« Il souhaitait être témoin d’un moment qui allait marquer l’histoire »

Mercredi 21 juin, Gérald Darmanin acte la dissolution de l’association Les Soulèvements de la Terre, structure connue pour avoir organisé le mouvement contre les méga bassines à Sainte-Soline. La veille, quinze militants écologistes sont interpellés dans tout le pays par des unités spécialisées dans l’anti-terrorisme.

Dans l’attente d’un jugement le 27 juillet prochain, deux personnes sont encore aujourd’hui incarcérées en détention provisoire. Parmi elles, Loïc Schneider, agent de service hospitalier de 28 ans, maraîcher, poète et activiste écologiste. Il encourt jusqu’à sept ans d’emprisonnement sans n’avoir jamais porté atteinte à l’intégrité physique de quiconque.

Pour parler de lui et d’une lutte pour le vivant que le gouvernement qualifie d’écoterrorisme, nous avons pris le temps de discuter avec Aude Schneider, animatrice  au Fort-Nieulay et petite sœur de Loïc. En dressant le portrait d’un frère aussi poète que militant, Aude raconte l’itinéraire d’une génération en lutte, à travers ses combats menés pour la sauvegarde de la biodiversité, et l’écrasante puissance d’un appareil répressif d’Etat contre lequel celle-ci ne joue rien de moins que sa survie. 


L’entretien complet

Calais La Sociale
Tout d’abord Aude, y a-t-il quelque chose en préparation dans le Calaisis pour soutenir Loïc ?

Aude Schneider
Les choses sont allées très vite, son interpellation, sa garde à vue dans la Meuse puis rapidement son incarcération à Poitiers. Je n’ai rien vu venir, et étant à distance que ce soit de mes parents et des collectifs qui ont l’habitude de soutenir Loïc, j’ai été un peu démunie. Les ami.es engagé.es de Loïc m’ont d’abord rassurée sur sa situation, en disant que c’était juste un “coup médiatique” et qu’il allait être relâché bientôt. Mais on a bien vu que c’était beucoup plus compliqué que ça… J’ai compris alors qu’il fallait vite réagir, j’ai relayé les informations sur Facebook comme je le fais d’habitude, puis plusieurs articles sont sortis sur Les Soulèvements de la Terre (LSLT), les incarcérations et sur Loïc que j’ai beaucoup partagés. Face à la violence et l’urgence de cette situation, je me suis sentie seule et comme je ne connaissais pas de représentant de LSLT à Calais, je me suis appuyée sur le réseau militant ici. Il m’a fallu juste partager un article auprès de quelques personnes, puis un petit groupe s’est constitué pour tenter de réfléchir à des actions qui peuvent être faites localement pour mon frère et plus largement pour le mouvement de LSLT. Aussi Loïc est déjà venu à Calais, avec moi la première fois en 2018 pour apporter un soutien bénévole aux exilé.es, donc certaines personnes le connaissent. Les luttes sont en quelque sorte liées, donc dans le milieu militant les gens se sentent rapidement impliqués et apportent un véritable soutien, ça fait du bien.

Hier on a eu l’idée de faire quelque chose autour du château de sable. Parce qu’en fait c’est quelque chose que Loïc fait partout depuis qu’il est tout petit et qu’il a déjà fait sur la plage de Calais. Dans l’article de Reporterre, mon frère est un peu présenté comme quelqu’un qui garde son âme d’enfant, avec un château de sable un peu construit, on retrouve cette idée-là. Mais ça ne serait peut-être pas un vrai rassemblement, ça serait juste des gens qui se retrouvent à la plage pour faire des prises de paroles et des lectures de ses poèmes. On est encore en train de réfléchir. 

Calais La Sociale
Tu disais que Loïc est venu plusieurs fois à Calais…

Aude
Oui, une première fois avec moi, donc en 2018. Loïc était déjà bien impliqué à Bure [contre le projet de création de site d’enfouissement des déchets nucléaires]. Il est venu par curiosité, parce que j’étais bénévole auprès des exilé.es, il connaît très bien le sujet. C’est quelqu’un de très alerte sur toutes les luttes. Il est revenu une deuxième fois l’année dernière quand il y avait eu le festival Fabrique d’Agirs, à la MER [Maison d’Entraide et des ressources]. Il accompagnait justement des gens de Bure qui venaient et lui ont proposé de faire voiture commune. C’est les deux fois où il est venu par ici. Il garde un lien fort avec la cause migratoire.

