Pride contre l’air haine ! avec le collectif de La Marche des fiertés calaisienne

L’activisme bat son plein ces temps-ci dans le Calaisis ! Tandis que le Nouveau Front Populaire organise son troisième rassemblement en quinze jours, les membres du collectif de La Marche des fiertés qui portent pour la plupart ces deux casquettes militantes travaillent à plein régime dans l’organisation de la deuxième Pride calaisienne. Nous avons reçu à domicile Clara, Moon, Noé et Thaïs pour discuter de la condition queer et transgenre dans le Calaisis et l’importance d’une Marche des Fiertés dans un moment de rétropédalage général sur les libertés des citoyen·es mis·es en minorité.

Propos recueillis par Pierre Muys et Marine Deseille le 25 juin 2024.

« A Calais, quand t’es transgenre, tu te sens vraiment seul·e »

Crédit photo : Arthur Vleirick

Pierre (Calais la Sociale) :

C’est quoi la marche des fiertés?

Moon (Collectif de la Marche des fiertés)

C’est vrai qu’il y a quand même pas mal de gens qui ne savent pas vraiment ce que c’est… La Marche des fiertés c’est une manifestation pour être fier·e d’être soi-même. C’est un jour qui célèbre toute identité queer et transgenre.

Pierre

Et être queer du coup qu’est-ce que ça veut dire ? 

Clara (Collectif de la Marche des fiertés)

Queer, de manière littéraire ça veut dire “bizarre” en anglais. Plus largement, ça veut juste désigner quelqu’un qui se situe en dehors de la norme. Et cette norme si on devait la résumer, ce serait la norme plutôt hétéro patriarcale. La marche des fiertés est un jour de lutte et de célébration de cette différence. C’est pouvoir revendiquer le droit à cette différence. Il n’y a pas de façon d’être qui soit plus légitime que d’autres, ni de façon d’aimer qui serait plus légitime que d’autres. Il n’y a pas de façon de faire famille plus légitime que d’autres tant qu’elles se font dans le respect et l’amour. C’est ça le message qui est défendu, c’est un moment pour revendiquer ça. C’est un moment aussi – à Calais c’était hyper important pour la première édition l’année dernière –  pour se rencontrer. Dans les villes de petite taille et les campagnes, c’est difficile et moins visible d’être différent, d’être Queer, qu’à Paris ou dans d’autres grosses villes. Ici il n’y avait pas forcément de représentations ou de moments pour rencontrer la communauté, pour savoir qu’on n’est pas seul·e quand on se construit pendant l’adolescence. 
L’année dernière, je pense que plus de 50% des personnes qui participaient à la marche  étaient mineures ou très jeunes… ça témoigne de ce besoin ici de se fédérer, de se retrouver.

Pierre

Justement, l’édition de l’année dernière fut-elle pour vous une réussite ?

Clara

Franchement on a halluciné le jour J. On était sur le parvis du théâtre et on voyait les gens arriver tous les côtés. On se regardait et on n’y croyait pas, tellement c’était fou pour nous. On était cinq à six cent personnes !

Moon

En tant que personne mineure et transgenre, la marche m’a permis de voir que j’existais aussi dans ma ville. C’est pour ça que j’ai rejoint l’organisation, parce que dans cette ville on manque vraiment de représentation. 

Noé (collectif de la marche des fiértés)

La Marche nous a permis de nous rendre compte qu’on n’était pas tout·e seul·e. A Calais, quand t’es transgenre, tu te sens vraiment seul. Il y a des gens qui se cachent toute l’année, il y a juste cette journée-là qui leur permet d’être un peu plus libre, d’être eux-même. C’est triste.

Crédit photo : Arthur Vleirick

Pierre

Je me demande en vous ayant vu samedi dernier à la manifestation intersyndicale pour le Front populaire si la marche des fiertés vous a permis de vous sentir légitimes à vous mobiliser dans d’autres luttes ?

Moon

Je ne sais pas si j’y serai allé en tant que moi-même avant la marche des fiertés. Peut-être que j’y serai allé, mais  pas en tant que Moon quoi, j’aurais continué à me cacher.

