De Calais à Perpignan, les mairies visent les scènes nationales

Dans un article, le journal Le Monde évoque la crise entre la municipalité de Calais et le Channel. Un cas loin d’être isolé : à Perpignan, la mairie de Louis Alliot (RN) a tout fait pour démettre de ses fonctions le directeur et imposer sa candidate. Dans le Rhône, Laurent Waucquiez s’y met aussi.

Le samedi 6 mai 2023, 1500 personnes ont participé à une manifestation de soutien au Channel.

« À Calais et à Perpignan, des scènes nationales sous la coupe des maires » indique le titre de l’article du Monde. D’un bout à l’autre du pays, les mairies lorgnent sur les scènes nationales au point de balayer l’indépendance de leurs projets artistiques et l’autonomie de leur gestion. Ces attaques, en voie de généralisation, trahissent une bascule autoritaire des élus locaux de droite et d’extrême-droite contre ces lieux de culture dont l’indépendance dérange.

À Perpignan, le Rassemblement National éjecte le directeur…

À 1100 kilomètre de Calais, dans la ville dirigée par le RN, une bataille est en cours depuis plusieurs mois. À l’origine du conflit : la nomination d’une nouvelle direction à la tête de L’Archipel, la scène nationale de Perpignan.

En poste depuis 2016, Boris Sitjà, l’ancien directeur, avait demandé le renouvellement de son mandat. Réuni en novembre 2022, le conseil d’administration de la scène nationale a voté contre sa reconduction, indique le site Sceneweb, spécialisé dans l’actualité du spectacle vivant.

« Sur ses seize membres, seuls les représentants de l’Etat, selon un décompte réalisé par le journal L’Indépendant, ont voté pour. Les huit membres désignés par la Ville de Perpignan, dirigée par le maire RN Louis Aliot, s’y sont, quant à eux, opposés et les trois administrateurs de la Région Occitanie se sont abstenus. » poursuit le site. Une éviction politique donc.

… et impose sa directrice

Ce n’est que le 28 avril avril dernier, après plusieurs mois de tractations, que la nouvelle directrice de la scène nationale, Jacky Surjus – candidate soutenue par la mairie RN – a été désignée.

À la suite de cette désignation, Serge Regourd, vice-président du conseil d’administration de L’Archipel, a dénoncé « un passage en force » et a annoncé sa démission. « Cette démission manifeste le refus d’apparaitre comme complice d’un recrutement de la direction de l’Archipel mis en œuvre par les seuls élus de la ville, contre les représentants de l’Etat et de la region. » explique-t-il.

Dans un communiqué, le Syndeac – Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles – dénonce une procédure « inquiétante pour l’avenir et de très mauvais augure pour l’indépendance de la direction artistique. »  

Plus loin : « Le Syndeac est en alerte face à de tels procédés et dénonce la perte de tout esprit de dialogue. Dans ce contexte et nonobstant la qualité de la directrice nommée, il s’inquiète réellement de l’indépendance artistique future de la scène nationale, de l’autonomie de gestion dont doit disposer toute direction, et du climat délétère que cela créera inévitablement. »

Dans le Rhône, Laurent Waucquiez (LR) s’en inspire

Ailleurs, c’est Laurent Waucquiez, président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui se prend au jeu de la rétention/suppression de subventions aux théâtres locaux.

Télérama s’est penché sur les attributions et détaille que : « Les centres dramatiques nationaux (CDN), ces théâtres dirigés par des artistes, emblématiques de la décentralisation culturelle, apparaissent clairement dans le collimateur du Conseil régional […]. Seul le TNP (Théâtre national populaire) de Villeurbanne toucherait une subvention identique à celle de l’an passé (350 000 euros), sans toutefois récupérer les 150 000 euros perdus en 2022. Les quatre autres CDN de la région verraient leur subvention réduite (moins 60 000 euros pour la Comédie de Saint-Étienne et moins 30 000 pour la Comédie de Valence) ou carrément supprimée pour le Théâtre Nouvelle Génération de Lyon (TNG), et le Théâtre des Îlets de Montluçon. »

« Ce qu’on me reproche, c’est de ne pas être un directeur de service municipal »

À Calais, Francis Peduzzi, directeur du Channel, fait de la résistance… et il n’est pas seul. Le 6 mai dernier, un grand événement populaire de soutien rassemblait 1500 personnes dans la scène nationale de Calais.

Répondant aux questions de France 3, il explique : « Je pense que ce qu’on me reproche, c’est de ne pas être un directeur de service municipal. Soit on regarde ce lieu comme une scène nationale, avec son autonomie, soit on le regarde comme un espace géographique qui appartient à Calais et je pense que c’est comme cela que la mairie le voit. Nous devrions donc être sous son autorité. Ce sont en tout cas mes suppositions » .

De son côté, Natacha Bouchart, maire de Calais, assume à demi-mot sa volonté d’ingérer dans la gestion de la scène nationale… et d’évincer Francis Peduzzi : « On est sur un équipement qui a un rayonnement national et qui doit continuer à vivre. Mais continuer à vivre, ça ne veut pas dire n’importe comment. » explique-t-elle au journal Nord Littoral. Son adjoint, Pascal Pestre, ne s’était pas embarrassé avec les mots, lors du conseil municipal du 7 février, réclamant pour le Channel « un nouveau projet et donc un nouveau directeur puisque l’actuel ne veut pas entendre changer le sien » .

Francis Peduzzi, directeur du Channel, scène nationale de Calais.