Calais La Sociale
Vous êtes donc tous les deux lorrains. Tu vis à Calais depuis quand? 

Aude
Oui, nous sommes tous les deux nés à Nancy. Moi je suis à Calais depuis.. je dirais un an et demi… Mais en fait, je ne sais pas dire la date exacte. Parce que j’y venais avant ça de temps en temps, plus ou moins longtemps, en tant que bénévole. Je m’y suis en tout cas vraiment installée en janvier l’année dernière. J’ai commencé à travailler à Saint-Omer dans l’association France Terre d’Asile avec les mineurs étrangers et maintenant je suis animatrice dans un centre social à Calais.

Calais La Sociale
Et pour ton frère, quelle est la situation aujourd’hui ?

Aude
La situation c’est que mon frère est en détention provisoire actuellement jusqu’au 27 juillet pour avoir participé aux manifestations de Sainte-Soline.
[Elle sort son téléphone, ouvre la page de l’article de Reporterre et lit]
Loïc est suspecté d’avoir « fait partie des groupes actifs de la manifestation ayant pour objectif de dégrader la réserve de substitution (…) et de commettre des violences sur les militaires de la gendarmerie ». La justice estime également qu’il a pu inscrire les lettres « ACAB » (ce qui signifie « all cops are bastards », « tous les flics sont des bâtards ») sur un des camions qui a brûlé et aurait « sciemment recelé une veste de gendarmerie volée dans un des camions ».
Loïc était à Sainte-Soline mais il filmait à plusieurs reprises en direct pour un média indépendant : “Média Jaune de Lorraine”.  

Calais La Sociale
Au fond, ce que la justice lui reproche c’est sa radicalité?

Aude
Loïc est tout le temps représenté comme ça dans les médias de toute façon. Il est très connu des forces de police dans certaines manifs. Ils savent qui il est.

« C’est la personne qui me fait le plus rire au monde.« 

Calais La Sociale
L’activité militante de ton frère raconte un parcours. Il est témoin de moments nationaux plutôt marquants pour notre génération – disons les 25-35 ans – plutôt marqués à gauche : Anonymous,  Bure, G20 d’Hambourg, Sivens, Notre-Dame-des-Landes, Sainte-Soline… Tu peux nous raconter ton rapport avec lui et avec son engagement ? 

Aude
Je suis extrêmement proche de mon frère. On a deux ans d’écart, il a 28 ans, j’en ai 26. On a grandi ensemble, on a une relation où on rigole beaucoup. C’est la personne qui me fait le plus rire au monde. On est très proche aussi parce qu’on a un peu cette soif de justice tous les deux. Peut-être sur différents combats, lui l’écologie, moi l’humanitaire, bien que ce soit lié de toute façon. On s’est beaucoup rejoint sur ça et sur des lectures communes. Thoreau et Tolstoï, c’était surtout lui. Moi je suivais un peu, ça m’a donné la paix de discuter avec lui. Parce que quand j’ai grandi, il y avait beaucoup de trucs qui s’opposaient dans ma tête en mode : “oulala mais on est dans un monde horrible. Qu’est-ce qu’on fait ?” Lui, il m’aiguillait : “il y a des gens qui ont déjà réfléchi à ces trucs…” Il m’aidait un peu à faire le tri dans ma tête et à trouver une certaine paix. On est chrétiens. On a une foi qui est très vivante et Loïc la vit aussi mais on a chacun sa façon de la vivre. Du coup, certains évènements, certaines injustices, s’opposaient vivement à notre foi. On réfléchissait à la place que tenait Dieu dans ça.

Calais La Sociale
Dans les articles que j’ai pu lire sur ton frère, je n’avais pas encore vu de choses liées à la chrétienté dans son parcours. C’est intéressant, parce que souvent c’est une croyance qui est quand même associée à quelque chose au mieux d’assez dépolitisée, à un engagement inoffensif, sans vrai conséquences : “on est gentil, on fait le bien…”.