OPPRESSION ET INVISIBILISATION

Clara

Tu parlais du Front populaire, je veux bien rebondir là-dessus… Je pense qu’on défend les mêmes choses et qu’on lutte contre la même menace qui est une menace de domination hétéro, patriarcale, capitaliste. C’est pour ça qu’il est intéressant pour nous de rejoindre le monde ouvrier : on cherche à s’émanciper d’une espèce de même force qu’on subit et qu’on n’a pas forcément choisi. Beaucoup de personnes souffrent de ces multiples oppressions. A Calais, la lutte de la frontière fait aussi écho. C’est une situation qui empêche aussi d’exister là où on veut, de la manière qu’on veut, et à cet égard là on défend la même chose. Notre pride est ouverte à toutes ces questions. C’est une pride radicale et citoyenne, non sponsorisée, faite pour être politiquement la plus radicale et la plus large possible. On défend les droits non seulement de la communauté queer mais on défend plus largement la liberté de chacun d’être ce qu’il est contre l’oppression. 

Pierre

Tu fais un rapprochement avec la situation des exilés. Toute la journée j’étais avec un ami qui venait de Paris et il s’étonnait de ne pas voir de personnes exilées dans les rue…

Clara

L’invisibilisation… C’est qu’on va cacher nos existences… L’existence des personnes exilées, l’existence des personnes différentes. Je pense qu’à Calais il y a un très fort effort fourni pour invisibiliser. Pour autant, on est très nombreux et nombreuses à vouloir respirer, à vouloir être visible dans l’espace public autant que les autres et ça englobe carrément les personnes exilées. 

Pierre

Mais comment ça se fait justement cette invisibilisation des gens? Qu’est-ce qui fait qu’on ne vous donne pas autant de tribunes et d’espaces que d’autres personnes ? Pourquoi on vous met à l’écart ? 

Thaïs

C’est la norme. Maintenant la norme c’est un homme blanc d’âge moyen et c’est ça qu’on veut montrer, c’est le monde idéal. Si je je mets en rapport avec mon milieu qui est l’informatique, les femmes sont invisibilisées dans l’informatique. C’est des minorités.

Noé

Les différents profils mis en avant sont juste ceux que la société veut voir… Pour nous qui sommes transgenres, Nous sommes rejetés à Calais dans un sens où on ne peut pas dire nos pronoms. Par exemple moi on va m’appeler « madame Noé », c’est un petit truc mais ça me pique beaucoup.

Moon

Moi on va me demander mon nom de naissance souvent… On peut perdre pas mal d’offres d’emploi en étant trans, en étant juste nous.

Noé

J’ai dû refuser une offre d’emploi justement parce qu’on n’acceptait pas que je sois trans. Tout le monde m’appelait Madame… Je ne pouvais pas être moi-même dans mon travail. Mais j’ai appris à me mettre moi d’abord. Avant j’étais comme les autres trans de Calais, je m’écrasais et laissais juste ma place aux autres, je me disais : « bon tant pis c’est qu’un pronom… » mais en fait maintenant je ne peux plus, je sais que c’est important alors je pense à moi d’abord. Si l’employeur l’accepte pas, j’y vais pas. 

Queer sous air HAINE

Pierre

C’est quoi le quotidien d’une personne queer ou transgenre à Calais en 2024 ?

Moon

C’est comme vivre sous l’eau en fait. C’est regarder partout, tout le temps si on n’est pas en danger, Je fais attention à ce que je dis pour pas avoir l’air trop trans… Genre est-ce qu’avec mes cheveux longs je pourrais suffisamment rester dans la case féminine… C’est la peur quotidienne, tout le temps, partout où je suis.

Pierre

Pour revenir à la Marche des fiertés de samedi, quel est le programme ?

Clara

La journée se fera en deux temps : Il y aura un premier qui commencera à 14h30 au théâtre. Voilà, c’est hyper important pour nous d’être à cet endroit parce que c’est une artère centrale de la ville et qu’on a envie d’être visible. C’est un lieu où on ne pourra pas ignorer la mobilisation. Il y aura un village associatif pendant une heure et demie avec un temps dédié à la sensibilisation et la prévention. Avec SOS Homophobie avec l’ADIS, avec le Caarud, Pas à Pas, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, le Planning Familial 62. Donc c’est un moment pour avoir accès à l’information de l’écoute en bienveillance, il y aura des stands à prix libre, nous on va tenir un stand de merch queer de drapeaux, d’accessoires, de créations de Thaïs, Moon et Noé.
On fait pas mal de moments prix libres pour financer la Pride pour que ça reste un moment citoyen avec un financement 100% citoyen. Donc l’argent qu’on récoltera nous permettra de faire l’édition l’année prochaine. il y a ce temps là avec Maison Mer qui mixe sur le parvis.
Et il y aura une performance des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence qui est donc un collectif qui est à l’origine est né par un groupe de militants homosexuels en 79 à San Francisco je crois, qui militait beaucoup au départ au sujet du sida, mais ça s’est élargi pour un message de prévention sexuelle et d’amour et d’acceptation. 
Le départ de la marche se fera à 16h jusqu’à la Place d’Armes. Avec deux DJ queer de Lille : DJ Fantômette et DJ Pelleteuse.

