Les disparus n’ont pas le droit de périr

Oussama a 20 ans, et il cherche son père. Le 23 octobre dernier, avec plusieurs dizaines de personnes, ils ont pris la mer pour tenter de se rendre en Angleterre afin de rejoindre deux de ses frères. Ils sont Syriens, d’Alep, avec tout ce que cela implique. Cette nuit-là, le bateau a sombré, et depuis deux semaines, Oussama, désormais seul en France, cherche son père.

Osama Ahmed, dans la maison d’accueil où il nous reçoit, à Calais. Il est sans nouvelle de son père, Ahmed Ahmed, depuis le 23 octobre.

Est-ce que vous comprenez ? Le traumatisme du naufrage ? L’attente, l’angoisse, la solitude ? Pour interpeler les autorités, et briser cette attente insoutenable, Oussama, a décidé de médiatiser l’affaire. Il dit : « Cela fait deux semaines que je suis sans nouvelles de mon père, et chaque seconde, je meurs ».

Osama Ahmed nous montre une photographie de son père, AHmed Ahmed, dont il est sans nluvelle depuis le naufrage du 23 octobre 2024.

Au moins 463 personnes ont perdu la vie à la frontière franco-britannique depuis 1999. Mais à côté de ce chiffre, il y en a un autre, fantôme : celui du nombre de personnes disparues, dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Lors du naufrage du 23 octobre dernier, au moins 13 personnes ont disparu. Mais le bilan officiel, celui partagé par les autorités, ne fait état que de 3 décès.

Dans un article d’Infomigrants consacré au témoignage d’Oussama, il y a ces quelques phrases, d’une absurdité folle : « Contactée par InfoMigrants, la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord assure ne pas être informée de la disparition de ces 14 personnes. Elle explique par ailleurs que les autorités ne comptabilisent les disparus que si leur corps est aperçu en mer avant de disparaître dans l’eau. Contrairement à l’Organisation internationale des migrations (OIM), la préfecture ne s’appuie pas sur les témoignages des rescapés pour établir un bilan des disparus. »

Pardon ? Comptabiliser les disparus en fonction des corps aperçus en mer puis perdus de vue ? Ne pas s’appuyer sur les témoignages des rescapés ? C’est soit absolument stupide, soit la pire excuse qui ait été trouvée pour justifier le fait de ne pas avoir cherché à savoir proactivement si des gens, des personnes humaines, manquaient à l’appel.

Osama Ahmed nous montre sa jambe, brûlée au second degrée par l’essence présente dans la bateau avant le naufrage.

Et la détresse, et la douleur des rescapés et des familles, sur place ou bloqués à l’étranger ? Avec Maël, Simon et Maïa nous avons rencontré quelques unes de ces personnes, dans le cadre d’un article paru dans Médiapart. Elles ont fait état d’un sentiment général d’abandon de la part des pouvoirs publics. Et de fait, aucune cellule d’information, aucune offre de soutien psychologique, n’a été proposée par l’État. Des gens ont vécu un naufrage. Ils ont failli se noyer, ils en ont vu d’autres se noyer. Ils ont été blessés — Oussama a été brûlé au second degré par l’essence présente dans le bateau. Ils sont ont perdu des proches. Et ils ont été laissés là, après un interrogatoire de plusieurs heures destiné à identifié les passeurs, libres de retourner se casser la tête et le cœur sur les campements boueux, sous les toiles de tentes fines, dehors, jusqu’à la prochaine expulsion (ces opérations policières qui ont lieu tous les deux jours, visant à empêcher les gens d’avoir un semblant de stabilité).

Alors voilà. Devant tant d’absurdité, devant l’abandon clair et assumé de nos valeurs, celles qui disent que toute vie humaine est digne et se doit d’être respectée, je reste interdite. Oussama a de l’espoir. J’ai le cœur en miettes.