Aude
“…mais faut pas défier les autorités sinon vous êtes méchants” [Rires]. C’était mon combat à moi aussi, savoir ce que ça veut dire d’être chrétien. Pour nous, c’est totalement ça, c’est parler, c’est vivre avec son cœur, vivre pour les autres. Loïc est un exemple pour moi à ce sujet. Donc on a grandi ensemble et ces questionnements sont arrivés très tôt. Moi j’étais au lycée. Lui avait arrêté parce qu’il se faisait harceler. Harcelé pour ses convictions, mais aussi pour sa religion, sa personnalité. Donc il a arrêté, il n’a pas passé le bac. C’est là que les histoires d’Anonymous ont commencé, c’était 2014- 2015. Anonymous, maintenant ça passe un peu pour ringard, désuet mais à l’époque c’était fort. Il était déjà bien engagé sur Bure. Et il décide de bloquer un site internet lié à ça avec un groupe d’Anonymous [celui de l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra)]. Il ne s’en cachait pas, il le disait à la famille tout ça. Donc rien n’avait encore commencé. Moi je réagissais genre : “Ah ok. Marrant. Marrant ce que t’as fait.” [Rires]. On ne voulait pas trop s’inquiéter. Et puis, un jour les policiers sont venus. Faire une interpellation. J’étais en terminale. J’avais 17-18 ans, lui 20. Ils sont venus à 6 heures du matin. Ils ont sonné, je crois, pour cette première fois. Ils n’ont pas tout le temps sonné… Mais c’était violent. Ils sont rentrés chez nous à dix. Il n’y avait que mes parents, lui et moi. J’ai un frère et une autre sœur mais qui n’habitaient déjà plus là. 

Calais La Sociale
Tes parents sont des personnes engagées politiquement? Ils font quoi dans la vie ?

Aude
Ils ne sont pas forcément engagés… Ils sont à la retraite maintenant, mais avant ils étaient profs d’anglais et de maths à Nancy, en collège et lycée. On a donc grandi avec l’idée qu’il faut réussir à l’école. Première grosse déception : Loïc arrête le bac.

Lors de sa première interpellation, ils sont donc venus à la maison, Loïc dormait. C’était à la fois très choquant mais en même temps on savait que c’était pour ça qu’ils étaient là. On ne tombait pas des nues. Il y a une partie des policiers qui est allée directement dans la chambre de mon frère, c’était bizarre d’ailleurs, comme s’ils savaient déjà où elle se trouvait. 
Mon père s’est évanoui. Parce que trop de monde, trop impressionnant, tu viens de te réveiller, il est 6 heures du matin ! Malgré ça, par rapport aux interpellations qui suivront, celle-là c’était tranquille paradoxalement. Ils ont juste réveillé mon frère, lui ont demandé si ça lui disait quelque chose l’histoire des blocages de site internet. Et puis ils ont pris tous les disques durs, tous les ordis, etc. Et ils l’ont embarqué. Je crois que c’était juste pour une garde à vue. Ils l’ont relâché après. Il y a eu un procès à Nancy. Il a eu du sursis et une amende. Voilà là où l’histoire a commencé et puis après ses engagements à Bure ont continué.

Calais La Sociale
Loïc à ce moment-là, quand il prend ce premier gros stop, il doit y avoir une dimension un peu traumatique. Voir son père qui s’évanoui, ces mecs qui débarquent dans la maison familiale à 6 heures du matin… Ça renvoie à une imagerie populaire de la criminalité. Ça peut être un signal qui montre qu’on passe de l’autre côté. Tu saurais dire pourquoi ton frère ne s’est pas dit à ce moment-là : “Bon… Je vais peut-être reprendre mon bac, devenir professeur de français et rester tranquille” ?

Aude
Dans cette histoire, il faut garder en tête que son action a juste fait perdre un peu d’argent au projet d’enfouissement des déchets. Il trouvait ça juste. Je pense qu’il a remarqué qu’il était écouté aussi, qu’il était compris par plein de gens. Il a été accompagné par un avocat, Etienne Ambroselli, qui est devenu ami de la famille. Il y avait donc quelque chose autour de ça qui était aussi très beau. C’est à partir de là je pense qu’il a eu une communauté. Et qu’il s’est rendu compte qu’il parlait bien, que ça avait de l’effet. donc c’est là où il a commencé aussi à écrire beaucoup de poèmes, qu’il a créé sa page Loïc Citation.


