Cap vers la catastrophe maritime ? Entretien avec Romain Merlen de l’ONG Marine Life Channel

Dans le cadre de notre focus sur le Plan Climat, nous avons discuté avec Romain Merlen, président de l’ONG Marine Life Channel afin de discuter des des enjeux écologiques liés au littoral calaisien d’ici 2050. Entre pêche industrielle, pollution liée au trafic Transmanche et aux bombes immergées ou encore risques de submersion marine, Romain tire la sonnette d’alarme à propos de problématiques locales qu’il est plus urgent que jamais de régler avec un Plan Climat qui se doit d’être construit avec une ambition aussi haute que les périls à venir.

Romain Merlen
Moi c’est Romain, je suis infirmier de formation. J’ai 35 ans, je suis calaisien et président de l’ONG Marine Life Channel, une organisation non-gouvernementale qui a été créée en avril 2021 à Calais.

Notre combat, c’est la lutte contre la pollution marine et nous avons trois grandes missions : d’abord, la première, consiste en des actions de dépollution. C’est ce qu’on fait au quotidien avec Unis-Cité par exemple, la Fabrique Défi. Donc avec des jeunes, on va ramasser des déchets sur les plages et l’idée, par la suite, c’est de les valoriser, c’est-à-dire de les transformer avec des imprimantes 3D, etc. Ça, c’est un projet qui est en cours justement pour en faire des produits qu’on va revendre au bénéfice de l’association.

La deuxième, c’est de la sensibilisation. On intervient auprès de l’université, auprès de l’ULCO par exemple, dans les écoles, auprès des jeunes, pour sensibiliser sur la pollution marine. Parce qu’il faut savoir qu’au niveau du détroit du Pas de Calais, qui est le détroit plus fréquenté du monde, il y a un trafic maritime qui est très très important. C’est aussi un détroit qui est fréquenté par des mammifères, par des requins… par beaucoup d’espèces.
Et la dernière de nos missions, c’est l’analyse, l’enquête. L’idée, c’est de voir un peu l’impact de la pollution sur la biodiversité, donc à travers des analyses de poissons, par exemple, des organes hépatiques pour voir si on retrouve des PCB, des métaux lourds, etc…

Calais la Sociale
Calais en 2050, ça donnerait quoi ?

Romain Merlen
2050, le GIEC nous alerte qu’on aura les pieds dans l’eau, un petit peu comme dans les Pays-Bas et au niveau de la Belgique. Il y a pas mal de zones côtières qui vont être les pieds dans l’eau. Alors aujourd’hui, c’est déjà le cas pour beaucoup de pays. Je parle souvent dans mes formations du Bangladesh, qui a un tiers de sa superficie qui est sous l’eau pratiquement chaque année. Et tout ça, ça va entraîner des flux de migrations énormes, des coefficients de marées assez importants. Ici, au niveau du port, il y a déjà eu un effondrement, l’eau est vraiment à ras-bord. Il y a un glacier en Antarctique qui menace de s’effondrer, le glacier Thwaites, qui risque de faire élever de 60 cm le niveau de la mer. Ce qu’il faut aussi noter c’est qu’on est dans une boucle, que la planète est en interdépendance. Tout est lié.

Aujourd’hui l’océan est le plus grand puits de carbone. Il en capte la grande majorité, presque 70 % des activités humaines en terme de dioxyde de carbone, à travers la photosynthèse, à travers le dioxyde de carbone qui tombe justement, qui se dissout dans l’océan. Mais il se dissout surtout quand l’océan est froid. Et le problème du réchauffement climatique, c’est que l’océan se réchauffe. Donc quand je parlais de boucle justement, c’est qu’il y a de plus en plus de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et on en a de plus en plus dans l’océan. L’océan a de plus en plus de mal à absorber ce dioxyde de carbone, ça provoque des réactions en chaîne qui font qu’aujourd’hui on est presque face à un basculement. Ce pose vraiment question. Aujourd’hui, on voit que les choix politiques, et notamment au niveau étatique, vont contre la logique qui serait de diminuer ça.

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Comment faire donc pour diminuer ça ?

Romain Merlen
Nous dans nos formations, à Marine Life Channel, on privilégie l’eau du robinet. Ça a été prouvé par des scientifiques que ça a un coût environnemental forcément beaucoup moins conséquent que l’eau en bouteille. Il y a beaucoup moins de plastique, donc beaucoup moins de pesticides, moins de PCB, moins de particules de plastique… C’est bon pour la planète et c’est bon pour le corps.

