Mardi 28 mai, les cheminots calaisiens de la CGT sont allés manifester à Paris avec des collègues venus de tout le pays. Une manifestation pour s’opposer au projet libéral du gouvernement et à la course aux profits qui met en danger les transports ferroviaires, leurs usagers et leurs travailleurs. Jérôme Mignien travaille dans la maintenance ferroviaire à Calais et est secrétaire général de la section calaisienne de la CGT cheminots. On lui a posé quelques questions.
Calais la Sociale
Comment ça se fait que vous êtes allés à Paris hier ?
Jérôme Mignien
Notre première revendication est contre la libéralisation des transports ferroviaires européens. Ce n’était pas seulement une manifestation française, mais aussi européenne. Il y avait quelques représentants de syndicats anglais, belges et d’autres pays. C’était pour un service public ferroviaire de qualité partout en Europe. Pour dire : stop à la libéralisation dans tous les pays.
On l’a vu en Angleterre : ils ont libéralisé le transport ferroviaire, pendant des années ça a été une catastrophe. Dans d’autres pays, ils sont plus ou moins avancés sur le sujet et à chaque fois le problème est le même : ça fait des profits à court terme, mais à long terme c’est un manque de sécurité, des trains qui ne sont pas à l’heure, des problèmes sur le réseau et un coût énorme pour l’Etat. Parce qu’après c’est l’Etat qui doit reprendre la main et c’est une horreur. Il y a des morts aussi, parfois, dans des accidents graves. A chaque fois c’est le même schéma.
Calais la Sociale
Concrètement, ça signifie quoi la libéralisation des transports ferroviaires ?
Jérôme Mignien
Si on prend l’exemple de la France, c’est l’ouverture à la concurrence, et cela au sein même de la SNCF avec des sociétés, des filiales, des holdings, etc. On va aussi mettre sur le marché des sociétés comme Transdev, Régionéo, c’est-à-dire une multitude d’entreprises ferroviaires qui vont se concurrencer les unes les autres sur différents marchés, sur différentes lignes, dans différentes régions. Ça va, soit disant, booster le marché du transport ferroviaire jusqu’à faire baisser les prix, améliorer le service mais c’est une gabegie.
La réalité, c’est que tu ne fais pas d’argent sur le transport ferroviaire. Au contraire, souvent tu vas aller chercher l’argent en limitant les dépenses. Mais c’est toujours au détriment de l’usager qui prend le train. Parce que tu vas économiser sur la maintenance, sur le personnel, sur plein de choses. Ou alors, tu vas augmenter le tarif. Finalement, c’est toujours les gens qui prennent le train qui paient les conséquences.
Calais la Sociale
C’était pas seulement une manifestation sur le fret alors ?
Jérôme Mignien
Non. Ce que dit la CGT et ce que disent les syndicats européens qui sont proches de nous, c’est que le fret a expérimenté l’ouverture à la concurrence en premier. En France, ça fait une vingtaine d’années que le fret est ouvert à la concurrence. Et quand ils ont fait ça, ils ont dit : “Vous verrez, la part du gâteau va augmenter quand on va mettre des entreprises privées là-dedans parce que c’est l’économie de marché, vous allez voir, les parts de marché vont augmenter”. Au final c’est pas ça, non seulement la part du gâteau s’est réduite mais en plus il y a des dizaines d’entreprises différentes.
Donc en vérité, c’est un désastre total, ça ne fonctionne pas, tout le monde se tire dedans. Le transport ferroviaire est pire qu’il y a 20 ans. C’est une tuerie. Et là, cette année, ils annoncent la fin du fret SNCF parce qu’ils ont décidé de se désengager totalement du fret. A terme, dans les 20 ans, c’est ce qu’il risque d’arriver à la SNCF parce que l’ouverture à la concurrence ne règle rien, au contraire, ça flingue tout, ça casse le modèle du transport ferroviaire.
Calais la Sociale
Et ce serait quoi un service public ferroviaire digne de ce nom ?
Jérôme Mignien
Ce serait que l’Etat prenne en main le service ferroviaire et y mette les moyens. Y mettre les moyens, ça veut pas dire dépenser des milliards d’euros sans compter et jeter l’argent par les fenêtres. C’est faire ce qui a été fait il y a quelques années, on a rien à inventer. Avant la SNCF, il y avait plusieurs entreprises privées en France, il y en avait 4 ou 5. Et il se passait ce qu’on dénonce maintenant : les entreprises se tiraient la boule et quand tu voulais prendre un train et traverser la France, il fallait passer par plusieurs entreprises et prendre plusieurs billets et c’était la galère. Et quand la SNCF a été créée, tu prenais plusieurs trains différents mais un seul billet de train et tu savais que ton parcours était clair.
Nous ce qu’on veut, c’est ça. Que l’Etat crée une seule entreprise publique et qu’il mette les moyens dans l’entreprise pour avoir un niveau de sécurité élevé et une qualité de service pour les usagers. Et ne pas se retrouver avec de multiples entreprises qui ne pensent qu’à une chose. Parce que, ces entreprises privées, quelles qu’elles soient, quel est leur but ? C’est de faire du profit, de faire de l’argent. C’est compréhensible : on ne va pas reprocher à une boîte privée de faire de l’argent. Mais dans un service public, ce n’est pas le but.
Calais la Sociale
Parce que c’est faire de l’argent en réduisant le coût du travail et ne plus vous permettre de travailler correctement.
Jérôme Mignien
Oui. Prenons l’exemple du TER car on va être une des premières régions ouvertes à la concurrence. Le prix du billet de train est fixé par le conseil régional et il est bloqué. Donc l’entreprise privée ne pourra même pas faire plus d’argent en augmentant le prix du billet et elle sera obligée de faire des économies sur la maintenance, les effectifs, les infrastructures. Donc forcément, ça va bloquer les choses. A un moment, on va parler d’économies, mais quand on parle d’économies dans le train, c’est des économies sur la maintenance du train, sur le réseau ferroviaire, sur les effectifs, sur la qualité ou la sécurité. Ça peut être très grave. Quand tu fais rouler les trains à 160, 180 ou 200km/h, tu t’arrêtes pas comme une voiture. Ça peut être très dangereux à un moment donné.
Propos recueilli par Valentin De Poorter, le 29 mai 2024.