De mon côté je termine le lycée, tout ça m’atteint beaucoup, pas mal de stress, d’inquiétude tandis que de son côté ça l’animait énormément. Je ne me souviens plus précisément de la chronologie, mais je sais qu’il participait à beaucoup de manifestations. Il nous en parlait, racontait qu’il y voyait des choses très belles : “Il y a eu cette solidarité là, c’était trop beau…” Tu vois ? Il était très animé par tout ça et ne nous cachait rien. Il a vite était considéré comme quelqu’un de leader dans les manifestations, quelqu’un qui n’a pas peur d’être devant, de partir en manif sauvage, de prendre la parole…
Et puis le G20 d’Hambourg est arrivé. C’était Le 7 juillet 2017. Il y est allé. Moi j’étais à Strasbourg, je faisais mes études là-bas, mais on gardait le lien. Il nous avait raconté la manifestation, comment elle avait été impressionnante. Un jour, je suis en vacances pendant mes études, il est à la maison, et dans les médias, il y a le bruit qui tourne qu’il va y avoir un procès à Hambourg lié aux manifestations qui se sont déroulées en marge du G20. Peu de temps après ça, il y a eu une première tentative d’interpellation à la maison pour cette affaire mais il n’était pas là.

« à partir de là, tout devient un peu comme dans un film.« 

Calais La Sociale
Vous saviez que cette interpellation arriverait ?

Aude
Non, je ne crois vraiment pas. Mais on prend du coup conscience qu’il est à présent recherché. Il choisit lui à ce moment-là d’être en cavale. Parce qu’il pressent que le truc va être gros, tout ça… Donc il est en cavale et c’est là qu’il va à Notre-Dame-Des-Landes. A ce moment-là, par sécurité, on ne communique plus de ouf avec lui, ni par message, ni par Signal. On sait juste qu’il est là-bas, grâce à des gens qui nous disaient l’avoir vu à tel moment et que ça allait pour lui.

Il décide en août 2018 de prendre le risque de rentrer à la maison pour voir les parents. Comme il n’avait prévenu personne qu’il rentrait, personne n’était là. Nos parents faisaient des allers-retours entre Nancy et l’Alsace, ils ont une maison là-bas qu’ils rénovent. Donc Loïc rentre et moi je suis à la maison, en vacances. Et à partir de là, tout devient un peu comme dans un film. Le jour où ils [les policiers] sont venus le chercher et qu’il n’était pas là, ils sont restés pas mal de temps chez nous, ils nous avaient fait monter mes parents et moi à l’étage et on pense, mais on en a pas la preuve, qu’ils avaient mis des caméras/micros dans la maison. Loïc était vraiment recherché quoi… Quand il est rentré de Notre-Dame-Des-Landes, il se doutait qu’il devait y avoir de la surveillance, parce qu’il passait toujours par la porte de derrière, qu’il montait tout de suite dans sa chambre avec un vêtement sur son visage. Il dormait dans une autre chambre que la sienne… Le soir de son retour, on a mangé une tarte flambée et il m’avait fait part de son stress. Moi j’étais dans un truc de déni genre : “Non mais Loïc, ils ont autre chose à foutre quoi !”. Je me disais qu’ils devaient bosser sur des vrais criminels, des gens beaucoup plus préoccupants que mon frère.