Il y aura plusieurs temps de discours militants et de prises de parole. On pense souvent au côté festif de la Pride, mais c’est avant tout un espace de lutte parce qu’il y a beaucoup de droits qui ne sont pas acquis et beaucoup d’autres qui sont remis en question. On est en plein cœur de ces enjeux cette semaine [avec les législatives et un vote RN à plus de 50% dans le Calaisis aux élections européennes]. Il y a un besoin de se mobiliser pour défendre nos droits, et pour pas qu’il se passe ce qui peut se passer dans d’autres pays d’Europe. En Italie, le second parent dans un couple lesbien, n’a plus de droit administratif sur son enfant. En Pologne il y a un tiers du pays qui est en zone anti LGBT, en Russie être LGBT c’est être qualifié de terroriste… Il y a beaucoup de montée de la haine. C’est important pour nous d’être là, surtout une veille d’élection.

Pierre

Quelles pourraient être vos revendications localement, pour faciliter la vie quotidienne, limiter la peur ? 

Moon

Que les gens soient plus tolérants, moins ignorants, ça serait déjà beaucoup ! Si les gens s’éduquent avec le temps, les endroits où on ira seront plus safe aussi. On se sentirait aussi d’avantage en sécurité avec une police plus “queer friendly”…

Thaïs

Rien que pouvoir se balader sans avoir peur en donnant la main de sa copine en étant soi-même, c’est déjà beaucoup ça serait déjà pas mal d’un point de vue local. 

Noé

Moi, juste pour survivre je me suis effacé. Et après avoir fini toute ma scolarité j’ai pu me mettre “out”, en dehors du placard parce que là je me suis dit que ça serait plus safe, que ça serait le bon moment. Et après j’ai gagné en assurance. C’est toujours dur, même maintenant que je suis “out” je suis toujours pas en sécurité mais maintenant j’ai assez de confiance d’être moi.

Clara

Pour rebondir sur ce que tu disais Noé, je pense que l’ignorance est au centre. Les gens ont peur de ce qu’ils ne comprennent pas : c’est valable pour la question queer, pour l’exil… Les personnes qui travaillent dans l’éducation, dans l’aide sociale, dans la police, c’est difficile de pouvoir compter dessus dans la mesure où elles exercent elles-mêmes cette violence là… Aujourd’hui on a besoin de cette documentation là, que des personnes sachent de quoi il s’agit, sachent quels sont les parcours de vie, connaissent les termes. Même à l’heure actuelle, on vous donne jamais l’occasion de dire votre pronom [il, elle, iel]. Pour beaucoup de gens, ça n’existe même pas ces identités-là et du coup c’est dur d’être accepté quand c’est même pas imaginé ou simplement rejeté.

Moon

J’ai 22 ans et c’était la première fois cette année qu’on m’a demandé mes pronoms. C’était avec le collectif. On ne m’avait jamais demandé ça de toute ma vie…Et en fait juste le fait qu’ils et elles se sont tous·tes présenté·es en disant leurs pronoms, je me suis senti vraiment en sécurité.

A Nos allié·es

Clara

La Pride peut faire peur à des personnes qui ne se sentiraient pas comme faisant partie de la communauté. Alors c’est important d’insister sur le fait que notre marche est ouverte à tout le monde et que cette lutte ne se gagnera pas sans allié·es. Ça n’a aucun sens si c’est nous quatre ce soir, ou 10 dans le collectif qui marchons pour nos droits. Dans l’histoire des luttes, il y a toujours eu le soutien de personnes qui ne sont pas directement concernées par les oppressions. Ce qui est important c’est que ce moment puisse réunir des allié·es, des soutiens et donc absolument tout le monde est bienvenue, dans la bienveillance. C’est important qu’on soit nombreux et c’est important qu’il y ait des hétéros, c’est même essentiel, tout comme il est essentiel que des hommes se mobilisent pour les droits des femmes. L’année dernière il y avait des bébés, il y avait des poussettes ! En fait c’est trop beau. Vous avez un enfant, c’est des questions que vous vous posez… Nous c’est le monde que l’on a envie de voir, avec des enfants qui peuvent être qui ils veulent quand ils grandissent.