La problématique néanmoins, c’est qu’aujourd’hui on se demande qui analyse la qualité de l’eau, on se demande qui suit un petit peu ce qui se passe aujourd’hui, et même à Calais. J’ai appris il n’y a pas longtemps que la rivière Neuve se déversait directement dans la mer, sans aucun système de filtration. C’est la rivière qui arrive par la citadelle et qui va se déverser directement dans le bassin des chasses, et puis après dans le bassin du Paradis et après, directement dans l’océan. Et en fait, certains déchets qu’on retrouve lors de nos actions de dépollution qui sont drainés et qui arrivent par exemple dans le bassin du paradis ou alors sur nos plages, viennent directement de tout ce qui est jeté dans les cours d’eau, de tout ce qui est jeté dans les canalisations, de tout ce qui est jeté dans les lavabos, de tout ce qui était dans les baignoires, dans les toilettes. Tout ça, on le retrouve dans les océans. Aujourd’hui, on analyse la qualité de l’eau à travers la seule analyse de l’Escherichia coli. C’est à dire qu’on recherche uniquement une bactérie pour dire si l’eau est de bonne qualité ou de mauvaise qualité.

Vous avez dû remarquer que quand il pleut à Calais, quand il y a de grosses précipitations (ce qui va être de plus en plus fréquent avec le réchauffement climatique), les stations d’épuration sont un petit peu à saturation. Et en fait, c’est souvent corrélé avec les interdictions de baignade. Parce que tout est déversé directement, sans filtration dans l’océan et qu’on relève du coup des quantités de bactéries d’Escherichia coli trop importantes. La qualité de l’eau, c’est pas que ça. La qualité de l’eau c’est la faible quantité de métaux lourds, c’est le plomb, c’est le mercure, c’est les pesticides. Je veux dire, il y a plein de choses qu’on peut trouver, rechercher dans l’eau. Pour dire si la qualité de l’eau est bonne ou pas.

Chez Marine life Channel, ça nous tient à cœur, on va entamer un programme sur deux ans d’analyse de la qualité de l’eau pour voir si les industries tiennent leurs engagements, filtrent bien leurs eaux. On a beaucoup d’industries à Calais, pharmaceutiques par exemple. Il y a beaucoup d’industries qui peuvent rejeter des choses qui peuvent être nocives aussi pour l’environnement.

Il faut savoir qu’il y a environ 700 à 800 cargos qui transitent au large de nos côtes chaque jour. Il y a 50 000 à 80 000 ferries qui font les allers-retours entre la France, l’Angleterre, l’Irlande chaque année. Et ça, ça pose une vraie problématique en terme de pollution atmosphérique. Il faut savoir qu’à Calais la deuxième cause de pollution atmosphérique après la pollution industrielle, c’est la pollution des bateaux. Avant la pollution automobile. Et en fait, on se rend compte que les bateaux, il n’y a pas beaucoup de contraintes. En tout cas, il n’y a pas beaucoup de contrôles. Pour vous donner un exemple, un ferry en terme de soufre pollue autant que un million de voitures. Et ces bateaux, utilisent aussi du fioul lourd, ils utilisent aussi, on n’y pense pas forcément, des peintures qui vont être refaites très régulièrement et qui vont aussi aller polluer la biodiversité marine. Aujourd’hui, on retrouve chez les poissons, chez les mammifères marins, des taux de contamination aux peintures de bateaux par exemple. Alors je vais pas vous donner des termes techniques, mais également aux PCB également aux métaux.

Il y a aussi la pollution marine des armes immergées. On sait qu’il y a des tonnes d’armes immergées, des armes chimiques, gaz sarin ou gaz moutarde, qui arrivent aujourd’hui à corrosion et qui sont entreposées au large. La problématique, c’est que c’est un secret défense aujourd’hui, qu’on n’a aucune indication sur l’emplacement véritable de ces cimetières. Et ça, ça pose aussi une grosse problématique parce qu’il n’y a rien qui est fait par rapport à ça. On demande au moins une transparence par rapport à ça, que les associations, les ONG, puissent au moins agir en analysant, en regardant s’il y a des risques pour la population. Il peut très bien y avoir des pêcheurs, c’est déjà arrivé, qui relèvent des bombes dans leurs filets, avec des bombes qui explosent, des personnes qui sont blessées. Ça, c’est une première possibilité. Il y a tous les risques d’explosion, qui peuvent poser des problèmes à l’écosystème marin. Il y a toute la problématique de fuites chimiques qu’on peut retrouver dans les animaux, et les animaux, qui les mange au final ? C’est nous.