Aude et Loïc, en 2022 Crédit: Média Jaune de Lorraine

Calais La Sociale
C’est vrai qu’en août 2018, le pays semble d’avantage préoccupé par le terrorisme islamiste, que l’activisme écologiste… 

Aude
C’est ça. Les précautions de Loïc, ça me semblait du coup vraiment trop gros. Mais en fait, le lendemain, j’étais en bas devant la télé, Loïc était dans sa chambre, j’entends plusieurs camionnettes passer devant la maison. Machinalement, je regarde juste par la fenêtre qui donne sur notre entrée, pour voir vite fait ce qu’il se passe. Et là je vois des gars courir vers la porte avec un bélier ! Et je comprends tout là. J’ai juste le temps d’aller à l’escalier et d’hurler : “Loïc ils sont là !” Mais avec un cri… Il m’entend mais ça va tellement vite qu’ils défoncent la porte et il y en a tout de suite qui montent à l’étage. Moi, on me met au sol, on me dit: “à genoux, à genoux !” Ils étaient armés et ma réaction c’est juste de leur dire : “vous êtes tarés, mais vous êtes fous, calmez-vous, c’est trop”.

« J’ai su qu’il y avait des caméras, des micros dans la maison, que j’avais été observée »

Loïc est amené devant la maison, il garde toujours son calme, il essaye de me rassurer, il me disait : “ça va ça va, tranquille.” Moi j’essaie d’être forte aussi, donc il y a rien qui sort, juste : “Mais vous êtes tarés”. Et puis ils vont chercher ses affaires dans sa chambre et il y en a quelques-uns qui restent avec moi, qui me gardent. Un des chefs qui nous parle à tous très très mal – moi, mon frère, ses collègues – me dit : “Va chercher un sac poubelle, pour les affaires de ton frère”. Et là il me fait une remarque : “Si tu veux, tu peux le faire avec la grâce de la danse”. Un truc comme ça. Le jour même, j’avais dansé dans le salon. Donc là j’ai su en fait. J’ai su qu’il y avait des caméras, des micros dans la maison, que j’avais été observée.

Je ramène le sac poubelle et ils font ça très vite. Je me souviens que je parle à deux policiers ou gendarmes. Je sais pas trop faire la différence. Et je leur parle de leur chef : “Mais je sais pas comment vous faites pour travailler avec des gens comme ça !” [Rires]. Forcément, ils ne répondent pas, c’était deux nouveaux, deux tout jeunes. J’en rigole là, mais j’étais vraiment dans un choc total. Il a été menotté très rapidement, ils lui disent : “fais tes lacets”. Il essaie de faire ses lacets avec les menottes… Moi je leur dis : “Mais en fait, il peut pas faire ses lacets. Détachez-lui les menottes pour qu’il fasse ses lacets!” [Rires]. C’était des trucs absurdes tu vois, moi je leur parlais vraiment comme à des débiles quoi, ils se comportaient vraiment pas autrement. “Enlevez les menottes…” Ils m’ont tous regardée, y a eu un blanc… et après le chef a dit : “ouais… c’est vrai, détachez lui les menottes”. [Rires].

Bref, ils sont partis après ça très vite et moi je me suis retrouvée seule avec la porte de la maison des parents cassée. Je sais d’emblée que ça ne sera pas une garde à vue comme la dernière fois, le dispositif était trop gros. J’appelle mon autre frère qui habite à Nancy, je lui explique qu’ils ont embarqué Loïc. Il a pu venir rapidement. Il essaie de me rassurer, de me dire : “T’inquiète, ils n’ont rien contre lui…”. Je lui réponds : “ben écoute je sais pas, franchement je les ai vus, ils m’ont pas dis t’inquiète !”. Les parents rentrent, sous le choc, et chacun commence à se culpabiliser de ne pas avoir fait assez attention, mais en fait, c’était pas une vie non plus de rester en cavale.

Calais La Sociale
Oui, et puis les dispositifs policiers, s’ils sont choisis et mis en place, c’est aussi parce qu’ils fonctionnent. Ils sont adaptés aux personnes qu’ils recherchent, à leur entourage. Ton frère n’est pas un professionnel de la planque, toi non plus. Vous avez des affects. Il est poète, maraîcher, rentre à la maison familiale pour vous voir… S’il a été pris ce n’est pas parce que vous avez manqué de prudence, mais parce que vous êtes des êtres humains.