Crédit photo : Arthur Vleirick

Marine (Calais la Sociale)

On a habité à Lille pendant longtemps et je me souviens de lieux ressources qui ont mis du temps à être construits, je pense à la création de cafés comme Chez Violette… Ca serait cool qu’il y ait des lieux similaires à Calais, ça serait top des lieux ressources peut-être qui permettrait aux gens déjà de se réunir, que ça soit porte ouverte aussi à des personnes qui en auraient besoin de se reconnaître et d’être accueilli. Quand Moon tu dis, en parlant du collectif de la Marche, que c’est le premier endroit – imagé – où l’on s’est intéressé à toi et à qui tu étais vraiment… je me rends compte qu’il n’y a rien en fait…

Moon

On allait à Lille pour avoir le droit de faire des choses.

Clara

C’est pour ça qu’on a monté le collectif, à partir de ce constat qu’il n’y avait rien.

Marine

Votre collectif existait avant la Marche ?

Clara

En gros on était des potes ou potes de potes à émettre le même constat, qu’il n’y a rien, ni endroit ni Pride, que c’était pas normal. Ca fait cinquante ans qu’il y en a une à Paris, trente ans à Lille… Et au delà de cette marche qui manquait on était incapable de savoir exactement si on était plusieurs, nombreux… Calais c’est quand même 70 000 personnes et on ne connaissait pas d’autres gays, lesbiennes, trans à part quelques un·es. Donc on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose pour essayer de fédérer et voir la communauté qu’il pouvait y avoir

Marine

En fait, cette marche a surtout fait en sorte de créer un collectif qui perdure dans le temps.

Clara

C’est ça, c’est via ce collectif qu’on a monté ces événements. Après, tu parlais d’endroits, de bars etc. c’est du temps long… Je pense que des choses vont se faire mais là en gros on sème les graines. En fait, la possibilité d’exister, de se montrer et de se revendiquer est vraiment un travail qui s’inscrit sur la durée.

Thaïs

A côté de la marche on a organisé un ciné-débat à l’Alhambra. On a projeté le film Pride sur la convergence des luttes avec des ouvriers, suivi d’une conversation avec Marie Docher. On a fait également des soirées troc-dressing à deux reprises à destination des personnes queer, trans, non-binaires. 

Clara

Ces moments permettent de se refaire sereinement une garde-robe dans un parcours de transition. C’est quelque chose auquel on ne pense pas vraiment ça coûte pas mal d’argent en fait de s’accepter comme on est.

Pierre

Il y a aussi lors de ces temps de troc cette notion de “safe space” qui garantie que tel endroit est sécurisé pour le public qui y vient. ça vous permet de pouvoir essayer et tenter des fringues sans avoir à vos inquiéter du regard des autres, contrairement à des essayages en magasins beaucoup plus normés sur la question du genre.

Moon

C’est beaucoup plus compliqué dans un magasin, ouais… On va avoir des remarques quand même du style: “Mais madame c’est pas le côté femme ici…” C’est important d’avoir ce genre d’événement au début. 

Noé

Je me rappelle au début de ma transition, J’allais encore dans des magasins style H&M. J’allais côté homme et pour moi c’était un move de fou je prenais le vêtement et je me barrais tout de suite avec ! 

Crédit photo : Arthur Vleirick

pride toute l’année

Marine

Votre collectif dans 5 ans, vous le voyez comment ? 

Noé

Dans ce ce qu’on fait, ce qui me rend triste c’est que ça dure un mois. J’aimerais trop que ça dure toute l’année ! Que ça soit une famille tout le temps, qu’on se voit même sans événement, juste parce que ça fait du bien.

Moon

Moi c’est la même chose, J’aimerais avoir plus d’événements. Pour les personnes LGBTQI+ sur toute l’année pour qu’on puisse aider plus de personnes parce qu’il y a des personnes queer qui sentent mal tout l’année et pas seulement le mois de juin donc je pense que ça serait important que ça s’élargisse.

Thaïs

Ouais, que ça se pérennise dans le temps. Que ça ne soit pas juste le mois des fiertés mais l’année des fiertés. La vie des fiertés. Tout le temps ! Pour que les gens se sentent moins seuls et plus connectés, qu’on crée plus de liens entre les personnes.

Clara

 Le collectif peut devenir tout ce qu’on a envie que ce soit et tout ce que les personnes qui veulent nous rejoindre ont envie que ce soit. Cette année c’était ouvert, plein de personnes sont arrivées. Mais on est toujours pas représentatif de la diversité des identités et on ne le sera sûrement jamais parce que c’est complexe mais il faut qu’on soit de plus en plus nombreux, de plus en plus nombreuses !