Aujourd’hui, on retrouve du plastique chez tous les êtres humains. Et en France, on consomme environ cinq grammes de plastique par semaine, l’équivalent d’une carte de crédit. Donc c’est déjà énorme et c’est important de savoir ce qu’on mange et pour une population côtière comme nous, à Calais, qui consommons des produits de la mer, je trouve que c’est important d’avoir une transparence par rapport à ça.

Je pense encore à une dernière chose, c’est la senne démersale. J’en ai parlé récemment à travers mon ONG. La senne démersale, c’est une technique de pêche qui ravage les fonds marins, qui est utilisée par des navires et des chaluts hollandais. En fait, il faut savoir que trois senneurs hollandais qui utilisent la senne démersale vont ravager l’espace de Paris en une journée. Il faut savoir qu’il y a 50 à 70 senneurs Hollandais qui sont au large de nos côtes et qui tournent à longueur de journée entre la Manche et la mer du Nord. Très récemment, il y a quelques semaines, l’Union européenne, dont la France, a soutenu cette pêche contre l’avis des pêcheurs français qui sont contre forcément cette pêche. Et encore une fois, le gouvernement Macron a soutenu la senne démersale, a soutenu cette mafia hollandaise de la pêche industrielle. Et aujourd’hui, qui sont ceux qui en paient le prix cher ? C’est les pêcheurs côtiers, c’est les artisans, c’est les locaux qui vont aller pêcher et qui n’ont même pas le droit de prendre cinq bars et qui doivent respecter certaines tailles, etc… Alors que, à trois kilomètres de là, il y a des senneurs qui vont piller les fonds marins.

Donc on est dans une incohérence totale entre ce que dit l’État, ce que veut faire l’État par rapport au plan 2050, par rapport au GIEC, par rapport justement à toutes les recommandations et les faits réels.

Calais la Sociale
Marine Life Channel a-t-elle été consultée pour l’édition du Plan Climat du Calaisis ?

Romain Merlen
Non, ce que je trouve dommage. Notre ONG n’a pas été consultée alors qu’on a pas mal de projets, pas mal de choses qu’on aimerait faire et on aimerait bien savoir l’avis de la mairie de Calais, de la municipalité, par rapport à des bacs à marée, par rapport à plein de choses. Et je trouve dommage qu’on n’ait pas été consultés alors qu’on collabore souvent avec eux, c’est dommage. On fait plein de choses avec la ville de Calais. Ils nous permettent d’accéder à des lieux comme la citadelle qu’on peut dépolluer, qu’on peut faire grâce aussi à leurs autorisations. on parle de petites actions à échelle locale. Alors que le plan climat pour 2050, on parle de grandes choses, on parle d’investissement de millions d’euros, on parle de choses qui doivent être faites vraiment pour les citoyens au niveau local.

Parce que finalement, je trouve qu’il y a très, très peu de communication par rapport à ça. Les réflexions sur le plan climat, sont très peu accessibles, alors que ça pourrait être très simple en termes de communication, de même faire des réunions publiques pour pouvoir en discuter, pour pouvoir échanger.

Aujourd’hui, ça, c’est une grosse problématique parce qu’il y a un gros problème de communication et les citoyens et les associations ne sont pas consultés. Je ne sais pas qui l’est, sûrement des experts qui sont derrière leur bureau, je ne sais pas. Je trouve qu’il y a une forme d’omerta par rapport à ça, qu’on sort quelques belles phrases dans le journal, de temps en temps à travers un conseil municipal, mais que finalement rien dans le fond n’est vraiment fait. Il y a pourtant une véritable envie à Calais, en tout cas une véritable conscience écologique. Il y a plein de gens qui ont envie de faire plein de choses.

Malheureusement, on est tous pris dans nos vies quotidiennes, dans nos combats respectifs. On lutte un petit peu chacun de son côté. Finalement, je pense que ce Plan Climat, c’est peut être l’occasion de réunir tout le monde autour de ce sujet commun.

Propos recueillis par Pierre Muys,
le 03 novembre 2022