« Hambourg, c’est un peu le Calais militant, avec ses tiers lieux mais vraiment partout, dans toute la ville. »

Aude
C’est ce que je me dis. Il a d’abord été enfermé à Nancy, à Maxéville. Là, on a pu le voir quelques fois. On a été confrontés à la prison avec mes parents, c’était une première pour eux. C’est un lieu de violence sans nom aussi, on te parle très mal quand t’y rentres pour rendre visite à quelqu’un de ta famille : “Dépêchez-vous ! Enlevez votre ceinture, allez ! Vous nous faites perdre notre temps”. Mes parents ne sont pas habitués à cette violence là, ils n’avaient aucune conscience du monde de la prison. Moi avec le travail je connaissais quand même un petit peu.


On peut voir mon frère quelques fois. Loïc est très fort, dès le début. Il nous dit que ça lui fait du bien d’être seul, qu’il écrit, etc. Il est transféré en Allemagne en vue du procès d’Hambourg et, ce jour-là, on ne nous prévient pas. On va le voir avec ma mère au parloir et devant la porte, on nous dit qu’il est parti.


On trouve qu’en Allemagne les gens sont plus sympas. On rencontre aussi les avocats allemands. Hambourg est une ville ultra militante donc on a eu le droit à un énorme soutien. Quand on venait, on était accueillis, logés, presque nourris tout le temps. C’est un peu le Calais militant avec ses tiers lieux, mais vraiment partout, dans toute la ville. Partout, il y avait des tags “Free Loïc”. Cette solidarité-là nous a vraiment fortement touchés.


Nancy-Hambourg, c’est dix heures de route, vingt heures pour l’aller retour. On avait obtenu, pendant ses seize mois de détention, le droit à des visites de deux heures tous les deux mois au lieu d’une heure par mois. Entre-temps, des gens d’Allemagne que Loïc ne connaissait pas allaient lui rendre visite aussi, c’était des militants qui venaient pour le soutenir.

Calais La Sociale
Dans ce contexte difficile de détention, est-ce que tu espérais que ton frère se range un peu?

Aude
Moi je ne me suis jamais trop dit ça, mais les parents oui. Ils le disent encore aujourd’hui. Mais en même temps, ils sont là pour lui. Mon père et mon frère ont toujours eu de longs débats… 

Calais La Sociale
Oui, et puis en tant que parent, j’image qu’on a pas trop en tête de pousser son gamin à développer le rythme de ses séjours en prison !

Aude
[Rires]. C’est vrai ! Avec Loïc, au parloir, je ne parlais pas énormément, on échangeait principalement par lettre. J’avais pas vraiment besoin de parler, juste de voir qu’il va bien, de lui communiquer des ondes positives. Aussi, comme il s’agissait d’un procès en cours, il y avait des gens dans le parloir, on était jamais seuls. Une femme qui bossait pour le procès était là et une traductrice aussi qui répétait en allemand ce qu’on disait en français. Donc Loïc, on ne le sentait pas libre de tout dire non plus. Si bien qu’à un moment donné, je me souviens très bien, il a craqué. Il ne savait pas quoi dire. Il en avait marre, il se sentait surveillé, écouté.


Malgré ça, son expérience en prison se passe plutôt bien. Il est méga touché par les gens qu’il rencontre là-bas. Ça, il en parle souvent, en disant: “A la prison, c’est que des pauvres”. Il n’a rencontré que des personnes en situation de précarité. Il y voit une grande injustice, en se demandant où étaient les riches. Il y voyait aussi un racisme institutionnel, de la violence des gardiens envers les détenus de couleurs. Il nous disait qu’il ressentait vraiment la chance d’être blanc. Il trouvait des ressources, il fabriquait ses propres jeux de société avec des boîtes de céréales. On a pu lui apporter son violon, il a même composé une musique. Il y avait un aumônier avec lequel il communiquait. Il a écrit beaucoup, dessiné énormément. Il a réalisé une série avec des hommes patates en bande dessinée, autour de ses combats. A côté, les gens de Bure ont été très présents, c’est eux qui ont organisé tout le soutien, avec une cagnotte, des écrits, des communiqués etc… Ils sont venus aussi le voir en prison. Il y a eu une belle solidarité qui lui a permis de ne pas trop se sentir seul.

