Dans un contexte où les initiatives LGBTQIA+ peinent encore à émerger dans les zones périphériques comme le Calaisis, le Gouinezine se distingue comme une véritable bouffée d’air. Ce fanzine lesbien, joyeux et subversif, porté par Simone et Cécile Tempête, affirme haut et fort une culture lesbienne trop souvent réduite à l’invisible. Au-delà de pages bourrées d’humour, de réflexions et de références culturelles, Gouinezine s’inscrit dans une longue tradition politique : celle du fanzinage comme presse citoyenne auto-organisée.
Ce format DIY, né des mouvements punk et féministes des années 70-80, revendique l’auto-publication comme un acte militant. Il permet aux voix minorisées de se réapproprier leur narration, de construire des espaces d’expression affranchis des contraintes éditoriales traditionnelles, et de faire circuler des idées à la marge des canaux de diffusion classiques. À Calais, où les lesbiennes et autres minorités de genre doivent encore batailler pour leurs droits et leur visibilité, un tel projet est plus qu’un simple « cahier de vacances », c’est un outil de résistance, un vecteur de fierté, et une invitation à se rassembler.
Pour mieux comprendre l’histoire et les aspirations de cette initiative, nous avons rencontré ses deux rédactrices, entre anecdotes locales et réflexions sur l’empowerment collectif.
L’ENTRETIEN
“Un zine ça voyage et ça fait voyager,
tout y est possible, on l’a fait pour la liberté.”
Calais la Sociale
Alors chères consoeurs, qu’est-ce que c’est que cette idée de Gouinezine ? D’où vient cette histoire ?
Simone
Je dirais que les lesbiennes ont toujours manqué de représentations, d’espaces d’expression dédiés aussi, et que Calais ne déroge pas à la règle. Les lesbiennes sont souvent invisibles ! Et on a toutes les deux été en contact avec du fanzinage cette année grâce au THUG de FanLab [un agenda mensuel contre-culturel participatif imprimé sur une feuille recto-verso, chaque numéro est imaginé par un· e artiste différent· e], moi j’ai fait celui de juin, et Céline celui de mars. Donc perso ça m’a donné envie de faire des fanzines. Le sujet s’est imposé de lui-même !
Cécile Tempête
Je te rejoins Simone. L’idée est née dans l’ambiance politique délétère de Juin où les minorités de genre, dont les lesbiennes pouvaient se sentir menacées. On s’est dit : « faisons un cahier de vacances pour l’évasion, pour rassembler les gouines, pour continuer à nous marrer quelque part puisqu’ici c’est ambiance pourrie. » Un zine ça voyage et ça fait voyager, tout y est possible, on l’a fait pour la liberté.
Calais la Sociale
C’est vrai que lorsque j’ai ouvert le zine la première fois, j’ai senti un soucis de créer à la fois un espace d’hospitalité, comme un refuge, mais aussi quelque chose de vraiment marrant, histoire de se changer un bon coup les idées, une sorte d’exutoire. C’est quoi le quotidien quand on est lesbienne dans le Calaisis?
Simone
Hmm… Il y’a très peu d’espaces de rencontres et de partages de la culture lesbienne à Calais donc quand on se trouve on est contentes de pouvoir s’échanger des bouquins et des listes de films à regarder. Le Gouinezine c’est aussi pour faire espérer, faire émerger une communauté gouine à Calais !
Calais la Sociale
Est-ce qu’on peut dire que c’est l’organisation d’une Pride à Calais qui a permis de rendre possible ce genre d’initiative ?
Cécile Tempête
Je me suis posé cette question il y a peu. L’organisation d’une Pride à Calais a permis de faciliter des rencontres entre personnes LGBTQIA+ dans un esprit de luttes, sans oublier la joie. Ça a permis a beaucoup de monde de se rendre compte qu’une communauté existe ici par le nombre de personnes présentes (environ 600 en 2024).Personnellement j’ai participé a l’organisation et cela a renforcé mon identité gouine, ou du moins le sentiment de fierté de vivre pleinement mon identité. Ça passe aussi par un partage des cultures Lesbiennes et Queer, que ce soit via nos réseaux sociaux, nos discussions mais aussi nos virées collectives sur des évènements a Lille par exemple.
Même si à ce jour nous sommes deux gouines dans les coulisses du Gouinezine, nous savons désormais que nos lecteurices calaisiennes gouines (et allié.es) existent et attendent avec hâte le prochain numéro ! Donc oui, on peut dire que la Pride de Calais a permis d’ouvrir le Gouinezine et d’autres superbes projets, qu’ils soient en cours ou à venir. Il y a par exemple l’association Transvisibles qui vient de se créer par et pour les personnes Transgenre du Calaisis. C’est très empouvoirant d’organiser une pride!
« Il y a des LGBT à Calais, et c’est ok de le revendiquer, ou au moins de ne plus se cacher. »
Simone
Oui je pense comme Cécile que l’existence d’une pride à Calais a ouvert une porte : il y a des LGBT à Calais et c’est ok de le revendiquer, ou au moins de ne plus se cacher !
Calais la Sociale
J’ai trouvé mon exemplaire à l’entrée de la Timbale, où peut -on trouver le Gouinezine dans le Calaisis ?
Cécile Tempête
On dépose des gouinezines dans les lieux que nous fréquentons à Calais : la Betterave, la Timbale, le Channel, la MER, la Loco. Moi j’en emmène quand je pars en voyage, j’en ai déposé à Marseille par exemple. Dernièrement nous avons créé une page Instagram, ce qui le fait voyager encore plus loin. On nous a demandé des exemplaires sur Lille pour le Baragouine et le centre J’en suis j’y reste ainsi que sur Paris !
Simone
On va réfléchir à des façons de pouvoir le distribuer facilement à Lille, et selon les demandes on va voir pour proposer des envois – mais on ne veut pas trop de contraintes, on reprend le boulot toutes les deux ce mois-ci !
Calais la Sociale
Et vous avez d’autres idées pour développer le Gouinezine ? La rédaction est ouverte à d’autres personnes ?
Simone
On n’a pas encore vraiment discuté de ces questions-là. Ce que je peux dire de mon côté c’est qu’on va l’alimenter de façon assez variée, on a encore des idées pour de nouvelles rubriques.On a envie que ça crée un peu d’échange, donc on verra ce qu’on peut faire pour ça.
Pour l’ouverture de la rédaction, c’est sûr qu’on a envie que ce fanzine porte les voix de plusieurs personnes de la communauté. Il nous reste à voir comment ça pourrait fonctionner, pourquoi pas sous forme d’appel à contributions ! En tout cas on est super touchées des retours et des contacts qu’on a déjà eu via l’insta et le mail du zine, on a hâte de la suite, rendez-vous en février pour le numéro 3 !
Cécile Tempête
Tant qu’on sera gouine, on aura des idées et l’envie de se marrer! Vivre lesbienne est une joie immense !
Sans vouloir spoiler le prochain numéro, il paraît que les violettes fleurissent dès février…