulent, les chiffres sont là. Pourtant, le changement peine à se produire. Pourquoi ? Parce que la culture ne s’est pas encore totalement imposée comme un moteur du changement.
L’écologie a longtemps été un sujet technique, réservé aux spécialistes, perçu comme complexe ou anxiogène. Mais à travers le cinéma, la littérature, le débat, elle devient une histoire que chacun peut s’approprier.
« Un film, c’est une immersion. Une histoire, c’est un miroir tendu. Une discussion, c’est un éveil. »
Yannick Lemaire
C’est pour cela que le Festival Autrement veut replacer la culture au centre du débat écologique. Parce que comprendre ne suffit plus : il faut ressentir.
Organiser un festival, c’est aussi une aventure semée d’embûches. L’an dernier, l’ouverture du Festival Autrement a été difficile :
« On avait mis tellement d’énergie à organiser cette ouverture… et au final, nous avions eu peu de spectateurs. »
Yannick Lemaire
Un coup dur pour l’équipe. Mais loin d’être un échec définitif, c’est devenu une leçon. Cette année, l’ouverture a été repensée : elle aura lieu un samedi et non plus en plein milieu de semaine. Avec une programmation et des rencontres plus fournies encore.
Avec pour thème central l’écologie et le développement durable, cette 3e édition se veut être un espace de réflexion, d’échange et d’action, réunissant des films, des documentaires, des interventions d’associations et de réalisateurs. Mais cette année, l’édition du festival ne s’arrête pas à la simple projection de films. Elle va plus loin en s’engageant dans une démarche écoresponsable et en transformant le lieu même du cinéma, dans un souci de fusionner culture et nature.
Si la démarche est avant tout symbolique et engagée, elle répond aussi à un besoin concret dans un environnement urbain où la nature peine à trouver sa place. Calais, comme de nombreuses villes françaises, souffre de l’absence d’espaces verts suffisants et de la bétonisation galopante de ses espaces publics. Dans ce contexte, chaque projet de végétalisation devient un acte de résistance face à l’artificialisation des sols.
Le festival, en végétalisant le hall d’entrée de l’Alhambra, fait bien plus que proposer une simple décoration florale. Il offre un acte concret d’intégration de la nature dans un lieu en plein cœur de la ville. Pour beaucoup de Calaisiens, cette transformation symbolise un retour à une nature qu’ils ne trouvent plus assez autour d’eux. Il ne s’agit pas seulement d’embellir un lieu, mais d’interroger la place de la nature en ville.
Cet engagement n’est pas sans rappeler les difficultés rencontrées par les habitants de Calais face à un environnement de plus en plus urbanisé. Comme l’évoque l’organisateur du festival, Alexandre : « Quand on parle d’écologie à Calais, c’est aussi une manière de réinventer la ville, d’en faire un lieu plus vert, plus humain. » La végétalisation de l’Alhambra s’inscrit ainsi dans un mouvement global où chaque petit geste compte pour rapprocher la nature des citadins, qui, dans leur quotidien, se retrouvent souvent éloignés des espaces verts.
Pour Yannick Lemaire, l’écologie n’est pas une simple cause lointaine. C’est une prise de conscience viscérale, presque douloureuse.
« J’ai grandi à Calais. J’ai entendu parler de la dérive climatique. Et suite aux prévisions alarmistes des hydrologues, la sécheresse est arrivée, mon gazon s’est transformé en foin… Je me suis dit ça y est, nous y sommes. »
Yannick Lemaire
Ce qui semblait abstrait est devenu concret. Et cette angoisse, il n’est pas le seul à l’avoir ressentie. Beaucoup d’entre nous oscillent entre colère, impuissance et espoir. L’engagement écologique est souvent jalonné de désillusions, de moments où l’on se demande si tout cela en vaut la peine.
« Parfois, j’ai envie de tout laisser tomber. Mais il y a toujours quelque chose en moi qui me pousse à continuer. »
Tristan Ragon
C’est cette même force intérieure qui pousse tant de militants à ne pas abandonner. Parce que renoncer, c’est accepter que le pire arrive.
En effet, les risques climatiques à Calais et dans ses environs ne sont plus une menace lointaine, mais une réalité bien tangible, amplifiée par la spécificité géographique du territoire. L’intervenant alerte sur l’impact direct du réchauffement climatique sur les systèmes de drainage locaux, notamment les Watringues, ce réseau de canaux essentiel à la gestion des eaux dans cette région en grande partie située sous le niveau de la mer.
Avec l’augmentation des précipitations extrêmes et la montée du niveau de la mer, les Watringues, conçus pour évacuer l’eau vers la mer, risquent d’être submergés ou de ne plus remplir correctement leur rôle. Si ces canaux venaient à céder ou à être saturés, des quartiers entiers de Calais se retrouveraient sous les eaux.
« On ne s’en rend pas compte, mais ici, sans les pompes et sans ces canaux, on est à la merci de la mer et des pluies. Si on ne s’adapte pas, un jour, on sera contraints de quitter nos maisons. »
Tristan Ragon
C’est cette urgence que le Festival Autrement tente de faire comprendre : le changement climatique n’est pas une abstraction. Il menace directement le patrimoine, les terres et la mémoire locale. Face à cette situation, la végétalisation de l’Alhambra prend tout son sens : elle incarne la volonté de reconnecter la ville avec la nature et d’insuffler un souffle d’espoir, en montrant que des actions locales peuvent participer à un changement global.