Dessin de Loïc réalisé lors de son emprisonnement à Hambourg

Quand il sort en décembre 2019, il se retrouve à Hambourg et c’est aussi très compliqué de refaire du lien, Il y avait tant de monde autour de lui… Il y avait ce truc un petit peu égoïste de ma part de vouloir passer du temps rien qu’à deux avec lui. Après un temps de travail de réinsertion à réaliser en Allemagne, on le ramène à Bure où il ouvre un collectif de maraîchers pour aborder un ensemble de trucs liés à la permaculture.

Ça a du sens pour lui. C’est une nouvelle manière de lutter. Il vend ses trucs, il commence à bosser… Maintenant, il travaille aussi dans une maison de retraite, c’est assez récent, il est agent de service hospitalier (ash), ça consiste à préparer les repas, faire la vaisselle et faire de l’assistance dans les actes de soin si besoin. Il trouve beaucoup de sens aussi là-dedans. Il fait des ateliers de jardinage avec les résidents. Il rencontre quelqu’un aussi, Manon.

Loïc a toujours été troublé par les histoires d’amour. Par les gens qui ne suivaient pas, qui avaient très peur de se mettre avec lui avec son activisme. Là, il a rencontré quelqu’un de super et qui reste forte dans la situation actuelle. Je dirais qu’il avait une belle petite vie tu vois. Il est entré dans une colocation à côté de Bure, il prenait un peu ses distances avec le monde militant qui peut être parfois un peu épuisant.

« Loïc souhaitait être témoin d’un moment qui pour lui allait marquer l’histoire »

Calais La Sociale
La nouvelle arrestation de Loïc intervient en fait paradoxalement à un moment où son militantisme semble se développer dans des formes de confrontations moins radicales?

Aude
Oui. Mais Sainte-Soline et la lutte contre le projet des mégas bassines arrive. C’est un combat environnemental qui le touche énormément. C’est un mouvement presque mondial, des gens sont venus de partout et il fallait qu’il soit là-dedans. Il sentait l’aspect unique et important de l’événement, il souhaitait être témoin d’un moment qui pour lui allait marquer l’histoire. 

Calais La Sociale
Tu disais, que Loïc a pu dans le passé incarner quelque chose pour les gens, être une sorte de leader. Est-ce que ça a pu être le cas à Sainte-Soline?

Aude
Non. Il était en retrait de toute forme d’organisation. Il filmait en live pour le Média jaune. C’était une manière pour lui d’être au cœur de la lutte sans y être tout à fait acteur. Il a donc filmé les temps forts, et il en a raté d’autres, parce qu’avec le travail à l’Ehpad justement, il ne pouvait plus totalement se libérer. Ca c’était nouveau pour lui. Il avait des engagements professionnels qu’il tenait à honorer.

Calais La Sociale
Les faits pour lesquels il est actuellement emprisonné à titre préventif et pour lesquels il risque sept ans d’emprisonnement concernent la journée du 25 mars dernier. Est ce qu’il t’a raconté cette journée ?

« Il faut montrer cet écart entre ce qu’il est, entre ses actions au quotidien et ce qu’on lui reproche. »

Aude
A cette période il était très occupé avec tous ses engagements, et on ne s’écrivait pas tout le temps, je pense qu’il m’en a parlé mais je n’ai pas retenu grand chose, mise à part que c’était impressionnant et qu’il y avait des gens du monde entier.

Calais La Sociale
Pour finir, il y a une mobilisation sur les réseaux sociaux générant pas mal de contenus, et des articles sont rédigés sur ton frère dans pas mal de médias indépendants. Qu’est-ce que tu espères avec ce soutien ?

Aude
Plus on en parle, plus on montre aux médias, à la justice, à la police que c’est un peu trop gros toute cette histoire. Plus on montre qui il est, plus on aura de chance d’influencer la décision de la justice. Il faut montrer cet écart entre ce qu’il est, entre ses actions au quotidien et ce qu’on lui reproche. Je pense aussi que plus un sujet est médiatique, plus la justice sera contrainte de faire attention à la rigueur qu’elle impliquera dans son jugement.   


Dans l’attente du procès du 27 juillet, Loïc passera de nouveau devant les juges jeudi 29 juin afin d’obtenir une libération conditionnelle immédiate.


Propos recueillis par Pierre Muys, le 25/06/23.