Yannick souligne que les effets du changement climatique ne relèvent plus du futur hypothétique, mais sont bel et bien une réalité concrète : « J’ai grandi à Calais. J’ai entendu parler de la dérive climatique. Et suite aux prévisions alarmistes des hydrologues, la sécheresse est arrivée, mon gazon s’est transformé en foin… Je me suis dit ça y est, nous y sommes. » Cette prise de conscience brutale met en lumière la vulnérabilité de la région face à la montée des eaux et aux événements climatiques extrêmes.
Le territoire calaisien n’est pas épargné par les transformations « les conditions de vie dans certaines régions de France deviendront identiques au Sahel » si rien n’est fait, nous explique Yannick. À travers le Festival Autrement, l’idée est justement d’alerter et de provoquer un réveil collectif. Les projections, les échanges et la végétalisation de l’Alhambra ne sont pas de simples gestes symboliques : ils incarnent la volonté d’inscrire ces problématiques dans la culture locale, en rappelant que les solutions doivent être pensées et appliquées ici et maintenant.
L’interview met en évidence une réalité préoccupante : face à l’urgence climatique, la réponse de la mairie de Calais est insuffisante. Le réseau de Watringues, qui protège Calais des inondations, incarne à lui seul cette inertie politique. Ce système, vital pour une ville en grande partie située sous le niveau de la mer, fait face à des défis croissants avec l’augmentation des précipitations et la montée des eaux. Mais au lieu d’anticiper et de renforcer ces infrastructures, les pouvoirs publics semblent attendre l’inévitable.
Autre symbole de cet immobilisme : le manque criant d’espaces verts à Calais. Alors que la ville pourrait se saisir du défi climatique pour repenser son urbanisme, les initiatives municipales restent frileuses. La végétalisation de l’Alhambra, portée par le Festival Autrement, se pose ainsi en contre-exemple : un geste modeste mais porteur d’espoir, qui prouve que des actions concrètes sont possibles.
« On a voulu verdir le hall du cinéma pour montrer qu’on peut ramener la nature en ville, même à petite échelle. Mais ce genre d’initiative devrait venir des politiques, pas seulement de citoyens engagés. »
Yannick Lemaire
En creux, le Festival Autrement pointe du doigt l’absence d’une vision politique à long terme. Tandis que d’autres villes adoptent des plans d’adaptation ambitieux, Calais semble encore hésiter à prendre le virage de la transition écologique. « Ce qu’on veut montrer à travers le festival, c’est qu’il est temps de passer à l’action. Il ne suffit plus d’en parler, il faut agir. Et si la mairie ne le fait pas, alors c’est à nous de montrer l’exemple. » Un message clair, qui résonne comme un appel à la mobilisation citoyenne face à l’inaction des pouvoirs publics.
« Quand on parle d’écologie, on nous prend souvent pour des illuminés, des extrémistes. »
Tristan Ragon
L’un des plus grands défis de l’écologie, c’est de convaincre. Parce que parler climat, c’est souvent se heurter à de l’indifférence, voire du rejet. Mais il y a un sujet qui fait toujours réagir : les enfants.
« Parle à quelqu’un de l’avenir de ses enfants, et là, il commence à écouter.»
Yannick Lemaire
Car il y a une réalité impossible à ignorer : les bouleversements climatiques ne sont pas un problème du futur. Ils sont déjà là. Et ceux qui en souffriront le plus sont les générations à venir. +4°C en France d’ici la fin du siècle. Ce que cela signifie ? « Un climat similaire à celui du Sahel. Des canicules invivables. Des sécheresses permanentes. Tout à coup, ce n’est plus un débat politique, c’est une question de survie. »
Aujourd’hui, beaucoup se rassurent avec des petits gestes : trier ses déchets, acheter une voiture électrique… Mais cela suffit-il ? Eh bien non. L’écologie ne peut pas être réduite à un catalogue de bonnes pratiques individuelles. Elle est systémique. Elle touche nos modes de production, nos modèles économiques, nos choix collectifs.
Le Festival Autrement veut justement élargir la réflexion. Ne pas se limiter aux solutions de surface, mais questionner le fond. Pourquoi continue-t-on à financer les énergies fossiles ? Pourquoi le ferroviaire, pourtant si écologique, est-il sacrifié au profit de la route et de l’aérien ? Pourquoi parle-t-on autant de responsabilité individuelle et si peu de responsabilité des grandes industries ?
Le Festival Autrement n’a pas la prétention de changer le monde. Mais il veut allumer des étincelles. « Planter des graines. Faire germer les déclics. Chacun peut repartir avec quelque chose, comme une envie d’agir, un projet à construire ou une prise de conscience. » pour Yannick.
« On n’a peut-être plus beaucoup de temps, mais tant qu’il y a une lueur d’espoir, on doit continuer. »
Tristan
📅 Rendez-vous du 29 mars au 6 avril à l’Alhambra de Calais.
Toute la programmation est à retrouver ici :
https://cinema-alhambra.org/la-gazette
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